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» Ainsi en 1848, lorsque 6,000,000 de suffrages me nommèrent en dépit de la Constituante, je n'ignorais pas que le simple refus d'acquiescer à la Constitution pouvait me donner un trône; mais une élévation qui devait nécessairement entraîner de graves désordres ne me séduisit pas,

» Au 13 juin 1849, il m'était également facile de changerla forme du gouvernement. Je ne le voulus pas.

Enfin, au 2 décembre, si des considérations personnelles l'eussent emporté sur les graves intérêts du pays, j'eusse d'abord demandé au peuple, qui ne l'eût pas refusé, un titre pompeux. Je me suis contenté de celui que j'avais,

>> Lors donc que je puise des exemples dans le Consulat et dans l'Empire, c'est que là surtout je les trouve empreints de nationalité et de grandeur. Résolu aujourd'hui, comme avant, de faire tout pour la France, rien pour moi, je n'accepterais de modifications à l'état présent des choses que si j'y étais contraint par une nécessité évidente. D'où peut-elle naître ? Uniquement de la conduite des partis. S'ils se résignent, rien ne sera changé; mais si, par leurs sourdes menées, ils cherchaient à saper les bases de mon gouvernement; si, dans leur aveuglement, ils niaient la légitimité du résultat de l'élection populaire; si, enfin, ils venaient sans cesse par leurs attaques mettre en question l'avenir du pays, alors, mais seulement alors, il pourrait être raisonnable de demander au peuple, au nom du repos de la France, un nouveau titre qui fixât irrévocablement sur ma tête le pouvoir dont il m'a revêtu.

» Mais ne nous préoccupons pas d'avance de diffcultés qui n'ont sans doute rien de probable. Conservons la République; elle ne menace personne, elle peut rassurer tout le monde. Sous sa bannière, je veux inaugurer de nouveau une ère d'oubli et de conciliation, et j'appelle sans distinction tous ceux qui veulent concourir avec moi au bien public.

» La Providence, qui, jusqu'ici, a si visiblement béni mes efforts, ne voudra pas laisser son œuvre inachevée. Elle nous animera tous de ses inspirations, et nous donnera la sagesse et la force nécessaires pour consolider un ordre de choses qui assurera le bonheur de notre patrie et le repos de l'Europe. »

La France était complétement rassurée; elle avait une foi entière en Louis-Napoléon, en celui qu'elle avait fait l'arbitre de ses destinées. Mais si, au mois de décembre 1851, époque voisine d'un temps où l'on vivait au jour le jour, dix années de sécurité avaient été accueillies comme un immense bienfait, on ne tarda pas à comprendre que, en définitive, ce n'était qu'un temps d'arrêt que des événements imprévus pouvaient encore abréger.

Et puis, d'une autre part, la France rendue à ses instincts comprenait plus que jamais que, pour elle, la République n'était pas le meilleur des gouvernements. Elle aspira donc bientôt ardemment au bonheur de voir les pouvoirs de Louis - Napoléon se perpétuer avec le rétablissement de la forme monarchique, c'est-à-dire en relevant cette monarchie populaire, inaugurée avec tant d'éclat par l'Empereur un demi-siècle auparavant.

En effet, n'y a-t-il pas une anomalie manifeste dans le fait d'un grand peuple, à instincts monarchiques, gouverné par un pouvoir républicain?

La France et la plupart des sociétés modernes sont monarchiques, parce qu'elles sentent le besoin de stabilité, en raison de l'extension donnée à l'industrie et au commerce, et du degré de bien-être dont elles jouissent. La France, en particulier, est encore monarchique par son passé de quatorze siècles, auquel elle doit son importance actuelle; par ses souvenirs des secousses incessantes, qui ont accompagné les essais de république qu'elle a faits deux fois, à plus d'un demi-siècle d'intervalle.

De la révolution de 1789, qui lui a fait subir tant de constitutions diverses en si peu d'années, le pays ne veut retenir que les grands principes d'éternelle justice qu'elle a proclamés dans ses bons jours.

La République de 1848 ne lui apparaît qu'avec les sinistres journées de février, de mai, de juin même année, du 29 janvier, du 13 juin 1849; qu'avec le spectre du drapeau rouge et les actes d'assassinat et de pillage de la fin de 1851 dans plusieurs départe

ments.

Il est donc tout naturel que la France professe peu de sympathie pour cette forme de gouvernement, rêve d'une si faible minorité divisée par de si profonds dissentiments.

Il existe une autre cause, qui aura son influence dans tous les temps: c'est l'étendue de son territoire. <<< Il est de la nature d'une république, dit Montesquieu » (livre VIII, chap. xvi, de l'Esprit des lois), qu'elle

» n'ait qu'un petit territoire; sans cela, elle ne peut >> guère subsister. Dans une grande république, il y >> a de grandes fortunes, et par conséquent peu de » modération dans les esprits : il y a de trop grands » dépôts à mettre entre les mains d'un citoyen; les >> intérêts se particularisent. Un homme sent d'abord » qu'il peut être heureux, grand, glorieux, sans sa >> patrie; et bientôt qu'il peut être seul grand sur les >> ruines de sa patrie.

>> Dans une grande république, le bien commun » est sacrifié à mille considérations: il est subor» donné à des exceptions; il dépend des accidents. >> Dans une petite, le bien public est mieux senti, » mieux connu, plus près de chaque citoyen; les >> abus y sont moins étendus, et par conséquent moins » protégés.

>> Ce qui fit subsister si longtemps Lacédémone, » c'est qu'après toutes ses guerres elle resta toujours » avec son territoire. Le seul but de Lacédémone » était la liberté; le seul avantage de sa liberté, » c'était la gloire. »

Nous considérons donc comme complétement fausse cette opinion, bien qu'elle soit professée par certains hommes honorables, que l'établissement de la forme républicaine en France ne serait qu'une question de temps, de civilisation. N'est-il pas incontestable que la plupart des sectes républicaines conspiraient contre la civilisation, et tendaient à faire rétrograder la France jusqu'à l'état sauvage? Aussi sommes-nous convaincu que la stabilité et l'unité, cette puissance infinie qui tient du prodige, qui a fait tant de merveilles, seront

à jamais tenues en France pour les vrais éléments de progrès, de civilisation et de bien-être.

Quoi qu'il en soit, déjà le vœu de la France s'était fait jour sous différentes formes, notamment par les conseils électifs, lorsque Louis-Napoléon entreprit, au mois de septembre 1852, le voyage du Midi, qui fournit au peuple l'occasion des plus vives acclamations.

C'est sous l'impression flagrante de tous ces vœux que Louis-Napoléon prononça à Bordeaux, le 9 octobre, le fameux discours dont la teneur suit :

« L'invitation de la chambre et du tribunal de commerce de Bordeaux, que j'ai acceptée avec empressement, me fournit l'occasion de remercier votre grande cité de son accueil si cordial, de son hospitalité si pleine de magnificence, et je suis bien aise aussi, vers la fin de mon voyage, de vous faire part des impressions qu'il ma laissées.

» Le but de ce voyage, vous le savez, était de connaître par moi-même nos belles provinces du Midi, d'approfondir leurs besoins. Il a, toutefois, donné lieu à un résultat beaucoup plus important.

» En effet, je le dis avec une franchise aussi éloignée de l'orgueil que d'une fausse modestie, jamais peuple n'a témoigné d'une manière plus directe, plus spontanée, plus unanime, la volonté de s'affranchir des préoccupations de l'avenir, en consolidant dans la même main un pouvoir qui lui est sympathique. C'est qu'il connaît, à cette heure, et les trompeuses espérances dont on le berçait, et les dangers dont il était menacé. Il sait qu'en 1852 la société

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