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viendra où les Polonais, courbés sous le joug du despotisme, se réveilleront et reprendront l'attitude fière d'un peuple qui connaît sa dignité et ses droits imprescriptibles.

Aujourd'hui, la Pologne tout entière est couverte d'un voile de deuil. La maîn de fer de Nicolás se plaît à torturer ceux qu'il a anéantis. Il enlève du sein des familles, avec un acharnement infatigable, de nouvelles victimes, les mène enchaînées dans les déserts de la Sibérie, les plonge dans des cachots ou dans les mines, arrache du sein de leurs mères de jeunes enfants, qu'il façonne au joug de l'esclavage. Là où naguère retentissaient les cris joyeux de la liberté, où se faisaient entendre des hymnes nationaux, règne un silence sépulcral que tien n'interrompt, si ce n'est le gémissement des malheureuses victimes et le bruit de leurs fers.

Dans cette terre vouée à l'esclavage, aucune voix n'ose s'élever. C'est done au comité national, qui est plus à l'abri de la persécution russe, et qui voit avec un cœur déchiré l'humanité outragée, à appeler la vengeance du ciel; c'est à nous de protester hautement contre ces nouvelles violences, et d'inviter tous nos compatriotes dispersés en Europe à joindre leur voix à la nôtre pour flétrir les actes du tyran.

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Ordre du tzar Nicolas Ier, au feld-maréchal Paskevitsch, par l'entremise du général Tschernyscheff, de faire transporter à Pétersbourg, la bibliothèque et les médailles, appartenant à l'université de Varsovie.

Altesse,

Saint-Pétersbourg, le 3/15 avril 1832'.

S. M. l'Empereur, instruite par le ministre secrétaire d'État comte Étienne Grabowski, de la lettre que vous lui avez adressée le 26 mars, no 3168, afin d'obtenir la permission de laisser à l'université de Varsovie une partie de sa bibliothèque, m'a or donné d'informer Votre Altesse qu'elle permet qu'on laisse à

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Varsovie les ouvrages de médecine, de théologie, et ceux qui sont nécessaires pour les travaux de l'Observatoire. Quant aux livres de jurisprudence et autres, S. M. l'empereur, regardant comme impossible la conservation de cette faculté auprès de l'université de Varsovie, avec ses anciennes bases, ordonne de les transporter tous à Pétersbourg, conformément à son premier ordre.

En communiquant à Votre Altesse cette décision suprême, j'ai l'honneur de vous prévenir qu'il a plu à Sa Majesté que les dettes dont la bibliothèque nationale de Varsovie est grevée, et qui montent à cinquante et un mille florins, ainsi que celles du cabinet des médailles, qui montent à cent cinquante mille florins, soient payées sur les revenus du royaume, attendu que les troupes russes ayant pris Varsovie par la force des armes, tous ces objets appartiennent à la Russie par droit de guerre.

Le général aide de camp,

Tschernyscheff.

Adresse des membres de la Diète polonaise réfugiés en France, aux Pairs de France, en les suppliant de ne pas sanctionner la loi d'avril contre les réfugiés résidant en France, loi adoptée par la Chambre des députés français à la séance du 9 avril.

Monsieur le Pair,

Paris, le 17 avril, 1832'.

Les réfugiés polonais jetés sur le sol français par suite des désastres d'une glorieuse révolution, ont appris avec douleur que la Chambre des députés, déjà privée d'un grand nombre de ses membres, et impatiente d'arriver au terme d'une session très-prolongée, a adopté, après quelques heures de discussion, dans la séance du 9 avril, le projet d'une loi d'exception, qui ne tend pas seulement à détruire l'espoir du repos et de la sécurité dont ils se flattaient de jouir dans ce pays, mais qui les blesse encore dans leurs sentiments d'honneur et de dignité nationale, en les livrant à la surveillance et à la merci de la police...

Abandonnés par les députés de la France, dont plusieurs regrettent déjà d'avoir consacré une pareille mesure par un vote précipité, les réfugiés polonais ont recours, par votre entremise, messieurs les Pairs, à l'intervention de la noble Chambre, qui s'honore de vous compter parmi ses membres.

Il serait superflu de reproduire ici les arguments pour ou contre le projet, que l'opinion publique par ses organes habituels, et la Chambre des députés,

1. Archives de la Diète.

dans sa discussion, ont suffisamment développés. Peu de voix s'élevèrent en faveur de cette mesure exceptionnelle. Elle n'obtint les suffrages que d'une faible majorité, composée d'un tiers de la totalité des députés en droit de voter les lois, mais qui ne saurait jamais rendre juste et vrai ce qui ne l'est pas. Aussi, restera-t-il prouvé pour tout homme de bonne foi, que non-seulement le projet ministériel est impolitique, en provoquant gratuitement l'irritation et presque l'animadversion des étrangers contre le pays qu'ils ont choisi par affection pour leur seconde patrie; mais qu'il blesse à la fois la justice et les égards dus au malheur, en livrant au pouvoir arbitraire de la police, des proscrits victimes d'une infortune qu'ils n'ont pas méritée.

Un orateur a démontré, il est vrai, que les étrangers ne pouvaient jamais aspirer aux mêmes droits que les nationaux. Mais s'agit-il donc de tous les droits d'un Français, et ne sait-on pas que les droits politiques sont les seuls qui exigent des garanties que les nationaux peuvent uniquement offrir à l'État? Il n'en est pas de même de la simple protection des lois, pour laquelle, dans les pays civilisés, on n'exige d'autres conditions des étrangers, qu'une juste réciprocité de la nation à laquelle ils appartiennent.

En vain les orateurs ministériels, ne font-ils entrevoir dans leur projet qu'une loi dictée par la précaution et dont les ministres n'abuseront jamais. S'il en était ainsi, ils n'en auraient pas besoin : car, dans le cas d'une contravention, la løj qui suffit contre des nationaux ne saurait manquer son effet contre les étrangers, privés de tout appui extérieur. C'est donc pour en user sans contravention préalable, c'est-à-dire arbitrairement, que la loi leur a paru nécessaire. Ils craignent, disent-ils, que les proscrits ne servent d'instruments aux factions qui désirent la guerre, attendu qu'une conflagration générale peut seule leur ouvrir les portes de leur patrie. Comme si des vieillards, des hommes de lettres et des personnes qui, ne demandant aucun secours au gouvernement, of frent par là même une sûre garantie contre les séditions des partis, pourraient inspirer quelque crainte.

Ceux, au contraire, qui ne sont pas dans ces catégories, formés en légions, ce qu'ils demandent avec tant d'instance, et rendus à la discipline militaire, ne seront-ils pas sous l'empire de cette discipline et des lois qui régissent l'armée; et le gouvernement qui les solde n'aura-t-il pas le droit de fixer à son gré leurs garnisons?

Au surplus, la France manque-t-elle donc de lois contre les factieux, et la police n'est-elle pas déjà suffisamment armée contre les perturbateurs de l'ordre public, et peut-elle vouloir sévir contre des prétendus complices, sans aucune preuve de culpabilité, avant de convaincre les vrais auteurs des troubles?

Non, les lois révolutionnaires, lois de circonstance, qui ne sauraient être appliquées sous un régime légal et constitutionnel, ces lois d'exception de funeste mémoire, que le ministère dit avoir adoucies, n'étaient ni moins iniques ni moins rigoureuses. La mauvaise foi pourrait seule soutenir qu'elles interdisaient au gouvernement, au lieu de recourir à la déportation, de restreindre des étrangers à une résidence quelconque dans le pays, si ceux-ci y consentaient elles ressemblaient donc parfaitement, de fait, au projet ministériel; et en obligeant les ministres à n'employer d'autre rigueur à leur égard que la déportation hors du pays, elles garantissaient d'avance, par la sévérité même

de cette disposition, que jamais on ne s'en servirait que contre de vrais coupables.

Le projet ministériel, par le vice de sa rédaction, menace autrement les réfugiés. Il semble laisser à leur choix la déportation ou l'obligation d'accepter forcément la résidence qui leur sera assignée, et en atténuant ainsi l'odieux de la mesure, il en facilite l'exécution. Des hommes pénétrés du sentiment profond de leur dignité personnelle et de la dignité nationale, pourraient-ils, sans abdiquer ces sentiments, accepter librement l'humiliation dont les menace une mesure arbitraire ?

Voilà, peut-être, le but caché, l'intention secrète du projet, inspiré par les exigences de nos cruels ennemis. Oui, nous ne saurions nous faire illusion, c'est uniquement contre les Polonais, que cette loi était dictée, car depuis vingt mois les patriotes italiens, espagnols, portugais, jouissaient paisiblement de l'hospitalité française; l'arrivée des Polonais a donc seule motivé cette mesure si sévère, et c'est à eux que devront les proscrits des autres nations de se voir à la merci d'une loi si vexatoire.

Ainsi, après avoir abandonné la cause sacrée de la Pologne, la France s'associerait encore à l'odieux plan de notre persécution, et semblerait demander grâce pour la révolution magnanime qui naguère lui fit proclamer l'indestructibilité de la nationalité de la Pologne.

Au lieu de chercher de nouveaux arguments, nous préférons donc faire un appel à l'honneur français; qui est engagé dans notre cause.

Monsieur le Pair, vous faites partie d'une chambre qui réunit dans son sein l'élite de la gloire nationale: vous ne sauriez être indifférent à l'atteinte portée aux sentiments d'honneur et de loyauté de votre pays.

L'hospitalité envers le malheur a toujours été l'un des traits distinctifs du caractère français, et l'un des plus beaux titres dont s'honore votre nation. Les Polonais, plus que tout autre peuple, sentent le devoir de rendre cette justice à la France.

Plusieurs de nos princes trouvèrent dans leurs infortunes un asile dans ce pays. Et nous aussi nous voulûmes acquitter cette dette sacrée. Quand le règne de la terreur décimait la population française, les émigrés, sans distinction de rang ni d'opinion, trouvèrent chez nous un toit hospitalier. Accablés sous le joug étranger, nous n'avions pas de budget à voter en leur faveur, mais nous leur ouvrîmes nos maisons, nous les accueillîmes dans nos familles; chacun s'honorait de les admettre dans ses foyers: et aujourd'hui encore, après que la paix de 1815 leur eût ouvert la porte de la patrie, un grand nombre de prêtres français, décidés à ne plus s'éloigner de la terre adoptive qui les avait reçus, sont restés dans leur vieillesse, au milieu de nos concitoyens, entourés de leur vénération.

Cette réciprocité de sentiments entre les deux nations n'est pas seulement l'effet d'une vraie sympathie : c'est sur la communauté des intérêts qu'est basée l'alliance formée entre elles depuis des siècles. Sur la foi de cette alliance, sur la foi d'assurances solennelles dont retentissaient naguère les tribunes françaises, sur la foi enfin d'un appel du gouvernement lui-même, car vos ambassadeurs près des cours d'Allemagne avaient reçu l'ordre de leur délivrer des passe-ports et de leur faciliter le trajet, les Polonais, qui n'ont jamais manqué à la France, sont venus, pleins d'espérance, demander asile et protection honorable et fraternelle à leur ancienne amie. Non, la France n'oubliera jamais de vieilles affections, ses engagements sacrés, et les sen

timents d'honneur et d'humanité qu'elle a toujours professés pour d'honorables

infortunes.

Nous sommes, Monsieur le Pair, avec la plus haute considération,

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Ordre du tzar Nicolas Ier, au feld-maréchald Paskévitsch, par l'entremise du général Tschernyscheff, de faire transporter à Péters bourg, la bibliothèque et les collections appartenant à la société royale des Amis des sciences de Varsovie.

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Altesse,

Saint-Pétersbourg, le 6/18 avril 1832 A la lettre de Votre Altesse adressée le 26 du mois dernier, n° 3167, au ministre secrétaire d'État comte Etienne Grabowski, et accompagnée d'une requête du général-lieutenant Joseph Rautenstrauch, relative à la conservation de la bibliothèque pour la société littéraire de Varsovie, S. M. l'Empereur a daigné m'ordonner de répondre à Votre Altesse que Sa Majesté ne peut pas reconnaître la solidité des arguments que le général Rautenstrauch a présentés dans sa requête, savoir que ladite société est restée fidèle, dans l'intervalle de la révolution, au but de son institution et ne s'est occupée que de recherches et de travaux littéraires; car ses principaux membres, comme le prince Adam Czartoryski et J. U. Niemcewicz, furent les plus actifs personnages lors du fatal renversement de l'ordre dans le royaume, et qu'il y avait sans doute parmi les agitateurs beaucoup d'autres membres de cette société qui sont inconnus à Sa Majesté. Ces raisons sont suffisantes aux yeux de Sa Majesté pour que la société littéraire de Varsovie ne doive plus être considérée comme existante.

1. Archives de Russie.

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