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droit de prendre des arrêtés de police, d'ailleurs, a des inconvénients et des périls; il arme les personnes auxquelles il est délégué d'un pouvoir dont elles pourraient abuser; établi pour servir les droits des habitants, il peut se tourner contre eux et leur préjudicier; instrument de sauvegarde et de sécurité, il peut devenir une cause de mesures despotiques, sinon de persécutions, au moins de tracasseries. De là la nécessité de ne déposer ce pouvoir qu'entre des mains paternelles, qui ne puissent en faire un arbitraire usage et de placer en quelque sorte la commune sous la tutelle et la garde d'elle

même.

La loi a donc été éminemment sage et prévoyante lorsqu'elle a délégué le pouvoir réglementaire à l'autorité municipale, lorsqu'elle a voulu que le droit de prendre des mesures locales de police ne fut placé qu'entre les mains du pouvoir local lui-même. Cette délégation n'est qu'une conséquence logique de l'institution municipale, une de ses attributions naturelles, un de ses droits légitimes.

II. Quelle est la nature et l'étendue, quelles sont les conditions de ce pouvoir réglementaire?

Il comprend deux attributions: aux termes de l'art. 11 de la loi du 18 juillet 1837, « le maire prend des arrêtés à l'effet, 1° d'ordonner les mesures locales sur les objets confiés par les lois à sa vigilance et à son autorité; 2° de publier de nouveau les lois et réglements de police, et de rappeler les citoyens à leur observation. >>

Le droit d'ordonner des mesures locales sur les objets que les lois ont confiés à la vigilance de l'autorité municipale, est une véritable délégation du pouvoir législatif. En effet, les arrêtés, qui portent la sanction d'une peine, doivent être considérés comme des lois pénales qui ont, dans le cercle des localités pour lesquelles ils sont pris, et quant aux matières qui en font l'objet, toute l'autorité et tous les effets des lois générales. La Cour de cassation a reconnu cette règle en déclarant « qu'un arrêté de police est, lorsqu'il est légalement

pris dans le cercle du pouvoir réglementaire, une véritable Joi locale; qu'il a les effets et l'autorité de la loi, puisqu'il oblige tous les citoyens. » Le législateur ne pouvant régler lui-même les intérêts variables, différents et instantanés de chaque commune, a délégué au maire, représentant naturel de ces intérêts, l'exercice de son propre pouvoir; le maire est donc législateur, il porte des lois dans le cercle qui lui a été tracé. Ainsi, il ne serait pas en son pouvoir de suspendre ou modifier l'exécution de ses arrêtés au profit de certains individus, tandis qu'ils resteraient obligatoires pour les autres citoyens. Il ne peut donc statuer que par voie de disposition réglementaire, c'est-à-dire générale, lors même que des arrêtés, quoique pris dans un intérêt général, ne s'appliqueraient en définitive qu'à un seul citoyen, par exemple lorsqu'il s'agit de la réparation d'un édifice menaçant ruine ou de faire cesser l'écoulement sur la voie publique de résidus nuisibles à la salubrité *.

Il suit de là que ce pouvoir réglementaire, strictement enfermé dans les limites de la délégation légale, ne peut s'exercer que sur les objets confiés par les lois à sa vigilance et à son autorité. Quels sont ces objets? Ce sont ceux qui sont énumérés par les art. 3 et 4 du tit. I de la loi du 16-24 août 1790; ce sont encore les objets qui se rattachent à la police rurale, que la loi du 28 sept.-6 octobre 1701 avait confiés à la surveillance des officiers municipaux et que l'art. 10 de la loi du 18 juillet 1837 a rattachés aux fonctions des maires. C'est à ces textes que l'art. 11 de cette loi se réfère. Il en résulte que « les autorités municipales n'ont le droit de faire des réglements ou de prendre des arrêtés que sur les objets de police spécialement confiés à leur surveillance par ces lois; que leurs réglements ou arrêtés ne peuvent donc avoir de caractère de

1 Cass. 23 sept. 1853. à notre rapport. Bull. n. 482.

* Cass. 19 déc. 1833, rapp. M. Rives. J. P., t. XXV, p. 1086; 12 déc. 1846, rapp. M. Rives. Bull. n. 315.

* Cass. 15 déc. 1836, rapp. M. Rives. Bull. n. 388.

• Cass. 2 oct. 1824, rapp. M. Aumont, J. P., t. XVIII, p. 1053,

vant les tribunaux et servir de motifs à leurs décisions que lorsqu'ils ont été rendus dans l'exercice de cette attribution et relativement seulement aux objets de police qu'embrasse cette attribution 1. » Cette règle, que nous nous bornerons à poser ici, sera développée dans le chapitre IV, relatif à la compétence des tribunaux de police.

Le droit de publier de nouveau les lois et réglements de police et de rappeler les citoyens à leur observation, exige également une explication. Lorsque la mesure de police qu'il peut être utile de prendre a été l'objet d'une loi et se trouve ainsi prescrite d'une manière générale, le maire, au lieu de l'ordonner par un arrêté, se borne à publier de nouveau cette loi et à rappeler les citoyens à son observation. Tel est le sens du 2° § de l'art. 11 il ne peut dans ce cas ni restreindre les dispositions de la loi ni les étendre, il n'a que le droit de les rappeler. Cette règle a été plusieurs fois maintenue par la jurisprudence. Un arrêté avait défendu aux boulangers de pousser des cris la nuit et avait porté contre les contrevenants les peines applicables aux infractions aux réglements de police. Les jugements qui ont appliqué ces peines ont dû être cassés, puisque ces cris nocturnes rentraient dans les termes de l'article 479, no 8 du C. pén. L'arrêt de cassation dispose a que tout réglement de police qui a pour objet de rappeler une prohibition écrite dans la loi ou d'ordonner l'exécution des dispositions qui y sont renfermées, se réfère de droit, quant à la sanction pénale, aux peines que le législateur a attachées à l'inobservance de ces prohibitions ou dispositions; qu'à la vérité, lorsque le cas n'est pas spécialement prévu par la loi, les tribunaux doivent se régir par les règles générales répressives des contraventions aux réglements faits par l'autorité municipale, dans l'ordre légal de ses attributions; mais que, lorsque la loi a prévu, défini et réprimé par une disposition spéciale le fait ordonné ou défendu par des réglements de cette nature, la peine écrite dans la loi doit seule ètre prononcée 2. »

Cass. 13 août 1819, rapp. M. Chasle. J. P., t. XV, p. 492.
Cass. 24 nov. 1828, M. Gary. J. P., t. XXII, p. 370.

Un autre arrêté défendait de déposer des matériaux dans les rues sans avoir obtenu l'autorisation de la mairie; cette autorisation, étant une addition à l'art. 471, no 4 C. pén., qui ne prohibe que les dépôts de matériaux sans nécessité, a dû être jugée illégale par un arrêt qui porte : « que les maires, dépo sitaires de l'autorité municipale, ne peuvent prescrire des mesures obligatoires pour les citoyens devant les tribunaux que dans le silence des lois ; que quand les lois ont statué sur des objets qui, aux termes des art. 3 et 4, tit. II de la loi du 16-24 août 1790, sont confiés à la vigilance et à l'autorité des corps municipaux, que l'art. 46, tit. Ier de la loi du 12-22 juillet 1791 investit du pouvoir de prendre des arrêtés, pour prescrire sur ces objets les mesures locales qu'ils jugent nécessaires, ces corps, remplacés aujourd'hui par les maires, ne peuvent qu'ordonner l'exécution desdites lois, sans rien ajouter à leurs dispositions et sans rien en retrancher' ».

Cette règle n'admet aucune exception. S'il est des cas où l'arrêté de police peut étendre ou restreindre une disposition légale, c'est que cette faculté lui est reconnue par la loi même. Ainsi, l'art. 21, tit. II de la loi du 15-28 mars 1790 établit la liberté du pesage et du mesurage des denrées dans les maisons particulières et la surveillance de l'autorité municipale dans les places et marchés publics. Or, l'arrêté du 7 brumaire an IX rendu en exécution de cette loi, institue des bureaux publics de pesage et de mesurage, et l'art. 4 porte que << aucune autre personne que les préposés et employés de ces bureaux ne pourra exercer, dans l'enceinte des halles, marchés et ports, la profession de peseur, mesureur et jaugeur. » S'ensuit-il que les arrêtés de police ne puissent établir aucune exception à cette règle générale? La Cour de cassation a décidé « que si les réglements locaux ne peuvent étendre le droit exclusif des peseurs, mesureurs et jaugeurs publics à

'Cass. 10 déc. 1824, rapp. M. Aumont J. P., t. XVIII, p. 1207; 26 mars 1825, rapp. M. Aumont, t. XIX, p. 360; 16 v. 1833, rapp. M. Rives, L. XXV, p. 177.

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des objets et à des cas non autorisés par les lois et réglements généraux, ils peuvent restreindre les dispositions de l'arrêté du 7 brumaire an Ix dans des limites que l'administration juge suffisantes pour garantir l'intérêt public, en le conciliant avec la liberté du commerce. » Et, en effet, les municipalités ont la faculté et non l'obligation d'établir des bureaux de poids et mesurage publics. Dès lors, en les établissant, elles peuvent, suivant les besoins de la commune et du commerce, leur donner une mission restreinte. Il leur appartient d'ailleurs, aux termes de l'art. 2 de la loi du 29 floréal an x,de donner leur avis sur le tarif des droits à percevoir dans les bureaux et sur les réglements y relatifs. Or, ces réglements seraient inutiles si la constitution de chaque bureau devait être faite suivant les prescriptions mêmes de la loi. Il résulte donc de ces dispositions une véritable faculté de modifier les règles légales.

III. Après avoir tracé le cercle dans lequel les arrêtés de police peuvent être pris, il faut déterminér les formes auxquelles ils sont assujettis.

Leurs formes extrinsèques ne sont réglées par aucune disposition légale. Mais, puisqu'ils ont l'autorité et les effets de la loi, ils doivent en affecter les apparences et les solennités; ils doivent particulièrement énoncer l'autorité dont ils émanent, afin que sa compétence puisse être examinée, les articles des lois générales sur lesquels ils s'appuient, afin que leur légalité puisse être vérifiée, la date du lieu et du jour où ils sont pris, afin que le territoire et l'époque de l'exécution soient certains. La Cour de cassation a jugé « qu'un arrêté de police est une véritable loi locale; qu'il a l'autorité et les effets de la loi puisqu'il oblige tous les citoyens; qu'il doit ètre, en conséquence, accompagné des formes et des solennités qui sont les caractères extérieurs de la loi. » Il suit de là qu'une simple instruction, une circulaire, lors même qu'elle serait rendue publique, n'aurait aucun effet obligatoire '. La

'Cass. 22 fév. 1856, rapp. M. Sénéca. Bull. n. 81; et 14 juin 1855, rapp. M. Rives. Bull. n. 209.

'et' Cass. 23 sept. 1853. A notre rapport. Bull, n. 482.

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