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gaulois, ne durent-ils pas singulièrement émouvoir les fibres tendues de l'auguste exilé?

Ne dut-il pas aussi être vivement touché au récit des atroces souffrances morales et physiques qu'endura l'Empereur dans la partie la plus inhospitalière de l'île Sainte-Hélène? Que de larmes ne dut-il pas verser quand l'Empereur lui apparaissait mourant sur un misérable rocher, les yeux tournés vers la France, en appelant avec confiance à l'impartialité de l'histoire de ce déluge d'infâmes libelles publiés à profusion dans le but de ternir sa gloire !

Avec quelle ardeur ne dut-il pas ambitionner le suprême bonheur de venger la mémoire d'un héros, làchement souillée par d'aveugles haines, et les gloires nationales ternies, mais non effacées, par la trahison et l'intrigue !

Combien de fois son cœur dut tressaillir à ce vœu exprimé dans le testament de l'Empereur à la date du 15 avril 1824 :

« Je désire que mes cendres reposent sur les bords » de la Seine, au milieu de ce peuple français que » j'ai tant aimé! »

Voeu si cher à l'Empereur, que le lendemain même il le renouvelait exactement dans les mêmes termes, comme première disposition du premier de ses codicilles!

Tous ces souvenirs, toutes ces aspirations durent contribuer pour beaucoup à lui former ce caractère mûr avant l'âge et empreint d'une teinte mélancolique, qui a pu dissimuler, mais n'a jamais exclu la vigueur de sa volonté.

Aussi, pour peu qu'on étudie les œuvres de Napoléon, on reconnaît qu'il a voué un véritable culte à la mémoire de l'Empereur, et que chacun des actes, chacune des pensées du héros des temps modernes, ont dû être pour lui l'objet de longues et affectueuses méditations.

Pour se faire une idée de l'influence qu'elles ont pu exercer sur l'esprit et le cœur du jeune prince, il importe de citer ici quelques-unes de ces pensées, qui sont, en quelque sorte, le résumé, le catéchisme du système gouvernemental de l'Empereur, non pas tel qu'il l'a toujours pratiqué, mais tel qu'il avait l'intention de le réaliser en temps opportun. Ce n'est pas à dire que le neveu ait adopté aveuglément toutes les idées de l'oncle : les circonstances et le temps apportent des modifications nécessaires; puis les idées d'autrui, en passant par une tête d'élite, subissent un travail qui tout naturellement les modifie. Nos propres opinions ne sont pas toujours à l'abri de l'influence du temps et de la réflexion. « Il est des » hommes, dit Mirabeau dans une lettre au comte » de Lamark, qui ne changent jamais de manière » de penser, ce sont les hommes qui ne pensent pas. »

Du reste, le lecteur jugera par lui-même, puisque nous reproduirons plus loin les principales idées de Louis-Napoléon; mais il est évident que le neveu a dû considérer l'ensemble de ce système comme la plus belle partie de l'héritage impérial. Nous pensons d'ailleurs que le lecteur nous saura gré de mettre sous ses yeux quelques-unes de ces pensées si riches en aperçus nouveaux et éminemment pratiques, et

que les événements comtemporains doivent plus que jamais signaler à l'attention générale :

PENSÉES DE NAPOLÉON Ter.

« Les gouvernements provisoires placés dans des >> circonstances difficiles doivent exclusivement pren» dre conseil du salut public et de l'intérêt de la patrie. >>

(Lettre au gouvernement provisoire de Gênes du 28 prairial an V.)

<< Tout gouvernement qui est né et se maintient >> sans l'intervention d'une force étrangère est na>>> tional. >>> (Mémoires de Napoléon.)

« La propriété, les lois civiles, l'amour du pays, » la religion sont les liens de toute espèce de gou

» vernement. >>

(Mémoires de Napoléon.) * « Quand on veut se mêler de gouverner, il faut » savoir payer de sa personne; il faut savoir se >> laisser assassiner. >> (Mémoires sur le Consulat.) «Toutes les institutions ici-bas ont deux faces, » disait l'Empereur, celle de leurs avantages et celle » de leurs inconvénients; on peut donc, par exemple, >> soutenir et combattre la république et la monarchie. » Nul doute qu'on ne prouve facilement en théorie » que toutes deux également sont bonnes et fort >> bonnes; mais en application, ce n'est plus aussi » aisé. Et il arrivait à dire que l'extrême frontière » du gouvernement de plusieurs était l'anarchie; >> l'extrême frontière du gouvernement d'un seul, le >> despotisme; que le mieux serait indubitablement

» un juste milieu, s'il était donné à la sagesse hu>>> maine de savoir s'y tenir. Et il remarquait que ces » vérités étaient devenues banales, sans amener >> aucun bénéfice; qu'on avait écrit à cet égard des >> volumes jusqu'à satiété, et qu'on en écrirait grand nombre encore sans s'en trouver beaucoup mieux, etc., etc. »> (Mémorial).

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« La révolution française n'a pas été produite par >> le choc de deux familles se disputant le trône; elle » a été un mouvement général de la masse de la >> nation contre les privilégiés. La noblesse française, » comme celle de toute l'Europe, date de l'incursion » des barbares qui se partagèrent l'empire romain. » En France, les nobles représentaient les Francs et >> les Bourguignons; le reste de la nation, les Gaulois. » Le régime féodal qui s'introduisit établit le principe » que toute terre avait un seigneur. Tous les droits politiques furent exercés par les prêtres et les >> nobles; les paysans furent esclaves, partie attachés » à la glèbe. La marche de la civilisation et des lu» mières affranchit le peuple. Ce nouvel état de >> choses fit prospérer l'industrie et le commerce; la majeure partie des terres, des richesses et des >> lumières était le partage du peuple dans le dix>> huitième siècle. Les nobles cependant étaient encore >> une classe privilégiée : ils conservaient la haute et » la moyenne justice, avaient des droits féodaux >> sous un grand nombre de dénominations et de for» mes diverses, jouissaient du privilége de ne sup>> porter aucune des charges de la société, de posséder >> exclusivement les emplois les plus honorables. Tous

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>> ces abus excitaient les réclamations des citoyens. » La révolution eut pour but principal de détruire » tous les priviléges; d'abolir les justices seigneu» riales, la justice étant un inséparable attribut de » l'autorité souveraine; de supprimer les droits féodaux, comme un reste de l'ancien esclavage du peuple; de soumettre également tous les citoyens » et toutes les propriétés, sans distinction, aux charges de l'État. Enfin elle proclama l'égalité des >> droits. Tous les citoyens purent parvenir à tous les emplois, selon leurs talents et les chances de la » fortune. Le royaume était composé de provinces, » qui avaient été réunies à la couronne plus ou moins » tard elles n'avaient entre elles aucunes limites »> naturelles; elles étaient différemment divisées, >> inégales en étendue et en population; elles avaient » un grand nombre de coutumes ou lois particulières, » pour le civil comme pour le criminel, étaient plus >> ou moins privilégiées, très-également imposées, >> soit par la qualité, soit par la nature des impositions, ce qui obligeait à les isoler les unes des au» tres par des lignes de douanes. La France n'était pas un État; c'était la réunion de plusieurs États placés à côté les uns des autres sans amalgame. » Les événements, les siècles passés, le hasard » avaient déterminé le tout. La révolution guidée » par le principe de l'égalité, soit entre les citoyens, >> soit entre les diverses parties du territoire, dé» truisit toutes ces petites nations, et en forma une » nouvelle il n'y eut plus de Bretagne, de Nor» mandie, de Bourgogne, de Champagne, de Pro

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