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dents, dans tous leurs prétendus droits, elle s'est formée en Pologne un nouveau parti qui peut devenir par la suite trèsconsidérable; elle a augmenté celui qu'elle avait déjà dans la nation, par la faveur et les grâces qu'elle a obligé le Roi de répandre sur une infinité de gens de rien, qui ne doivent leur existence qu'à l'avilissement de leur patrie, auquel ils ont contribué par un dévouement sans bornes aux moindres volontés de l'ambassadeur russe. Elle a abaissé, autant qu'elle a pu le faire, les principales familles, dont le crédit et la considération eussent pu balancer son influence; elle a fait remplir les charges vacantes par des gens sans probité et sans mérite, mais de l'attachement desquels elle est sûre, et que son ambassadeur traite dès à présent, comme ses sujets. Elle a forcé au silence et intimidé, en général, toute la nation par des violences odieuses et inouïes, commises par des personnages respectables qui défendaient la liberté publique dans l'assemblée des États où celle de parler ne pouvait leur être interdite, par des actes de violence et de tyrannie, multipliés contre tous ceux qui osaient lui montrer la moindre opposition, par la dévastation de terres, l'enlèvement des bestiaux, la spoliation des habitants de la campagne, à qui, dans la plupart des provinces, il ne reste pas de quoi ensemencer leurs champs. Tels sont les moyens que la Russie a employés pour subjuguer la Pologne, et pour y perpétuer le despotisme, et tels sont les fruits qu'elle a retirés de la confédération et de la Diète qui viennent de finir. Elle est bien assurée au reste que le roi de Pologne ne tournera pas contre elle le petit nombre d'avantages que ses complaisances lui ont mérité de sa part; ce prince en est trop dépendant pour oser l'entreprendre.

Le prince Repnine, aussitôt après la clôture de la diète, a dépêché son frère à Saint-Pétersbourg, avec tous les actes qui y avaient été signés et dont sa Cour s'est portée pour garante. Il y attache sans doute une grande importance, puisqu'il lui a recommandé d'exposer et de perdre plutôt la vie que de risquer la perte de ces papiers.

Il paraît toujours constant, Monseigneur, que les troupes russes vont évacuer la Pologne. Le prince Repnine a déclaré lui-même qu'elles commenceraient à défiler vers les premiers

jours du mois prochain. Mais ce qui est assez difficile à croire et, ce qui se débite cependant depuis quelque temps, c'est que ces troupes étant encore dans le royaume, il se forme une nouvelle Confédération à Bar, dans les provinces méridionales, contre tout ce qui vient d'être fait par la dernière confédération de Varsovie. On nomme même ceux qu'on en suppose les auteurs et le lieu de réunion. Cette nouvelle est mandée par plusieurs lettres reçues de ces quartiers-là, par le dernier ordinaire; mais malgré cela, un a encore peine à y ajouter foi. Il semble, en effet, que ce ne serait pas le moment de tenter la destruction d'un édifice à la construction duquel personne ne s'est opposé et pendant que ceux qui s'élèvent sont encore sur les lieux, et sont à portée de soutenir et de défendre leur ouvrage.

Les uns prétendent que c'est le Roi qui fait répandre ces bruits pour avoir un prétexte de retenir ici les troupes russes, qui sont nécessaires à sa sûreté. D'autres pensent qu'il n'est question que de quelques mouvements, qu'ont faits quelques compagnies polonaises, répandues sur la frontière de l'Ukraine, en apprenant qu'on voulait les assujettir à un autre ordre et à une autre discipline, ce qui en effet avait été proposé et agité par la commission; mais dont on a reconnu depuis la difficulté et auquel on a renoncé.

Mardi dernier le prince Repnine se rendit à la Cour, suivi du primat Wladislas-Alexandre Lubienski, du grand chancelier André Mlodziejowski et du grand trésorier de la couronne, Fr. Wielopolski-Mysckowski, et de celui de Litvanie, Wladislas Gurowski, et il présenta ces Messieurs au roi de Pologne, comme des sujets très-affectionnés à l'Impératrice de Russie, et qu'il recommandait à ce titre à Sa Majesté polonaise.

Lettre de la tzarine Catherine II au prince-primat de Pologne Lubienski, en lui envoyant le grand cordon de Saint-André, et lui promettant d'autres récompenses, s'il veut servir les intérêts de la Russie, comme par le passé.

Saint-Pétersbourg, ce 17-28 mars 17681.

Monsieur le prince-primat,

Au moment où la Pologne commence à jouir des avantages 1. Chodzko, Ann. pol. Ms. (1768).

que mon amitié et le zèle des patriotes ont travaillé à lui procurer, je ne parlerai à Votre Altesse, comme au premier des citoyens, que de la satisfaction particulière que j'ai d'être témoin et garante de tout ce que votre nation vous doit.

Le premier sénateur et le chef du premier ordre de l'État n'a jamais pu faire un plus digne ouvrage de ce que sa place lui donne d'autorité. La sagesse et la fermeté de vos mesures ont aplani des difficultés qui paraissaient insurmontables; c'était beaucoup de les avoir prévues, et de vous en être point laissé ébranler; mais ce n'était qu'à vous qu'il était réservé de les vaincre. Des éloges seuls ne suffisent point à la justice qui vous est due; l'estime et la reconnaissance de la postérité sont appelés à y suppléer. Vous devez sentir vous-même combien je suis satisfaite, je me plais à vous le dire et à le rendre public. Je choisis une époque aussi mémorable pour vous nommer chevalier de mon ordre de Saint-André, dont mon ministre vous remettra les marques; je la choisis encore pour vous assurer de la confiance la plus marquée que je veux avoir en vous; j'écouterai toujours comme du citoyen le plus instruit des besoins de sa nation, et du plus zélé pour y pourvoir, tout ce que vous aurez à me représenter dans les affaires générales, et je me porterai à tout ce qui pourra vous être personnellement avantageux, comme en faveur de celui qui a le plus mérité de sa patrie et de moi.

C'est dans ces sentiments que je prie Dieu qu'il vous ait, Monsieur le prince primat, en sa sainte et digne garde.

Catherine.

Manifeste de Marian de Potok Potocki, staroste de Grabowiec, maréchal de la confédération de Halicz en 1767; nonce à la Diète de Varsovie de 1767-68; délégué plénipotentiaire près de la tzarine Catherine Il en 1767. En faisant son adhésion à la confédération de Bar et en dévoilant les moyens que Repnine avait employés pour l'attirer au parti russo-polonais.

Latyczow, 14 mai 17681.

(Enregistré au Grod de Winniça [pal. de Braclaw], le 17 mai 1768. Dieu, juge de mes pensées, voit et sait et je veux que tous 1. Chodzko, Ann. pol. Ms. (1768).

mes concitoyens, et l'Europe, s'il se peut, sachent que je n'ai pris part à la dernière confédération de 1767, que dans le dessein de défendre les droits de la religion catholique romaine, dominante dans ma patrie depuis plus de huit siècles, contre les attaques des dissidents, réitérées plus vivement depuis ces cinq dernières années; de rétablir dans leur ancien état les libertés nationales et la constitution; de relever d'illustres citoyens opprimés et dépouillés; et enfin d'entendre et d'examiner les plaintes, griefs et prétentions des dissidents, et de leur rendre, conformément aux lois du royaume, justice sur la lésion, s'il y en avait, de leurs droits, sans exposer par des concessions nouvelles, et incompétentes ou dangereuses, l'État à de nouveaux périls, et le repos public à de nouveaux troubles.

Mon attachement à ces principes s'est montré à Radom, où, ni l'invasion subite dans cette ville des troupes moskovites, ni leurs préparatifs pour nous attaquer, ni les menaces du colonel Karr, commandant de ces troupes, n'ébranlèrent ma fermeté. Je n'ai donné mon seing à l'acte de la confédération générale qu'après que les paroles reçues, que les droits et les prérogatives assurés dans l'État à la religion catholique romaine, ne seraient point lésés, et après que M. le prince Radziwil, élu maréchal de cette confédération, eut pourvu à l'intégrité de ces droits et prérogatives par une déclaration solennelle, explicatoire sur cet objet enregistrée dans les actes de cette confédération même; et tous les maréchaux et conseillers des confédérations particulières n'ont signé qu'ainsi, et avec des restrictions expresses jointes de plus à nos seings.

Le même attachement et la même fermeté ont paru dans la noblesse de Halicz, mes commettants à la diétine anticomitiale de cette terre. La présence des Moskovites aux ordres du major prince Scherbatoff, n'a pas empêché que dans l'instruction donnée par cette noblesse, les mêmes droits et prérogatives n'eussent été le plus fortement recommandés aux représentants de cette noblesse à la Diète prochaine.

J'ai, depuis cette diétine, vu d'un œil tranquille la dévastation de mes terres; celles de cette noblesse ont été ravagées de même. On nous punissait de notre attachement à notre religion et à notre liberté.

Je me rendis à la Diète, résolu de défendre les droits de l'une et de l'autre. Affligé des violences commises sur la personne d'un des grands officiers de la Couronne, arrêté et détenu prisonnier dans sa maison, pour n'avoir pas dissimulé les mêmes sentiments, qui, il n'en faut pas douter, sont communs à toute la nation; sur celle d'un membre de la confédération-générale, tiré de son carrosse dans les rues de la capitale, traîné dans ces rues, et détenu prisonnier dans le camp moskovite près de cette ville, affligé, dis-je, de ces attentats contre la sûreté publique, je demandai hautement la restitution de ces citoyens en liberté ; mais une entreprise plus audacieuse encore étonna tous les esprits.

Dans le sanctuaire de la liberté, au sein d'une assemblée auguste et sacrée, dans le siége de la puissance souveraine, l'ambassadeur de Russie ayant entouré et rempli Varsovie de troupes, osa enlever trois sénateurs et un nonce; et ses citoyens respectables et à jamais célèbres, victimes d'un zèle patriotique et éclairé, furent emmenés captifs en Moskovie.

Ce procédé téméraire par lequel le prince Repnine violait tous les droits, n'ayant pas encore forcé l'opposition à ses desseins, une déclaration de cet ambassadeur, par laquelle tout sénateur ou nonce qui résisterait aux volontés de l'impératrice de Russie, était menacé de traitements plus durs encore, a été communiquée aux États et lue publiquement dans le Sénat, le roi séant sur le trône et les ordres rassemblés; et cette arrogance, qu'appuyait la force présente et que tous les pouvoirs semblaient favoriser, extorqua enfin le silence qu'on demandait.

L'ambassadeur de Russie ne borna pas là sa tyrannie. J'ai été forcé par lui, ainsi que beaucoup d'autres nonces, à signer et à remettre entre ses mains un écrit portant : « Je soussigné, m'engage envers M. le prince Repnine, ambassadeur plénipotentiaire de S. M. l'impératrice de toutes les Russies, et lui promets que je n'aurai aucune liaison ni commerce, que je n'en conserverai même, à moins d'en avoir obtenu la permission dudit ambassadeur, avec aucun sénateur, ministre ou nonce, avec aucun ambassadeur ou autre ministre étranger, ni avec qui que ce soit, dont les sentiments soient contraires aux projets

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