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courait à sa perte, parce que chaque parti se consolait d'avance du naufrage général par l'espoir de planter son drapeau sur les débris qui pourraient surnager. Il me sait gré d'avoir sauvé le vaisseau en arborant seulement le drapeau de la France.

» Désabusé d'absurdes théories, le peuple a acquis la conviction que les réformateurs prétendus n'étaient que des rêveurs, car il y avait toujours inconséquence, disproportion entre leurs moyens et les résultats promis.

» Aujourd'hui, la France m'entoure de ses sympathies, parce que je ne suis pas de la famille des idéologues. Pour faire le bien du pays, il n'est pas besoin d'appliquer de nouveaux systèmes, mais de donner, avant tout, confiance dans le présent, sécurité dans l'avenir. Voilà pourquoi la France semble vouloir revenir à l'Empire.

>> Il est néanmoins une crainte à laquelle je dois répondre. Par esprit de défiance, certaines personnes se disent L'Empire, c'est la guerre. Moi je dis : L'Empire, c'est la paix.

:

>> C'est la paix, car la France la désire, et lorsque la France est satisfaite, le monde est tranquille. La gloire se lègue bien à titre d'héritage, mais non la guerre. Est-ce que les princes qui s'honoraient justement d'être les petits-fils de Louis XIV ont recommencé ses luttes? La guerre ne se fait pas par plaisir, elle se fait par nécessité; et à ces époques de transition où partout, à côté de tant d'éléments de prospérité, germent tant de causes de mort, on peut dire avec vérité Malheur à celui qui, le premier, don

nerait en Europe le signal d'une collision dont les conséquences seraient incalculables!

» J'en conviens, cependant, j'ai, comme l'Empereur, bien des conquêtes à faire. Je veux comme lui, conquérir à la conciliation les partis dissidents, et ramener dans le courant du grand fleuve populaire les dérivations hostiles qui vont se perdre sans profit pour personne.

» Je veux conquérir à la religion, à la morale, à l'aisance, cette partie encore si nombreuse de la population qui, au milieu d'un pays de foi et de croyance, connaît à peine les préceptes du Christ; qui, au sein de la terre la plus fertile du monde, peut à peine jouir de ses produits de première nécessité.

» Nous avons d'immenses territoires incultes à défricher, des routes à ouvrir, des ports à creuser, des rivières à rendre navigables, des canaux à terminer, notre réseau de chemins de fer à compléter. Nous avons en face de Marseille un vaste royaume à assimiler à la France. Nous avons tous nos grands ports de l'Ouest à rapprocher du continent américain par la rapidité de ces communications qui nous manquent encore. Nous avons partout enfin des ruines à relever, de faux dieux à abattre, des vérités à faire triompher.

» Voilà comment je comprendrais l'empire, si l'empire doit se rétablir. Telles sont les conquêtes que je médite, et vous tous qui m'entourez, qui voulez comme moi le bien de notre patrie, vous êtes mes soldats.

Louis-Napoléon avait reconnu qu'il ne lui était plus permis d'hésiter, sans faillir à ce dévouement constamment voué par lui à la France, et qu'il serait imprudent, dans l'état actuel des esprits, d'exposer son pays à de nouvelles perplexités par des scrupules qui n'avaient plus de raison d'être.

Aussi, dès le 19 octobre, le Sénat était convoqué pour le 4 novembre, conformément aux articles 24 et 31 de la Constitution.

Dans la première séance, le ministre d'État a donné, au nom de Louis-Napoléon, lecture du message suivant :

« MESSIEURS LES SÉNATEURS,

» La nation vient de manifester hautement sa volonté de rétablir l'empire. Confiant dans votre patriotisme et vos lumières, je vous ai convoqués pour délibérer légalement sur cette grave question et vous remettre le soin de régler le nouvel ordre de choses. Si vous l'adoptez, vous penserez sans doute, comme moi, que la Constitution de 1852 doit être maintenue, et alors les modifications reconnues indispensables ne toucheront en rien aux bases fondamentales.

» Le changement qui se prépare portera principalement sur la forme, et cependant reprendre le symbole impérial est pour la France d'une immense signification. En effet, dans le rétablissement de l'Empire, le peuple trouve une garantie à ses intérêts et une satisfaction à son juste orgueil : ce rétablisse

ment garantit ses intérêts en assurant l'avenir, en fermant l'ère des révolutions, en consacrant encore les conquêtes de 89. Il satisfait son juste orgueil, parce que, relevant avec liberté et avec réflexion ce qu'il y a trente-sept ans l'Europe entière avait renversé par la force des armes, au milieu des désastres de la patrie, le peuple venge noblement ses revers sans faire de victimes, sans menacer aucune indépendance, sans troubler la paix du monde.

>> Je ne me dissimule pas néanmoins tout ce qu'il y a de redoutable à accepter aujourd'hui et à mettre sur sa tête la couronne de Napoléon; mais mes appréhensions diminuent par la pensée que, représentant à tant de titres la cause du peuple et la volonté nationale, ce sera la nation qui, en m'élevant au trône, se couronnera elle-même. »

Le ministre d'État s'étant retiré, une proposition de modification à la Constitution, signée par dix sénateurs, a été déposée entre les mains du président du Sénat.

Les bureaux se sont immédiatement réunis pour décider si la proposition serait lue en séance générale.

Les bureaux ayant été unanimes pour autoriser la prise en considération de la proposition, lecture en a été donnée par M. le baron Lacrosse, secrétaire du Sénat.

Cette proposition était signée par MM. Mesnard, Troplong, Baraguay d'Hilliers, cardinal Dupont, général comte d'Hautpoul, baron T. de Lacrosse, maréchal Vaillant, général comte Regnaud de Saint

Jean d'Angély, comte Siméon, général comte d'Or

nano.

Le prince Jérôme, président du Sénat, obéissant à des scrupules personnels, a invité M. le vice-président Mesnard à le remplacer.

MM. les Sénateurs se sont ensuite retirés dans leurs bureaux pour procéder à l'élection des membres de la commission, qui a été ainsi composée :

Premier bureau.

Le président Troplong.

Son Éminence le cardinal Dupont.

Deuxième bureau.

Le comte d'Argout.

Le comte de la Riboissière.

Troisième bureau.

Le duc de Cambacérès.

Le général comte Regnaud de Saint-Jean d'Angély.

Quatrième bureau.

Le général comte d'Hautpoul.

Leverrier.

Cinquième bureau.

Son Éminence le cardinal Donnet.

Le duc de Mortemart.

M. Troplong a été choisi pour rapporteur.

La séance du 6 a été entièrement consacrée à entendre la lecture du rapport de la commission, œuvre digne de la plume de l'illustre jurisconsulte.

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