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et infligent des peines, ils provoquent l'action publique, ils appellent les jugements des tribunaux. Il est donc clair qu'ils ne peuvent émaner que du pouvoir qui fait les lois, que ce pouvoir, s'il ne les prend pas lui-même, comme il l'a fait dans les art. 471, 475 et 479 du C. pén., doit déléguer directement et formellement le droit de les faire, que ce droit est un démembrement du droit du législateur, qu'il est nécessaire que le législateur en opère une translation précise et explicite entre les mains qui l'exercent. Il est des cas nombreux, et nous le verrons tout à l'heure, où le pouvoir exécutif a reçu du pouvoir législatif le droit de procéder à des réglements à l'infraction desquels une sanction pénale est attachée; mais, en dehors de ces cas, clairement spécifiés, et lorsqu'aucune délégation n'existe, comment revendiquer pour lui un pouvoir qui n'appartient pas à ses attributions légales?

Un autre argument est puisé dans la hiérarchie administrative si les maires peuvent prendre des arrêtés de police, comment les préfets, leurs supérieurs hiérarchiques, comment le pouvoir exécutif lui-même, sous l'autorité duquel ils exercent leur fonctions, ne seraient-ils pas de plein droit investis du même pouvoir? Les maires sont asssurément, en ce qui concerne les actes administratifs auxquels ils procèdent, les agents et les délégués du pouvoir exécutif; mais, en ce qui concerne l'exercice du pouvoir réglementaire de la police, ils ne sont les délégués que de la loi. Leur titre à cet égard est tout entier dans la délégation légale, ils n'en ont point d'autre. Dès lors, et puisque le droit de réglementer la matière de la police ne rentre pas dans les attributions du pouvoir exécutif, il s'ensuit qu'il ne peut remonter de l'agent inférieur à l'agent supérieur; il est attaché à la fonction municipale par un lien inflexible, il ne peut en être séparé. Et pourquoi cette délégation restrictive et limitée ? C'est que, on l'a déjà dit, le pouvoir réglementaire changerait de nature entre les mains des préfets; il n'aurait plus son caractère de sollicitude paternelle et d'inquiète prévoyance; il aspirerait, par cela seul qu'il serait placé dans une

sphère plus élevée, à généraliser ses prescriptions et à les multiplier ce ne seraient plus des besoins locaux, des intérêts vivants, qui motiveraient son exercice, c'est le désir d'améliorer les usages, de les renouveler, de soumettre toutes les communes à des règles uniformes et nouvelles. Ce ne serait plus la mission étroite et restreinte que la loi a voulu déléguer aux officiers municipaux, ce serait une autre mission, le démembrement d'une autre portion du pouvoir législatif, mais d'une portion qui n'a jamais été déléguée et qui ne pourrait l'être sans de graves périls pour la liberté civile: dès que les réglements s'étendent au delà de la commune et généralisent leurs dispositions, il n'existe plus de motifs pour ne pas les faire participer aux garanties de la loi.

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On invoque encore le texte de l'art. 9 de la loi du 18 juillet 1837. Cet article est ainsi conçu Le maire est chargé, sous l'autorité de l'administration supérieure,.... 3° de l'exécution des mesures de sûreté générale. » De ces derniers mots on induit que l'autorité supérieure sous laquelle les maires sont placés, a le droit de prendre des mesures de sûreté générale, puisque ceux-ci sont chargés de les exécuter; et il a été jugé en conséquence par un arrêt récent que l'arrêté d'un préfet, qui a pour objet de régler la police des cabarets, rentre, comme mesure d'ordre public et de sûreté générale, dans les attributions réservées au préfet, mandataire et délégué du pouvoir exécutif, par l'art. 9 de la loi du 18 juillet 1837 ; et par un autre arrêt encore, « qu'il appartient à l'autorité administrative supérieure de pourvoir à la sûreté générale et à la sécurité publique par des réglements ou arrêtés directement émanés de cette autorité; que la loi du 18 juillet 1837 n'a nullement modifié cette attribution absolue, puisque le n° 3 de son art. 9 charge, au contraire, les maires de faire exécuter ces mesures, sous l'autorité de l'administration supérieure 2. »

1 Cass. 26 janv. 1856, rapp. M. Aug. Moreau, Bull; n. 38.

2 Cass. 19 janv. 1856, rapp. M. Caussin de Perceval, Bull. n. 29.

Il semble que la jurisprudence confond encore ici les mesures de sûreté générale qui peuvent être prises soit par la loi, soit par le pouvoir exécutif, dans le cercle de ses attributions légales, et les arrêtés de police, qui peuvent bien dans quelques cas avoir trait à la sûreté publique, mais qui constituent des mesures tout à fait distinctes. Supposez que, dans le cas d'une épidémie menaçante, le pouvoir exécutif ordonne des mesures de précaution, que, dans le cas d'une inondation, il prescrive des moyens de préservation ou de sauvetage, que, dans le cas de troubles, il commande, comme il le peut, par exemple, en état de siége, le désarmement des citoyens, la visite des habitations suspectes, etc.; le maire, comme agent du pouvoir exécutif, comme fonctionnaire administratif soumis à l'autorité supérieure du préfet, est tenu de prêter son concours à l'exécution de ces mesures de sûreté générale. Voilà l'hypothèse prévue par l'art. 9 : le maire est chargé de les faire exécuter dans sa commune; la loi, pour prévenir toute résistance de sa part, a voulu définir toutes les obligations de sa fonction, tous les actes que les événements peuvent lui imposer; mais elle n'a pas d'autre but; elle ne s'occupe en aucune manière de la légalité des mesures dont elle se borne à assurer l'exécution. Ces mesures, elle les suppose légalement prises, comme le fait le n° 15 de l'art. 471 du C. pén. à l'égard des réglements de l'autorité administrative. Elle ne confère à l'autorité supérieure aucune attribution, aucun droit. Il faut que cette autorité cherche dans une autre loi, dans un autre texte, le pouvoir de prendre des mesures de sûreté générale; il ne s'agit ici que de l'un des actes de leur exécution. C'est là le texte formel et précis de l'art. 9; on peut le presser, il est impossible d'en faire sortir rien de plus.

Et comment admettre d'ailleurs que le législateur ait eu la pensée d'établir cette faculté discrétionnaire de prendre des mesures de sûreté générale? Ne serait-il pas étrange d'abord que cette attribution, qui aurait été créée, non point au profit de l'autorité municipale, mais au profit du pouvoir exécutif et

de ses agents, eut pris place dans une loi qui n'a d'autre objet que de déterminer les attributions municipales? Ensuite, quel serait donc ce droit indéfini, exorbitant, d'ordonner des mesures de sûreté? Comprend-on que le législateur de 1837 eut voulu doter le pouvoir exécutif, l'administration, d'un pouvoir sans limite et sans mesure, de sorte que toutes ses prescriptions, quelles qu'elles fussent, deviendraient légitimes par cela seul qu'elles auraient pour objet la sécurité générale? On se borue dans la thèse actuelle, à la vérité, à rattacher l'art. 9 aux réglements de police, à confondre les mesures de police dans les mesures de sûreté générale; on veut que le pouvoir exécutif et les préfets puissent prendre des arrêtés de police par cela seul qu'ils seraient investis du droit de prendre ces mesures de sûreté. Mais, si l'on atténue, en se plaçant sur ce terrain, la conséquence de l'interprétation, on ne fait qu'accroître la difficulté.

La question, en effet, est ramenée dans cette hypothèse à savoir si le droit de prendre des mesures de sûreté générale peut contenir celui de prendre des arrêtés de police. Or, une première remarque est que ces mots de « mesures de sûreté générale »> ne sont pris dans l'art. 9 que par opposition aux mesures de police locale. Le maire, dont toute l'autorité est circonscrite dans la commune, devait naturellement ne se croire appelé qu'à prendre part aux dispositions spéciales à la commune. L'art. 9 a pour objet d'étendre ses fonctions; il veut que l'autorité municipale soit chargée, outre ses attri— butions locales, 'de concourir aux mesures générales qui lui sont naturellement étrangères. Voilà pourquoi il a soin d'opposer aux mesures locales de police, des mesures, non plus locales, mais générales, non plus de police, mais de sûreté. Cependant c'est dans ces mesures générales mêmes qu'on prétend trouver les arrêtés de police. Dans le langage de la loi, il faut en convenir, ce n'est pas là la qualification que reçoivent ces arrêtés, lors même qu'ils s'étendraient à plusieurs communes et même à plusieurs départements. La police, nous ne parlons ici que de la police municipale, touche

à des intérêts trop minimes pour influer sur la sûreté générale; elle ne s'y rattache que très secondairement, d'une manière accessoire et restreinte, et si ses mesures, étendues au delà des limites de la commune, acquièrent une importance plus grande, elles ne peuvent néanmoins jamais être considérées, dans le cercle étroit où elles sont enfermées, comme des mesures de sûreté générale. Ensuite, la loi, en mentionnant ces mesures pour en confier l'exécution au maire, suppose évidemment, comme on l'a déjà dit, qu'elles sont légales, qu'elles sont prises en vertu des droits attribués au pouvoir qui les ordonne. Or, en ce qui concerne les arrêtés de police, elle n'a pu faire cette supposition, puisque nulle disposition, nul texte n'a attribué soit au pouvoir exécutif en général, soit aux préfets spécialement le droit de prendre des arrêtés généraux ou particuliers sur les matières attribuées à la police municipale. Ainsi, il faudrait voir à la fois dans l'art. 9 une référence aux attributions légales du pouvoir exécutif et la création d'une attribution nouvelle que le pouvoir exécutif ne possédait pas, et ces deux dispositions si diverses et même si contraires l'une à l'autre seraient l'une et l'autre renfermées dans cette seule énonciation que « le maire est chargé, sous l'autorité de l'administration supérieure, de l'exécution des mesures de sûreté générale. ».

Ce n'est pas tout. Le droit de prendre des mesures de sûreté générale et le droit de prendre des arrêtés même généraux de police ne dérivent pas de la même source; celui-là est une des attributions du pouvoir exécutif, celui-ci est, au contraire, ainsi qu'on l'a vu, un démembrement du pouvoir législatif, d'où la nécessité d'une délégation formelle et expresse de ce pouvoir. La loi devait donc faire, dans l'art. 9, en faveur du pouvoir exécutif ou des préfets, ce qu'elle a fait dans l'art. 11 en faveur des maires. Or comment arrive-t-il que cette délégation si précise et si nette de l'art. 11 ne se retrouve pas dans l'autre article? Comment, quand le droit de prendre des arrêtés sur les objets confiés à leur vigilance et à leur autorité, est si clairement attribué aux maires, ee

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