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fets que le seul droit « d'annuler les arrêts ou d'en suspendre l'exécution. » Il n'en ont pas l'initiative; leur pourvoir n'est pas réglementaire, ce n'est qu'un contrôle, un droit de réformation et de redressement; ils veillent à ce que l'autorité municipale ne commette aucun excès, à ce que ses mesures de police soient strictement renfermées dans les limites de la délégation qu'elle a reçue, à ce qu'elles soient l'accomplissement de la mission qui lui a été donnée. C'est sous leur surveillance que le pouvoir réglementaire s'exerce, mais les maires seuls en ont l'exercice.

Cette distinction a été nettement posée par la jurisprudence. Nous ne citerons qu'un arrêt ainsi conçu : « En ce qui touche l'arrêté du préfet d'Eure-et-Loir, du 5 mai 1852, qui défend de couvrir aucun bâtiment en matières combustibles dans l'étendue de la commune de Luisart: Attendu que la loi du 18 juillet 1837 ne confère qu'au maire, par son art. 11, le pouvoir de prendre des arrêtés à l'effet d'ordonner des mesures locales sur les objets confiés par les lois à sa vigilance et à son autorité; que si le préfet a le droit, aux termes du même article, soit d'annuler ces arrêtés, soit d'en suspendre l'éxécution, il ne lui appartient pas d'en prendre l'initiative et d'ordonner des mesures qui ne doivent émaner que du pouvoir municipal; que si l'art. 15 de la mème loi dispose que, dans le cas où un maire négligerait ou refuserait de faire un des actes qui lui sont prescrits par la loi, le préfet, après l'en avoir requis, peut y procéder d'office par lui-même, ce droit du préfet n'est applicable qu'aux actes administratifs et ne peut s'étendre aux actes du pouvoir réglementaire; que dès lors l'arrêté du 5 mai 1852, pris par le préfet d'Eure-et-Loir, pour la commune de Luisart, pour suppléer un arrêté pris par le maire de cette commune, a été prescrit en contravention aux art. 11 et 15 de la loi précitée, et qu'il n'y avait pas lieu par conséquent d'en invoquer l'application dans l'es◄ pèce: La Cour rejette'. »

Cass. 23 sept. 1853. A notre rapport. Bull. n. 482.

Voilà le principe; il faut maintenant rechercher s'il comporte quelque exception. Sous l'empire des lois des 16-24 août 1790 et 19-22 juillet 1791, la Cour de cassation avait admis que les préfets, investis d'un droit de surveillance sur les arrêtés de l'autorité municipale, avaient par là même le droit de prendre des arrêtés de même nature sur les mêmes objets. Les arrêts, qui avaient consacré cette exorbitante conclusion, portent simplement que les fonctions municipales sont, d'aprés la loi du 28 pluviôse an VIII, remplies aujourd'hui par les maires sous l'autorité des préfets, leurs supérieurs dans l'ordre de la hiérarchie administrative; que les préfets, investis du droit d'approuver ou de réformer les réglements des maires sur les objets de police administrative, ont essentiellement le pouvoir de prescrire directement des règles sur les mêmes objets 1. » Les textes un peu confus de la législation avaient favorisé cette interprétation qui avait trouvé une sorte de sanction dans le n° 15, ajouté par la loi du 28 avril 1832 à l'art. 471 du C. pén.; ce paragraphe semble assimiler, en effet, aux réglements municipaux les réglements légalement faits par l'autorité administrative. Cependant cette doctrine avait été dès lors fortement contestée ; il était peu logique de conclure du contrôle et de la surveillance à l'initiative; c'était une évidente confusion de deux attributions distinctes. Ensuite le n° 15 de l'art. 471 ne faisait qu'apporter une sanction à des réglements légalement faits; il supposait, dans quelques cas prévus par les lois, le droit antérieur de faire des réglements, mais il n'attribuait nullement le droit nouveau et général de faire ces réglements dans des cas jusques-là non prévus.

Cette confusion fut proscrite par l'art. 11 de la loi du 18 juillet 1837 qui, en présence de cette jurisprudence, et lorsque les préfets étaient par son application journalière en possession du pouvoir réglementaire, n'attribua formellement

'Cass. 7 fév. 1824, rapp. M. Aumont. J. P., t, XVIII, p. 433; 6 mars 1824, rapp. M. Aumont, t. XVIII, p. 504, etc.

et explicitement qu'au maire seul le droit d'ordonner les mesures locales sur les objets confiés par les lois à sa vigilance et à son autorité, et qui restreignit en même temps l'autorité des préfets au seul droit d'annuler ces mesures ou d'en suspendre l'exécution. La jurisprudence dut nécessairement se modifier sous l'empire de ce nouveau texte dont la clarté ne semblait laisser aucune prise aux prétentions des préfets. La Cour de cassation distingua en conséquence les arrêtés préfectoraux pris avant ou après la loi du 18 juillet 1837 et ne reconnut force obligatoire qu'aux premiers. Ainsi, dans une espèce où le préfet du Nord avait pris, le 26 janvier 1821, un arrêté de police en matière de petite voirie, elle a jugé « que si l'art. 11 de la loi du 18 juillet 1837 n'a confié qu'au maire le droit d'ordonner dans chaque commune les mesures locales sur les objets confiés à son autorité, cette disposition ne peut être appliquée à un arrêté antérieur à sa promulga tion '. »

Néanmoins, quelque clairs que soient les termes de la loi, quelqu'explicite et limitée que soit la délégation qu'elle a faite, l'exception que la jurisprudence avait admise avant la loi du 18 juillet 1837 n'a pas tardé à se glisser de nouveau à travers les textes de cette loi et à essayer de mettre à profit, comme elle avait fait autrefois, quelques mots ambigus ou mal définis. Elle ne s'est point présentée pour une seule commune, elle eut été aussitôt repoussée, mais pour une ag. glomération de communes ou pour un département entier ; elle n'a point cherché à s'établir à l'occasion de mesures locales de police, elle n'aurait eu aucun prétexte, mais à l'occasion de mesures de sûreté générale ou qui semblaient intéresser cette sûreté. Il faut examiner les arguments allégués à l'appui de cette nouvelle interprétation.

Un premier motif est clairement formulé dans un arrêt portant : « qu'il appartient au roi de faire les réglements et ordonnances nécessaires pour l'exécution des lois; qu'il peut

Cass. 4 janv. 1855. A notre rapport. Bull. n. 3.

dès lors, par des actes généraux ou spéciaux de son autorité souveraine, ordonner toutes les mesures de sûreté générale qui se trouvent énoncées dans l'art. 3, tit. XI, de la loi du 16-24 août 1790; que les préfets qui sont les mandataires de la puissance royale ont donc le même droit chacun dans sa circonscription administrative; d'où il suit que les arrêtés qu'ils prennent à cet égard sont pleinement légaux et obligatoires. L'argumentation, on le voit, se réduit à ces termes : le pouvoir exécutif a le droit de faire des réglements pour l'exécution des lois; or les préfets sont les mandataires du pouvoir exécutif; donc ils ont le droit de faire des réglements de police. Il est aisé de démontrer le vice de ce raisonnement.

Le pouvoir exécutif a, en effet, suivant l'art. 6 de la constitution du 14 janvier 1852, comme il l'avait sous les constitutions antérieures, le droit « de faire les réglements et décrets nécessaires pour l'exécution des lois. Mais quels sont ces réglements et décrets? Ce sont les actes d'administration générale par lesquels il exerce sa puissance exécutive et pourvoit à l'application des lois ou à l'exercice des droits qu'il tient de ces lois. Les réglements de police font-ils partie de ces actes? La confusion des uns et des autres n'a pu provenir que de cela seul qu'ils sont compris, à des titres différents à la vérité, dans la classe générale des réglemens, d'où l'on a conclu qu'ils appartenaient les uns comme les autres au pouvoir exécutif, pouvoir essentiellement réglementaire. Il y a deux sortes de réglements, les réglements administratifs et les régle*ments de police: les uns qui ont pour objet d'assurer l'exécution des lois, de manifester l'autorité attribuée par la constitution au pouvoir exécutif, de prescrire toutes les mesures qui constituent l'action administrative; les autres qui ont pour objet de maintenir, en général, l'ordre et la sécurité, dont toutes les dispositions aboutissent à ce but commun, qui prescrivent ou prohibent certains actes, certains faits, qui

Cass. 12 sept. 1845, rapp. M. Rives. Bull. n. 356.

frappent les infractions d'une véritable peine, et qui laissent aux tribunaux la mission de l'appliquer. Ce qui sépare profondément ces deux classes de réglements c'est d'abord leur nature distincte les premiers ne statuent que sur des objets qui appartiennent à l'administration, ils ne s'occupent point des actions de la vie commune des citoyens, ils ne leur imposent point de règles de conduite; les autres, au contraire, pénètrent dans cette vie pour en diriger les actes, pour lui prescrire des devoirs, pour lui imposer une responsabilité. Ce qui les distingue ensuite c'est, d'une part, la sanction qui frappe les infractions, c'est, d'une autre part, le mode d'application de cette sanction: dans la première hypothèse, la sanction n'est qu'une interdiction ou une déchéance; dans la seconde, elle est l'application d'une peine; dans l'une, une décision administrative suffit; dans l'autre, il faut une décision de la justice; en un mot, les réglements administratifs ne sont que des actes d'exécution ou des prescriptions du pouvoir gouvernemental agissant dans le cercle de sa compétence; les réglements de police sont, comme on l'a déjà dit, de véritables lois pénales.

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De là il suit que le pouvoir exécutif, qui exerce dans toute sa plénitude le pouvoir réglementaire dans la spère administrative, ne l'exerce pas au même titre dans la sphère de la police. En effet, c'est un principe général que « nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi. » Le droit de décréter des incriminations et de porter des peines excède la mesure, quelque étendue qu'elle soit, du pouvoir exécutif; ce n'est pas trop de la toute puissance de la loi pour imposer des obligations personnelles aux citoyens et pour leur infliger des châtimens. « On peut regarder cette maxime, disait M. Treilhard, comme la plus forte garantie de la tranquillité des citoyens. » Or, les réglements de police ont la force et tous les effets des lois pénales, ils créent, comme ces lois, des devoirs

Const. du 3 sept. 1791; art, 8 de la décl. des droits de 1789, art. 4, C. pén.

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