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La note de M. le président Barris, que nous avons déjà citée, vint poser nettement une règle contraire : « si l'exception de propriété ne porte que sur un effet mobilier, il n'y aura lieu ni a sursis ni à renvoi; les effets mobiliers sont la matière des vols, des détournements, etc., dont l'attribution à la juridiction correctionnelle emporte avec elle le droit de connattre de toutes les exceptions proposées comme moyens de défense contre la prévention du fait criminel qui peut avoir été commis sur l'effet mobilier. » C'était résoudre la question par la question. Les véritables raisons de décider sont, d'une part, que les questions de droit civil, auxquelles donnent lieu la propriété ou la possession des objets mobiliers, sont simples et peu compliquées et que les tribunaux répressifs ont presque toujours entre les mains tous les éléments nécessaires pour les apprécier; et, d'une autre part, que les délits et contraventions qui se rattachent à ces objets étant beaucoup plus fréquents que ceux qui sont relatifs aux immeubles, la justice pénale éprouverait une perpétuelle entrave, si elle ne puisait pas dans son attribution générale le droit de statuer sur ces questions accessoires.

La jurisprudence est demeurée fidèle à cette doctrine. Un arrêt du 11 avril 1817 déclare « que l'exception n'ayant pour objet qu'une chose mobilière, elle devait être appréciée et jugée par le tribunal compétent pour prononcer sur le délit'. » Un autre arrèt dispose également « qu'en déclarant, d'une part, que l'individu qui, en se prétendant créancier, enlève publiquement la chose d'autrui, n'est pas passible d'une poursuite pour vol, et, d'un autre côté, en ordonnant un sursis pour renvoyer aux tribunaux civils le jugement de la question litigieuse élevée par le prévenu, l'arrêt attaqué a violé l'art. 379 du C. pén. et l'art. 182 du C. for. 2. » Un troisième arrêt décide encore : « que l'exception préjudicielle proposée par le prévenu n'était pas fondée sur un droit de

1 Cass. 14 avril 1817, rapp. M. Lecoutour. J. P., t. XIV, p. 178. * Cass. 9 mai 1851, à notre rapport. Bull. n. 178.

propriété réel ou immobilier, et que, dans ce cas, les tribunaux répressifs sont compétents'. »

On a cru voir une dissidence dans un arrêt du 3 février 1827 qui porte: « que le tribunal de Chartres a reconnu que, d'après les titres de propriété produits par les prévenus, les objets mobiliers que le plaignant les accuse d'avoir furtivement et frauduleusement soustraits, appartiendraient auxdits prévenus qui n'auraient fait qu'user du droit à eux appartenant sur lesdits objets, aux termes des conventions écrites existant entre parties, et qu'en décidant que, vu la question préjudicielle de propriété qui jaillit des susdites conventions, le tribunal correctionnel est incompétent, et que les parties devaient être renvoyées aux fins civiles, pour être d'abord statué sur la question de propriété, le tribunal s'est conformé aux principes de la matière. Mais, en rapprochant les ter mes de cet arrêt des faits de la cause, on aperçoit que le tribunal correctionnel n'avait nullement sursis à statuer sur la question que l'arrêt appelle à tort préjudicielle, mais qu'il s'était borné à renvoyer les prévenus des fins de la poursuite et à se déclarer incompétent, en ajoutant que la question de propriété des effets mobiliers, la seule question du procès, ne pouvait concerner que les tribunaux civils. Cet arrêt ne s'écarte done point des règles de la jurisprudence.

»

III. Il y a, au contraire, lieu à renvoi lorsqu'il y a contestation sur le taux du péage qui est dû pour le passage sur les bacs, bateaux et ponts.

Aux termes de l'art. 56 de la loi du 6 frimaire an VII, les contraventions aux réglements qui assurent la perception des droits de péage sur les bacs, bateaux et ponts, sont portées devant les tribunaux de police; mais lorsqu'il s'agit de décider si le droit est ou n'est pas dû, cette question purement civile sort de leur compétence, car ils n'ont aucune attribution pour interpréter les règles et le taux des tarifs. Il a été

Cass. 14 sept. 1855, rapp. M. Isambert. Bull. n. 324.

2 Cass. 3 fév. 1827, rapp. M. de Cardonnel. J. P., t. XXI, p. 122.

jugé dans ce sens « que s'il appartient à ces tribunaux de réprimer les contraventions aux réglements, lorsque l'obligation de payer les droits n'est pas contestée, il n'en est pas de même lorsque ceux qui se refusent à ce paiement soutiennent, d'après ces mêmes réglements, en être exemptés à raison de leurs fonctions ou de leur qualité; qu'il s'agit alors d'une interprétation de ces réglements qui ne peut donner lieu qu'à une action civile et qui doit être soumise au juge de paix procédant en matière civile.» Peut-être pourrait-on penser qu'au fond, dans cette hypothèse, il n'y a qu'une action civile et point de contravention; ce n'est donc pas un sursis qu'il faudrait prononcer, mais une simple déclaration d'incompétence avec renvoi devant le juge civil.

Mais le juge de police est compétent, 1° si celui qui a refusé le droit de passage, sans alléguer aucune exemption personnelle, se borne à soutenir que la loi du 6 frimaire an VII n'est applicable qu'au passage sur un bac; 2o si le prévenu ne se défend qu'en soutenant que, s'étant servi de la nacelle de son maître, il n'avait commis aucune contravention 3; 3o si l'exception consiste à dire que les personnes transportées dans un bateau étaient des ouvriers employés à l'exploitation d'une propriété circonscrite par les eaux 4; 4° si elle est fondée sur l'allégation d'un contrat de louage d'industrie qui aurait été passé avec l'adjudicataire. L'arrêt qui a consacré cette dernière solution porte: « que l'art. 182 du C. for. ne reconnaît comme préjudicielle et sortant de la compétence du juge de repression que l'exception qui est fondée sur un droit de propriété ou sur tout autre droit réel; que, dans l'espèce, les prévenus n'invoquaient pas un droit de cette nature, mais se prévalaient seulement des clauses d'un contrat de louage d'industrie intervenu entre les civilement responsables, qui

Cass. 11 juill. 1828, rapp. M. Gary. J. P., t. XXII, p. 60; et 20 août 1826, rapp. M. Brière, t. XX, p. 846.

2 Cass. 26 août 1841. Dall., t. XLI, 1, 435.

Cass. 8 juill. 4852, rapp. M. Legagneur, Bull, n. 227.

Cass. 4 déc. 1852, à notre rapport. Bull. M. 394.

prenaient leur fait et cause, et la partie civile ; qu'aucune loi n'interdisait à la jurisprudence de police d'apprécier cette convention pour fixer le caractère des faits dont elle était saisie'.»

IV. La même règle s'applique encore en matière d'octroi. L'art. 1 de la loi du 2 vendémiaire an VIII porte que « les contestations civiles qui pourront s'élever sur l'application du tarif ou sur la quotité des droits seront portées devant le juge de paix, » et l'art. 2 ajoute que « les amendes encourues seront prononcées par les tribunaux de simple police ou de police correctionnelle, suivant la quotité de la somme. »

La Cour de cassation a induit de ces dispositions que la question de la légalité du droit était préjudicielle à la contravention. On lit dans un arrêt : « attendu que, dans l'espèce, le fond de la contestation portée devant le tribunal de simple police consistait à rechercher, non pas si une infraction matérielle avait été commise à une prescription du tarif de l'octroi précise et certaine (cas auquel l'appréciation de la poursuite et des exceptions auraient été de la compétence du tribunal de police), mais bien si, en thèse générale, la nature du fait incriminé rentrait ou non dans les prévisions du réglement; que dès lors il s'agissait d'une contestation civile sur l'application du tarif et sa véritable portée qui, préalablement au jugement de la poursuite en contravention, devait être évacuée par le juge compétent. » On a objecté à cet arrêt que l'art. 3 de la loi du 2 vendém. an VIII exige, dans tous les cas de contestation, la consignation du droit exigé que, lorsque cette formalité est remplie, il n'y a pas de question préjudicielle, puisque le juge civil devient seul compétent; et que, s'il n'y a pas de consignation, la question ne saurait être élevée, puisque la contravention est acquise et que la légalité du droit ne peut plus être contestée. On

Cass. 7 avril 1848, rapp. M. Vincens St-Laurent. Bull. n. 110. Cass. 18 avril 1833, rapp. M. de Crouseiihes. J. P., t. XXV, p. 381; 15 déc. 1808, rapp. M. Bauchau, t. VII, p. 261,

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peut répondre que cette dernière proposition n'est fondée sur aucun texte précis de la loi; que dans le cas, par exemple, de contraintes décernées pour le recouvrement des droits, l'exception peut être élevée sur l'opposition aux constraintes; que si ce moyen de défense doit être, en général, précédé de la consignation, il n'est pas entièrement subordonné à cette forme, et que, dans tous les cas, le tribunal répressif est incompétent pour en connaître 1. Ce tribunal serait, au surplus, compétent pour statuer sur toutes autres exceptions, et par exemple sur celle résultant de ce que la déclaration incriminée comme fausse serait vraie *.

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1. Questions préjudicielles résultant de l'interprétation des actes administratifs. II. Dans quels cas il y a lieu de surseoir. - III. Formes de la procédure.

I. Nous avons dit, au commencement de ce chapitre, que les questions préjudicielles se divisaient en deux classes: celles qui peuvent être renvoyées à la décision du tribunal civil et celles qui peuvent être renvoyées à la décision de l'administration. Il nous reste à traiter de ces dernières.

Nous avons posé le principe de la séparation de l'ordre judiciaire et de l'ordre administratif, et nous avons vu qu'il avait pour conséquence que les tribunaux ne peuvent connaître des actes administratifs ni par suite les interprèter, sauf les cas, 1° où ces actes, comme, par exemple, les réglements de police, participent du caractère des lois ; 2° où leur sens est clair et précis; 3° où ils consistent, avec quelques distinctions d'ailleurs, dans des baux passés avec des tiers 4. Il suit de là que toutes les fois qu'une poursuite donne lieu

'Cass. 19 sept. 1845, rapp. M. Brière. Bull. n. 294.

'Cass. 3 avril 1840, rapp. M. Romiguières, Bull. n. 103.

3 Voy. supra, p. 181.

• Voy. suprà, p. 183 et 184.

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