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moyens d'action que les emprisonnements, les fusillades, les massacres et tou ́tes les horreurs que peut commettre une soldatesque effrénée. Est-ce possible? Et c'est le dix-neuvième siècle qui est témoin d'une pareille anarchie et d'un pareil mépris des lois divines et humaines!

Cependant, quelles que soient les conséquences que l'avenir nous réserve, i est un fait évident pour tout le monde : c'est que le pays a pris dans ses propres mains la direction de sa cause. Aucune influence venue du dehors n'a coopéré aux merveilleuses manifestations de Varsovie. C'est en lui-même et dans sa foi puissante que le pays puise aujourd'hui sa force: il n'espère et ne réclame aucun secours étranger. Rentrée en elle-même, et demeurant en dehors de tous ces courants qui agitent l'Europe, la nation avance avec sagesse, prévoyance et courage dans cette voie nouvelle dont elle marque de son sang toutes les glorieuses étapes. En présence d'un spectacle aussi sublime, aussi imprévu, l'émigration polonaise comprend sa mission. Etre l'organe du pays devant l'opinion publique de l'Europe et devant les gouvernements; appuyer, exposer, expliquer les sentiments souvent mal compris des diverses classes de notre pays, c'est le rôle actuel de l'émigration; c'est là le programme qu'elle doit suivre.

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Cette lutte véritablement chrétienne que soutient notre pays dure à peine depuis deux mois, et déjà plus d'une victoire a été remportée devant Dieu et devant les hommes, plus d'un succès sérieux et durable a été obtenu. La Pologne tout entière a tressailli au premier coup de feu tiré contre une population sans armes, et l'on a vu que les mêmes sentiments animaient tous les cœurs. Les anciennes préventions, les derniers restes de rivalité ont disparu comme des ombres devant cette lumière qui rayonne du centre de notre patrie, et qui vient consoler nos âmes. Du sein de la nation se sont élevées des voix, témoignant que les sentiments polonais et les traditions historiques se sont conservés dans toute leur pureté, malgré tant d'années d'oppression; et en présence des persécutions redoublées de nos ennemis, nous nous sommes sentis plus forts que jamais et pleins de confiance dans la miséricorde de Dieu. — Parmi ceux qui, en succombant sous les baionnettes, demandaient grâce, non pour eux, mais pour la patrie; parmi les fils de la Pologne unis dans un sentiment d'amour et de sacrifice, on a compté aussi des israélites. De puissants griefs, motivės peutêtre de part et d'autre, ont pendant longtemps séparé, dans notre pays, les chrétiens des israélites. Ces derniers, unis aujourd'hui à nous par un lien de mutuelles souffrances, ont cessé d'être une nation dans la nation, et se jetant dans les bras de cette mère patrie qui les a nourris si longtemps, ils lui ont déjà rendu des services signalés. Au bas de l'adresse des habitants de Varsovie, les signatures des Polonais israélites figuraient à côté de celles des Polonais chrétiens; dans les délégations urbaines, ils prenaient place à côté de leurs compatriotes de religions différentes, et se rendaient avec eux auprès du lieutenant da royaume, quand il fallait réclamer la justice pour le peuple et demander la punition des fonctionnaires coupables. Aujourd'hui encore les israélites partagent le sort de leurs frères chrétiens, enfermés comme eux dans les mêmes forteresses et persécutés de la même manière. Quant aux victimes qui succombèrent, de même qu'elles avaient été unies devant le danger, elles le furent après la mort, et l'ennemi déposa leurs corps dans un tombeau commun. C'est là un enseignement pour les générations à venir : cette alliance conquise au prix du sang ne doit plus cesser, et ceux qui périssent de la même mort doivent vivre de la même vie. Nous pouvons donc espérer que les israélites polonais, avec la

constance qui les caractérise, persévéreront dans la voie où ils sont entrés, et que la Pologne, cette mère également tendre pour tous ses enfants, rencontrera chez tous le même amour et la même piété filiale.

Eclairés par ce foyer de patriotisme et de sagesse qui rayonne en ce moment du centre de la nation, électrisés par l'étincelle qui est parvenue jusqu'aux limites les plus éloignées de l'ancienne Pologne, nos frères qui vivent sous le sceptre de l'Autriche ont compris la situation, et se sont placés à la hauteur des circonstances. A les voir se tendre des mains amies et effacer si complétement les traces de leurs anciennes dissensions, on a peine à comprendre les épreu ves qu'ils ont eu à traverser et les malheurs qui les ont frappés naguère. Ce que nous savons des travaux de la diète de Léopol nous permet d'espérer que cette assemblée répondra dignement à sa mission, qu'elle pourra sinon fermer, du moins adoucir les blessures faites par la main ennemie de l'infatigable bureaucratie autrichienne, et qu'en travaillant pour faire jouir la Galicie des droits qui ont été stipulés en sa faveur, elle restera fidèle aux principes de la déclaration présentée à Vienne par les habitants, et qui leur a valu les suffrages et l'assentiment de l'Europe entière. Les députés paysans siégeant dans cette assemblée polonaise à côté des députés des classes supérieures auront l'occasion de reconnaître la fausseté des calomnies qu'on a répandues sur le compte des grands propriétaires fonciers. Elevés à la dignité de citoyens, ils pourront, à leur retour parmi leurs électeurs, éclairer ces derniers et détruire en eux les sentiments de haine fratricide qu'une influence étrangère a cherché à leur inspirer. Nous ne doutons pas que d'autre part la classe riche, qui a donné tant de preuves de dévouement, ne parvienne par son attitude conciliante, par son abnégation et par son patriotisme, à dissiper les préventions des cœurs les plus endurcis et des esprits les plus égarés.

Aux temps les plus heureux de notre histoire, on entendait souvent dans les diètes, comme on l'a entendu à la diète de Léopol, les nonces et les sénateurs s'exprimer en langue ruthénienne. Cette langue était parlée à la cour des Jagellons; elle l'était par les héros de la famille princière d'Ostrog, qui se signalèrent par tant d'exploits, tant de victoires remportées sur les Moskovites; le Statut de Lithuanie était rédigé en cette langue, et l'on peut dire que l'idiome ruthénien a contribué tout autant que l'idiome mazovien à la formation de notre langue maternelle. Ne soyons donc pas blessés par ces accents autrefois si familiers, et n'oublions pas que le grand acte historique auquel nous sommes redevables de notre gloire passée, l'union de la Pologne, de la Lithuanie et de la Ruthénie, était basé sur un esprit de concession et sur une liberté réciproque. Comme la Gallicie, la Lithuanie et la Ruthénie, le grand-duché de Posen, qui depuis longtemps déjà nous donnait l'exemple d'un travail sérieux et persévérant, a été profondément ému par la nouvelle des événements de la capitale de la Pologne. Grands et petits, riches et pauvres, se sont unis dans un même sentiment d'indignation et de douleur, et la province entière, malgré les pertes cruelles qu'elle vient de faire, continue l'énergique défense de sa nationalité. Pendant que l'exemple de progrès religieux et patriotique donné par nos frères de Varsovie gagne toutes nos provinces, le monde chrétien de l'Europe se sépare de plus en plus en deux camps bien distincts : dans l'un on s'attache aux clauses des traités, que l'on considère comme de droit divin; dans l'autre les plaintes et les désirs des peuples opprimés sont seuls consultés et ont seuls force de loi. Les principes de justice sont invoqués dans les deux camps, mais aucune concession n'est faite, aucun rapprochement ne paraît possible, et même aucun

désir de concorde ne se manifeste. Chez nous, au contraire, toutes les sources vives auxquelles les hommes puisent la force et l'espérance sont respectées; chez nous, auprès du tombeau de la Pologne martyre, on a religieusement conservé les anciens usages, les cérémonies et les traditions de nos aïeux. Où trouver aujourd'hui une union plus franche, un oubli des anciennes rancunes plus sincère, un désir d'égalité et de liberté pour tous plus franc, un amour fraternel plus vif et plus ardent? Loin d'attaquer les traités, nous en demandons l'exécution; mais les droits imprescriptibles de notre nationalité, ainsi que ceux des autres peuples opprimés, ne peuvent pas ne pas nous inspirer une ardente sympathie.

Nous continuons par tradition et par principes à lutter contre notre ennemi implacable, qui est également celui de l'Eglise, dont nous sommes les fils respectueux et soumis. Si naguère, en travaillant à réconcilier le peuple bulzare avec Rome, nous avons préparé au saint-père quelques instants de joie au milieu de ses douloureuses préoccupations, aujourd'hui la vue d'une nation qui affronte de si grands dangers pour sa liberté et pour celle de son Eglise, a vue d'hommes, de femmes, d'enfants qui, la prière dans le cœur et le pardon sur les lèvres, meurent en martyrs pour leur patrie et leur foi, doit remplir de consolation le cœur du pontife suprême.

Qui sait si l'exemple de la Pologne, purifiée par de longues souffrances, ne contribuera pas à rétablir un jour la concorde dans le monde chrétien?

Dieu a permis que par ma longue existence je pusse embrasser, pour ainsi dire, l'histoire entière des malheurs de notre patrie. J'ai été témoin de fautes, de déceptions, de douleurs, d'humiliations, que vous, messieurs, ne connaissez que par tradition. Au milieu de ces diverses épreuves, l'esprit de la nation se modifiait, se retrempait, et après chacune d'elles il était purifié et rendu plus apte à une existence libre et indépendante. Durant la période la plus importante qui ait été accordée à nos pères pour cette œuvre de régénération nationale, période qui se résume dans la date dont nous célébrons aujourd'hui l'anniversaire, j'ai été moi-même témoin, en y prenant part, autant que ma jeunesse le permettait, des efforts glorieux qui ont été la cause d'un redoublement de perfidie et de violence de la part de voisins qui avaient résolu la ruine de la Pologne.

Mais je peux dire, le cœur plein de reconnaissance envers Dieu, que jamais la nation n'était arrivée à cette attitude digne et calme; jamais un accord aussi harmonieux n'avait régné entre les Polonais; jamais, en dehors de toute cause et de toute influence étrangère, le terme de nos infortunes ne m'avait paru plus assuré.

Je ne sais, messieurs, s'il me sera donné de vous entretenir encore en ce lieu; permettez-moi donc de revenir encore une fois à mes craintes et à mes espérances, et de m'adresser un instant à cette patrie, qui, depuis plus de soixante-dix ans, est comme le centre où convergent toutes mes pensées, tous mes sentiments, toutes les préoccupations et tous les travaux de ma vie.

Ne descends pas, ô ma nation! de cette hauteur sur laquelle les peuples et les puissants sont forcés de te respecter. En y restant, tu ne perdras jamais de vue le but de tes espérances, et tu pourras t'en approcher plus sûrement. Au milieu de tes cruelles douleurs et du désespoir vers lequel te poussent la trahison et la violence, rejette les tentations de la colère; ne t'abaisse pas à des combats indignes de toi, qui ne feraient qu'accroître tes maux, si même ils ne consommaient pas entièrement ta ruine. Souviens-toi qu'il faut plus d'héroïsme

pour aller à la mort en découvrant sa poitrine que pour défendre sa vie le glaive à la main. La plus grande force sur cette terre consiste à ne pas tenir à la vie. Avoir cette force et en même temps être doux et généreux, étranger à toute idée de vengeance, à tout projet de nuire, même à son ennemi, c'est la vertu par excellence et la véritable raison politique. Ferme surtout ton cœur à l'orgueil, car il abaisse et avilit les mouvements les plus nobles; mais sache, Ô peuple polonais, que c'est dans l'élévation de tes sentiments, dans la grandeur de tes vertus que résident et ta force actuelle et tes espérances pour l'avenir. Le martyre pour la foi et la patrie annonce toujours la victoire, car il élève la victime également devant Dieu et devant les hommes, et couvre de honte son bourreau. Il n'est pas donné aux hommes de prévoir les événements, surtout quand les faits dont nous sommes témoins sont d'un ordre aussi élevé. C'est la Providence qui a aujourd'hui éclairé et inspiré la nation; c'est d'elle que nous devons attendre du secours, et ce secours ne nous manquera pas.

1861, 27 février, à Varsovie. Adresse des Polonais à l'empereur Alexandre II en lui exposant leurs demandes en faveur de leur patrie.

Archives diplomatiques, publiées par F. Amyot. (T. II, p. 239). 3 mars (19 février v. s.), à Pétersbourg. Manifeste de l'empereur Alexandre II au sujet de l'émancipation générale des paysans dans tout l'empire, devant être mis en

exécution le 3 mars 1863.

Arch. dipl. (T. II, p. 233).

9 mars, à Pétersbourg. Réponse de l'empereur Alexandre II à l'adresse des Polonais du 27 février, par l'entremise du prince Michel Gortschakoff, lieutenant du roi en Pologne.

Arch. dipl. (T. II, p. 239). .

10 mars, à Varsovie. Rapport secret sur l'état politique et civil du royaume de Pologne de 1831 à 1861, et sur les réformes à y introduire, présenté à l'empereur Alexandre II par Joseph Tymowski, ministre secrétaire d'État, comme conséquence de l'adresse des Polonais du 27 février.

Arch. dipl. (T. III, p. 149).

1er avril, à Pétersbourg. Circulaire diplomatique du prince Alexandre Gortschakoff, ministre des affaires étrangères de Russie, expliquant la portée des réformes accordées à la Pologne.

Arch. dipl. (T. II, p. 243).

1861, 2 avril, à Varsovie. Proclamation du prince Michel Gortschakoff aux Polonais, en les invitant à la prudence. Arch. dipl. (T. II, p. 244).

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5 avril, à Varsovie. Arrêté de la dissolution de la Société agronomique polonaise, par ordre de l'empereur Alexandre II.

Arch. dipl. (T. II, p. 244).

9 avril, à Varsovie. Proclamation dy prince Michel Gortschakoff, contenant l'exposé des événements de Varsovie du 8 avril.

p. 245).

Arch. dipl. (T. H. P. 20% donnance o

9 avril, à Varsovie. Ordonnance du Conseil d'administration de Pologne, à la suite des événements du 8 avril, énumérant les mesures prises pour en prévenir le retour; suivie d'un avis du directeur de la police dans le même

sens.

Arch. dipl. (T. II, p 246).

avril, à Varsovie. Rescrit du prince Michel Gortschakof, au directeur de la Commission de l'intérieur, prononçant la dissolution de toutes les délégations urbaines en Pologne.

Arch. dipl. (T. II, p. 394).

5 juin, à Moskou, Qukase du tzar Alexandre II, conte-
nant les ordonnances des réformes dans le royaume de
Pologne, relatives au Conseil d'État, aux Conseils des
districts, de municipalité, etc. in a stomat
~ Arch. dipl. (T. III, p. 408),

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30 août. Rescrit d'Alexandre II au général Charles come Lambert, à l'occasion de sa nomination à la lieutenance du royaume de Pologne, après le décès du prince Michel Gortschakoff

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Arch. dipl. (T. IV, p. 148). photer q

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14 octobre, à Varsovie. Proclamation du général Lambert, à l'occasion de la mise en état de siège du royaume de Pologne.

Arch. dipl. (T. IV, p. 274).

14 octobre, à Varsovie. Arrêté du gouverneur militaire Gersteinzweig, à l'occasion de la mise en état de siége de Varsovie et de tout le royaume de Pologne.

Arch. dipl. (T. IV, p. 276).

FIN.

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