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Dépêche diplomatique de M. Guizot, ministre des affaires étrangères, au général Flahaut, ambassadeur de France en Autriche, en lui exprimant l'espoir que la cour d'Autriche n'abusera pas de sa position à Krakovie.

Paris, le 23 mars 18461.

Monsieur le comte, j'ai reçu les lettres par lesquelles vous m'avez successivement informé des événements qui ont affligé la république de Krakovie et le royaume de Galicie. M. le comte d'Appony m'avait donné communication d'une dépêche de M le prince de Metternich, dont l'objet était de constater la nécessité de l'occupation militaire de Krakovie et d'établir que cette mesure, imperieusement exigée par l'obligation de protéger les habitants paisibles et le gouvernement de cette ville, ne se rattachait, dans sa pensée, à aucune vue politique.

Je n'ai pas besoin de vous dire quel sentiment pénible ont inspiré au gouvernement du Roi les désastres qu'une tentative insensée a fait éclater sur les malheureuses populations de Krakovie et de Galicie. La tranquillité publique n'a été troublée qu'un instant, et, dans cette triste lutte, les forces étaient trop disproportionnées pour qu'on pût croire que l'ordre ne serait pas promptement rétabli; les maux de toute nature qu'a enfantés une crise si violente, dans sa courte durée, ne sauraient malheureusement disparaître avec la même rapidité.

La sagesse et l'humanité des gouvernements peuvent seules y porter remède. Nous connaissons la modération habituelle du Cabinet de Vienne, et les communications qui m'ont été faites de sa part prouvent qu'au moment même où la gravité des circonstances portait plus particulièrement sa pensée sur la nécessité d'une répression sévère, il ne perdait pourtant de vue ni l'étendue et la difficulté des devoirs d'un gouvernement paternel, ni les considérations qui pouvaient l'engager à user de clémence.

A mesure que le sentiment bien naturel d'inquiétude et d'irritation que l'insurrection avait fait naître se sera affaibli par le rétablissement de l'ordre, les considérations dont je viens de parler auront sans doute pris tout leur légitime empire, et nous en trouverons certainement la preuve dans les actes du gouvernement autrichien.

Quant à l'occupation militaire sous laquelle se trouve actuellement placée la république de Krakovie, les assurances que m'a fait donner M. le prince de Metternich, et celles que j'ai aussi reçues de Berlin, me donnent, et je l'avais d'avance, la pleine conviction que ce n'est là qu'une mesure exceptionnelle destinée à cesser auss tôt que les conjonctures permettront de rentrer sans danger dans la situation créée par le traité de Vienne. Le respect des traités est une des bases les plus essentielles de la politique conservatrice, et je sais combien cette politique est conforme à toutes les vues du gouvernement autrichien.

Vous voudrez bien donner lecture de cette dépêche à M. le prince de Metternich, et vous pourrez lui en remettre copie.

Agréez, etc., étc.

1. Archives de France.

Guizot.

Dépêche diplomatique de M. Guizot à M. Flahaut, à Vienne, en l'autorisant de délivrer des passe-ports aux Polonais réfugiés qui veulent se rendre de Krakovie ou de Galicie en France.

Paris, le 23 mars 1846.

Monsieur le comte, dans la dépêche que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire le 6 de ce mois, sous le n° 16, vous m'avez prié de vous faire savoir le plus promptement possible si le gouvernement du roi vous autorisait à délivrer les passe-ports qui vous seront demandés pour donner, à des Polonais compromis dans les derniers mouvements, la possibilité de se retirer en France. Je m'empresse de vous annoncer que vous ne devez pas hésiter à accorder ces passe-ports. Le gouvernement du roi, quels que soient les embarras et la difficulté qui peuvent résulter pour lui de l'accroissement du nombre déjà si considérable des réfugiés réunis sur son territoire, ne reculera pas devant l'appel fait tout à la fois à son humanité et à sa politique. Il se félicite de pouvoir, en donnant un asile à des infortunés, faciliter au Cabinet de Vienne la réalisation des pensées de modération et de prudence qui lui font désirer de ne pas multiplier les victimes, et de ne pas ajouter des souffrances nouvelles à celles qui ont déjà si cruellement expié une téméraire tentative.

Guizot.

Dépêche diplomatique de M. Magenis à lord Aberdeen, en lui annonçant que le prince de Metternich n'est pas encore fixé sur la politique à suivre, à l'égard de Krakovie, mais qu'il déclare toujours qu'il respectera les traités de Vienne.

Vienne, le 1er avril 1846'.

Sur la mention que j'ai faite du départ du comte de Ficquelmont, le prince de Metternich m'a dit qu'il avait conseillé à l'empereur d'envoyer le comte à Berlin pour donner au Cabinet prussien des explications sur les affaires de Pologne (le prince s'est servi des mots français pour éclaircir notre position sur les affaires polonaises), mais Son Altesse ne m'a pas spécifié les points sur lesquels les explications devaient être données; je ne puis, par conséquent, former que des conjectures sur ce qu'ils doivent être. On ne saurait douter que l'avenir de l'Etat de Krakovie sera un des points les plus importants de discussion entre les trois puissances protectrices. Je n'ai aucune raison de croire que le projet d'une occupation militaire permanente de la ville de Krakovie existe chez le Cabinet de Vienne. Le respect que le prince de Metternich a pour tout ce qui est consacré par des traités solennels n'autorise pas une telle supposition, et du reste Son Altesse m'a dit que les explications que l'ambassadeur autrichien à Londres a données sur les intentions du Cabinet de Vienne ont été reçues par Votre Seigneurie comme lui (le prince de Metternich) l'avait désiré et comme il s'attendait à les voir reçues.

1. Archives d'Angleterre.

Dépêche diplomatique de lord Westmoreland à lord Aberdeen pour lui annoncer que la Prusse, l'Autriche et la Russie ne supprimeront pas la république de Krakovie.

Berlin, le 1er avril 1846.

Le chargé d'affaires de France, M. Humann, m'a communiqué une dépêche qu'il a reçue de M. Guizot, et qu'il est chargé de montrer au baron Canitz. M. Guizot y exprime la conviction que le gouvernement prussien usera de clémence, toutes les fois que l'occasion s'en présentera, à l'égard des personnes impliquées dans la dernière conspiration de Pologne : il exprime en mème temps la conviction que l'indépendance de l'Etat de Krakovie, telle qu'elle a été établie par le traité de Vienne ne sera pas violée.

M. Guizot dit à la fin de sa dépêche que, sur ce dernier point, il a reçu des assurances tant de la part de l'Autriche que de celle de la Russie.

Dépêche diplomatique de lord Westmoreland à lord Aberdeen, confirmant à peu près sa dépêche du 1er avril.

Berlin, le 2 avril 1846.

Mylord, le général Canitz a reçu de M. Humann communication d'une lettre de M. Guizot dont j'ai parlé à Votre Seigneurie dans ma dépêche d'hier.

La remarque qu'il m'a dit avoir faite à ce sujet a été qu'il n'avait fait faire aucune déclaration ni à M. le marquis de Dalmatie ni par le chargé d'affaires de Prusse à Paris, relativement à la conduite que le gouvernement prussien compte tenir dans l'avenir par rapport à Krakovie. Il y avait donc quelque malentendu dans la partie de la lettre de M. Guizot où il en est question. Il s'est empressé en même temps d'ajouter que l'occupation militaire actuelle de l'Etat de Krakovie ne devait pas se prolonger au delà du temps qui serait regardé comme nécessaire pour maintenir la paix et la tranquillité de cet État et des pays d'alentour.

Quant à ce qui concerne le gouvernement qui devrait être établi à l'avenir dans Krakovie, il m'a dit qu'il serait maintenant tout à fait impossible de formuler une opinion quelconque; que le dernier gouvernement du Sénat était fini, que ce corps n'existait plus, et qu'il était ainsi de la plus grande importance de savoir quelle forme de gouvernement devait y être établie. Il croyait donc que les trois puissances protectrices étaient appelées à prendre cette question en sérieuse considération.

Dépêche diplomatique de M. Humann, envoyé de France en Prusse, en lui annonçant que la politique du Cabinet de Berlin dans les affaires actuelles de Posen, de Krakovie et de Galicie, n'est pas clairement expliquée.

(Extrait.)

Berlin, le 3 avril 18461.

Commentant la teneur de la dépêche de Votre Excellence, M. de Canitz a ajouté:

1. Archives de France,

« Assurément nous n'avons jamais songé à prolonger, au-delà du terme fixé par une nécessité réelle, l'occupation du territoire et de la ville de Krakovie. La ville, les troupes russes et prussiennes l'ont évacuée, comme vous savez, presque de suite: mais nous avons tout à reconstituer; il n'existe plus de Gouvernement; ce n'est pas le président Schindler que nous pouvons remettre à la tête du sénat; tout cela est long et difficultueux, nous sentons toute l'urgence d'en finir. Après avoir rétabli l'ordré, il faut reconstituer la régularité, se composer un gouvernement qui fonctionne. La tranquillité publique n'a été que pendant trop de jours troublée, et les maux que cette crise violente a enfantés ne mettront malheureusement que trop de temps à disparaître.

Humann.

D

Dépêche diplomatique de lord Westmoreland à lord Aberdeen, lui annonçant que l'affaire de Krakovie pourra traîner en longueur, mais qu'elle sera soumise à la délibération de la France et de l'Angleterre.

(Extrait.)

Berlin, le 15 avril 1846'.

Des résolutions sévères sont prises à l'égard des prisonniers des pays et des réfugiés polonais. Ces affaires occuperont probablement douze ou dix-huit mois, pendant lesquels les trois gouvernements protecteurs, laisseront subsister l'autorité provisoire; après quoi un plan pour l'établissement permanent du gouvernement de l'Etat de Krakovie sera préparé et soumis à la délibération des gouverneurs d'Angleterre et de France.

Westmoreland.

Dépêche plomatique du prince de Metternich au comte Dietrichstein, ambassadeur d'Autriche en Angleterre, en envisageant les événements de Krakovie et de Galicie au point de vue du Cabinet de Vienne.

(Extrait.) *།, “༈ ྃ༞f f II

Vienne, le 17 avril 1846'.

On ne saurait comment expliquer les événements qui ont eu lieu dans le courant des dernières semaines, si l'on n'en trouvait pas la clef dans l'esprit commun aux émigrations et non moins dans l'incommensurable légèreté des Polonais. Toute entreprise dans laquelle ceux qui la conçoivent ne peuvent que perdre, et de laquelle il ne peut ressortir du profit pour personne, toute entreprise pareille porte l'empreinte de la démence. Or tel est le caractère distinctif des événements qui sont venus troubler la paix de notre empire. L'entreprise a été conçue par cette rage de destruction qui aveugle ceux qui s'y livrent sur toutes ses conséquences. Ce que cette rage n'a point su calculer, la légèreté l'a dicté. L'émigration polonaise devenue étrangère aux intérêts et aux exigences du sol qu'elle a quitté; imbue d'idées qui dans aucune direction ne sont applicables à la masse des habitants de ce sol; excitée et exaltée par les hommages qu'elle reçoit dans l'étranger, a oublié que l'émancipation

1. Archives d'Angleterre.

2. Archives d'Autriche.

des charges, non-seulement publiques, mais également de celles qui tiennent à la propriété, est une bien dangereuse doctrine à prêcher aux masses. Et cependant-c'est à ce moyen que la fraction qui, dans l'émigration se qualife de démocratique, a eu recours, et auquel la fraction aristocratique s'est associée pour s'assurer (telle était l'illusion que l'émigration tout entière s'était faite) l'appui de la population rurale. L'erreur a été grande et les conséquences qu'elle a eues sont aujourd'hui une immense somme d'embarras pour le Gouvernement et pour le pays. Ce n'est pas impunément qu'une couche dans la hiérarchie sociale d'un corps politique peut disparaître, et tel est néanmoins l'effet qu'ont amené les événements de quatre à cinq jours en Galicie, ou ce qui répond mieux à la vérité historique, ceux des journées du 18 et du 19 février dans le cercle de Tarnow, sur lequel la conjuration avait assis son plan de bouleversement général.Le soulèvement que l'émigration avait conçue contre l'autorité publique s'est tourné contre les possesseurs de terres dans le moment même où ceux-ci ont voulu se faire obéir par leurs paysans à l'aide de la force. Lemeurtre de quelques paysans que des propriétaires forcenés ont tués à coups de pistolet, a servi aux attaques de signal pour se jeter sur leurs provocateurs. Ils se sont mis sur eux en tuant ceux qui opposèrent de la résistance et en conduisant aux autorités locales ceux qui se rendirent. Telle est dans toute sa simplicité l'histoire de la prétendue révolution en Galicie; elle avait été conçue dans un sens politique, mais dans ses effets elle a tourné contre ceux mêmes qui en furent les moteurs et les complices. Les chefs et les principaur conducteurs de la coupable entreprise ont toutefois fourni au monde de nouvelles preuves de prudence personnelle. Aucun d'entre eux ne s'est présenté en personne sur le champ de bataille; les personnages tués par les paysans dans la nuit du 18 au 19 février, comme ceux qui ont été arrêtés, ne sont que des comparses. Au nombre des premiers, on peut en être certain, il ne se trouve pas un seul qui n'ait joué sa vie pour une cause à la conception de laquelle se refuse même l'entendement de la population des campagnes en Galicie. Leur parler du rétablissement de l'ancienne Pologne, c'est faire rappeler aux serfs sous l'ancien régime, aujourd'hui propriétaires en Galicie, des souvenirs inséparables des souffrances qu'ils ont eues à endurer sous ce régime. Tout dans le fait est simple et dès lors compréhensible, ce qui ne l'est pas c'est l'illusion à laquelle les hommes placés sur les lieux et venant au milieu d'une population ainsi disposée, se sont abandonnés sur la possibilité même de la réussite de leur entreprise! La seule clef pour cette énigme se trouve dans la faculté avec laquelle les hommes que la passion entraîne croient rencontrer dans d'autres les sentiments qui les animent eux-mêmes! Comme nous n'appartenons pas à cette classe d'individus, nous ne sommes point exposés au risque de nous perdre dans des chimères. Aussi les embarras très-réels et très-graves que nous nous reconnaissons sont-ils tout différents de ceux que nous prêtent les cerveaux brûlés de nos jours si riches en esprits de cette espèce.

Je ne mets pas en doute que les hommes sages, et par cela même pratiques, qui composent l'administration anglaise, ne partagent notre façon de voir et de juger la position actuelle, et je me flatte notamment que leur opinion ne différera pas de la nôtre à l'égard de l'immense différence qui existe entre les droits d'asile que nous savons respecter et les abus de ce droit que nous attaquons, non-seulement parce que nous sommes dans notre bon droit, mais encore par suite de la conscience que nous avons du mal qui résulte de la protection accordée en certains lieux à une caste, placée par des conditions

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