Page images
PDF
EPUB

instantanément; mais la sanction pénale de ces mesures n'est l'objet d'aucune délégation. Il ne peut appartenir qu'au pouvoir social d'apprécier la quotité de répression qu'exigent les infractions de telle ou telle nature. Les peines, en effet, quelque minimes qu'elles soient, par cela seul qu'elles sont des moyens de coërcition, qu'elles restreignent les droits des citoyens, qu'elles leur infligent une privation quelconque, ne peuvent être fixées que par l'autorité centrale qui est chargée d'apprécier les conditions de l'ordre, de déterminer celles qui sont à la fois légitimes et nécessaires et de peser la nature et la mesure des moyens employés pour l'assurer. La loi, en arrêtant le taux des peines de police et en établissant à l'avance la sanction générale de tous les arrêtés de police, n'a donc fait que ce qu'il lui appartenait de faire, et elle l'a fait avec prévoyance et avec équité. C'est là un progrès notable de la législation, un principe tutélaire que l'art. 5 du tit. XI de la loi du 16-24 août 1790 a consacré et que notre Code a eu raison de maintenir.

Peut-être ce taux a-t-il été fixé, ainsi qu'on le faisait remarquer tout à l'heure, avec une trop grande défiance de la juridiction de police. Assurément il est en général dans une exacte proportion avec les contraventions légères que cette uridiction est chargée de réprimer les omissions, les négligences, les petites infractions prévues par les lois et les réglemens de police trouvent une répression suffisante dans la pénalité qui peut s'élever à cinq jours d'emprisonnement et 15 fr. d'amende. Mais si, comme il nous semblerait utile de le faire, on agrandissait la compétence de ce tribunal, si on restituait à la matière de la police tous les objets qui rentrent dans sa mission naturelle, dans ses fonctions normales, ces pénalités devraient nécessairement s'accroître, et il nous paraft qu'il n'y aurait aucun inconvénient à ce qu'elles fussent à peu près doublées.

IV. Le dernier point que nous ayons à examiner ici est la constitution des tribunaux de police.

Un premier principe, qui mérite une pleine adhésion, est l'institution d'un juge unique. En matière de police, la simplicité des faits commande celle de la juridiction; il faut une expédition rapide à des affaires plus nombreuses que compliquées qui n'exigent aucune instruction préalable et qui n'appellent pour la plupart aucune discussion; il faut donc un seul juge qui puisse les expédier sans être retardé par des délibérations, qui fonde lui-même sa jurisprudence et la suive d'une manière invariable. Ce juge suffit à la décision de questions qui, quoique quelquefois délicates, sont en général simples et faciles. Dans des matières plus importantes, la juridiction unitaire, souvent proposée et en faveur de laquelle des arguments sérieux ont été allégués, peut soulever de fortes objections; dans les matières de police, ces ob-. jections s'affaiblissent et s'effacent; le jugement de ces matières n'exige point le concours et les lumières de plusieurs magistrats, et la responsablité personnelle d'un seul est une garantie suffisante d'une saine distribution de la justice.

La question de l'unité du juge résolue, la seule difficulté était de savoir lequel, du juge de paix ou du maire, était le plus apte à en remplir les fonctions; car le tribunal de police ne peut être présidé que par un officier municipal ou par un officier judiciaire.

Le maire ne nous paraît point réunir les qualités qui font le juge. D'abord, peut-il joindre au pouvoir réglementaire dont il est investi le pouvoir juridictionnel? lorsqu'il prend des arrêtés de police, peut-il condamner les infractions à ces arrêtés? doit-il cumuler les attributions du législateur et celles du juge? N'est-ce pas organiser, dans un cercle étroit à la vérité et à l'égard d'intérêts minimes, un véritable despotisme, puisque le même magistrat se trouve partie dans la poursuite des réglements qu'il a faits et appréciateur de la désobéissance apportée à ses propre ordres? Ensuite, il est évident que cet officier municipal ne possède aucune notion juridique; qu'il ne connaît ni les règles légales, ni les formes

judiciaires. Or, quelque restreinte que soit la compétence d'une juridiction, il faut pour l'exercer des études prélimi– naires, il faut quelque habitude de pratique; car la justice à tous les degrés doit avoir le caractère et les apparences de la justice. Il y a lieu de remarquer encore que le juge de police étant isolé, et ne trouvant autour de lui aucun appui pour l'aider dans les difficultés qu'il peut rencontrer, doit nécessairement puiser en lui seul la solution de ces difficultés; l'unité du juge en aggrave la fonction, et la responsabilité n'est une garantie que lorsqu'elle s'allie à la capacité. Enfin le maire est trop près de ses justiciables, ses relations avec eux sont trop journalières et trop intimes, pour qu'il puisse administrer la justice avec indépendance et fermeté. Si cette situation le met à même de pourvoir mieux que personne tous les besoins de la commune par les arrêtés et les mesures locales, elle s'oppose en même temps à ce qu'il puisse participer au jugement des contrevenants; car l'administrateur, pour régler les intérêts des citoyens, doit vivre au milieu d'eux; mais le juge, pour statuer sur leurs droits, doit demeurer dans une sphère distincte et supérieure.

L'institution des tribunaux de police des officiers municipaux, déjà essayée par l'Assemblée constituante, et qui n'avait pu régulièrement s'organiser à cette époque, nous parait donc vicieuse et pleine d'inconvénients. Quels sont les motifs mis en avant pour la rétablir? C'est surtout de placer une juridiction à la portée des justiciables, c'est de fournir le moyen le plus facile de faire juger avec promptitude et sûreté les petites contraventions. Ces motifs n'ont plus la même gravité depuis que les voies de communication se sont multipliées et que la facilité des transports a diminué les distances. Une mesure prise par plusieurs juges de police et qui consiste à se transporter successivement dans les principaux centres de leur canton pour y juger les affaires de police, répond d'ailleurs complétement à cette objection. Enfin, ce qui démontre l'inutilité de cette juridiction, c'est qu'elle ne s'est jamais organisée, et que ce n'est que dans quelques localités

qu'elle a tenté de se constituer pour disparaître bientôt. Le véritable juge de police est le juge de paix la loi, qui s'était bornée d'abord à lui confier la police judiciaire, a été naturellement amenée à lui déférer le jugement des contraventions de police. Ses occupations habituelles, son caractère judiciaire, les notions de droit et de pratique qu'il possède, le désignaient à ces fonctions. Ses attributions civiles s'allient même avec ses attributions de police et lui fournissent les connaissances qui lui sont nécessaires pour apprécier des faits. qui, souvent mixtes, récèlent fréquemment un intérêt civil parmi les éléments constitutifs des contraventions. Ses habi tudes conciliatrices ne sont pas même un obstacle; car le ju gement des faits de police n'exige pas une excessive sévérité; il suppose seulement une équitable et sage fermeté et l'étude attentive des règles de la matière.

Un point qui peut laisser quelques doutes dans la constitution des tribunaux de police est la composition du ministère public. Le ministère public, tel qu'il est constitué par les art. 144 et 167 du C. d'instr. cr., est-il suffisant pour éclairer le tribunal de police, pour lui imprimer une impulsion à la fois ferme et mesurée ? Les commissaires de police, les maires et leurs adjoints ont-ils toute l'aptitude nécessaire à ces fonctions? Sans doute, il était difficile de rencontrer dans tous les cantons un fonctionnaire qui fût capable de remplir cette charge accessoire; mais n'aurait-on pas pu la déléguer à l'un des suppléants de la justice de paix, qui eût participé au même caractère judiciaire que le juge, et dans. lequel le choix eût permis de chercher les qualités indispensables aux attributions du ministère public? Au reste, le décret du 28 mars 1852, qui place des commissaires de po→ lice dans tous les cantons, peut remédier en grande partie aux inconvénients que nous signalons; car, d'une part, il substitue un fonctionnaire permanent et dont le service est soumis à un contrôle vigilant, aux officiers municipaux, dont la négligence ou l'inertie échappent à toute surveillance; et, d'une autre part, il serait facile d'exiger des commissaires de

police les connaissances indispensables pour l'accomplissement de cette partie de leurs fonctions.

Nous ferons encore une observation. La constitution du 5 fructidor an III, dans son art. 233, et le Code du 3 brumaire an IV, dans son art. 153, déclaraient en dernier ressort tous les jugements des tribunaux de police et n'ouvraient contre eux que la voie du recours en cassation. L'art. 472 du C. d'instr. cr., tout en modifiant ces deux textes, en a subi l'influence; il n'admet l'appel en matière de police que lorsque les jugements prononcent un emprisonnement, ou lorsque les amendes, restitutions et autres réparations civiles excèdent la somme de cinq francs. Ainsi notre Code a laissé subsister la loi antérieure en ce qui concerne le ministère public et la partie civile. Pourquoi cette restriction à la règle générale des deux degrés de juridiction? Elle n'existait pas dans le projet du Code. On lit, en effet, dans ce projet cette disposition générale: « Les jugements rendus en matière de police pourront être attaqués par la voie de l'appel 1. » A la séance du conseil d'État du 4 octobre 1808, M. Corvetto émit le vœu que les jugements de police ne fussent pas sujets à l'appel, attendu que « les frais du recours excèderaient l'intérêt de l'affaire. M. Cambacérès répondit « que quinze francs sont une somme considérable pour la classe indigente des villes et pour la plus grande partie des habitans des campagnes; que cependant on peut permettre aux tribunaux de police de juger sans appel les affaires dont l'intérêt n'excède pas cinq francs.» Cet amendement, adopté par le conseil2, fut la source de l'art. 172. M. Treilhard se borna à dire dans son exposé des motifs, pour justifier cette restriction, que le droit d'appeler, dans l'hypothèse proposée, « serait un présent funeste aux parties. » Peut-être cette assertion aurait-elle nécessité quelque développement.

[ocr errors]

Il nous semble, en effet, que le législateur n'a aperçu

[blocks in formation]
« PreviousContinue »