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Après la réception officielle, le neveu de l'Empereur passa en revue plus de deux mille officiers, sous-officiers et soldats de la Grande Armée, rangés sur deux files dans les jardins de la préfecture.

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Mon prince, lui dit avec émotion un vieux capitaine aux cheveux blancs, je voudrais être encore assez jeune pour vous servir! C'est le tour de vos enfants, répondit le prince, en lui prenant la main : vous avez eu votre part. Je vois en vous la gloire du passé! Et, moi, s'écria le vieillard électrisé par la présence du neveu de l'Empereur, je vois en vous, mon prince, l'espoir de l'avenir! La population se repentait d'avoir gardé, la veille, une attitude silencieuse elle prit sa revanche, en saluant de ses acclamations le prince, qui visita les hôpitaux, l'arsenal, les établissements militaires, et qui passa une grande revue. Le cri de : Vive la République! s'affaiblit insensiblement, et finit par se taire tout à fait. On ne l'entendit presque plus jusqu'à Paris.

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De Metz à Châlons-sur-Marne, où le Président fit son entrée le 27 août, vers onze heures du soir, ce fut un véritable triomphe, à travers la Champagne, qui fit éclater, dans cette occasion, son enthousiasme pour l'héritier de Napoléon.

- Je suis heureux, dit le prince, en répondant au discours du maire de Châlons, je suis heureux de me trouver au milieu de cette héroïque Champagne, dont les habitants donnèrent tant de preuves de dévouement à l'Empereur dans la Campagne de 1814.

L'accueil que le Président reçut à Reims, couronna cette longue ovation : il entra dans la ville, à une heure, le 28 août; le maire, qui le harangua sous un arc de triomphe, lui exprima la reconnaissance de cette cité industrielle, qui avait vu renaître la prospérité de ses manufactures, avec l'ordre et la sécurité publique.

-En me plaçant à la tête du Gouvernement, répondit le prince, le vœu national m'a imposé de grands devoirs. Je me suis constamment appliqué à les remplir, et pour cela, je n'ai reculé devant aucun obstacle. Je suis heureux d'apprendre par votre organe, monsieur le maire, que j'ai répondu au vœu du pays. Je sais toute l'importance que cette grande cité doit attacher au maintien de

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l'ordre, au rétablissement de l'autorité. Sa cause est celle à laquelle je me suis dévoué, et rien ne me coûtera pour la faire triompher.

Le prince alla descendre au palais de l'archevêché, et l'archevêque lui adressa, au nom du clergé de France, une allocution, dans laquelle il énumérait les services signalés que le président de la République avait rendus à l'Église.

Sous l'égide des sentiments que vous m'exprimez au nom du clergé, Monseigneur, répondit le Président, j'ai la conviction de tout le bien que vous pouvez faire, en inspirant à tous, en leur faisant aimer les grands principes d'union et de conciliation, aujourd'hui si désirables pour affermir l'ordre et l'autorité dans ce pays.

Il répondit ensuite, au maire de Reims, qui lui présentait le Conseil municipal, qu'il avait entrepris son voyage pour juger par luimême l'esprit des populations, et que le bon sens de ces populations lui inspirait toute confiance; car il ne pouvait pas croire «< que le peuple qui travaille se laissàt tromper par les utopies, dont le but est l'anéantissement du travail, de l'industrie et du commerce. »

Plus de trois mille fonctionnaires passèrent devant le Président dans les salons de l'archevêché.

Au banquet, le maire porta un toast «à l'Élu de la nation, » et celui-ci y répondit par ces paroles improvisées, qui furent suivies de bravos prolongés :

<«< Messieurs, l'accueil que je reçus à Reims, au terme de mon voyage, vient confirmer ce que j'ai vu par moi-même dans toute la France, et ce dont je n'avais pas douté. Notre pays ne veut que l'ordre, la religion et une sage liberté. Partout, j'ai pu m'en convaincre, le nombre des agitateurs est infiniment petit, et le nombre des bons citoyens infiniment grand. Dieu veuille qu'ils ne se divisent pas!

« C'est pourquoi, en me retrouvant aujourd'hui, dans cette antique cité de Reims, où les rois, qui représentaient aussi les intérêts de la nation, sont venus se faire sacrer, je voudrais que nous pussions y couronner, non plus un homme, mais une idée, l'idée d'union et de conciliation, dont le triomphe ramènerait le repos dans notre patrie, déjà si grande par ses richesses, ses vertus et sa foi.

« Faire des vœux pour la prospérité publique, c'est en faire pour la ville de Reims, dont la position industrielle est d'une si haute importance. Permettez-moi de porter un toast à la ville de Reims. »

Le prince avait besoin de se reposer de tant de fatigues, de tant d'émotions; il avait hâte aussi de rentrer à Paris, qu'il avait livré si longtemps aux influences hostiles de la Commission de permanence. Il partit de Reims, à la fin du banquet, et ne fit que de courtes stations à Épernay, à Château-Thierry et à Meaux. A neuf heures, le convoi, qui l'avait conduit à toute vapeur, entrait dans la gare chemin de fer de Strasbourg.

du

Les ministres de l'intérieur, de la justice et de l'instruction publique l'y attendaient, avec le général Changarnier. Le prince les embrassa successivement, à la descente du wagon. Dès qu'il parut sur la place du débarcadère, la troupe, qui était sous les armes, cria énergiquement: Vive Napoléon! Ce cri fut répété par une partie des spectateurs.

Depuis sept heures du soir, on attendait, sur les boulevards, le passage du Président. L'affluence des curieux n'avait fait que s'accroître, en même temps que l'agitation de la foule. Le voyage du prince était le sujet d'entretien, dans tous les groupes : il avait échoué, selon les uns; il avait réussi, selon les autres. Les démagogues se faisaient partout nouvellistes et orateurs; de distance en distance, ils avaient établi des relais de vociférateurs, qui s'exerçaient d'avance à pousser le cri de Vive la République! Ce cri retentit avec fureur, quand on vit venir le cortége; mais des acclamations, qui n'avaient pas été préparées, partirent avec non moins d'ensemble, et se prolongèrent sans interruption le long des boulevards.

Derrière le cortége, qui se composait de chasseurs, de carabiniers et de hussards, entourant la voiture du Président, une bande d'hommes en blouse et d'enfants en haillons couraient, à perdre haleine, en jetant des cris forcenés.

C'était la dernière scène de la Manifestation démocratique et sociale. Les démagogues, peu satisfaits du résultat de cette Manifestation, n'hésitèrent pas à faire dire, par leurs journaux, que tous

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les affiliés de la Société du Dix décembre avaient été convoqués, au nombre de dix mille, pour comprimer l'élan populaire, avec leurs poignards, et pour saluer de vivats stipendiés le retour de leur patron!

CHAPITRE XII.

à

Le président de la République, en revenant à Paris, apprit la mort du roi Louis-Philippe. Il ne conservait aucun ressentiment personnel contre le chef de la dynastie d'Orléans, et il se plut à rendre hommage, par quelques mots remplis de délicatesse et de convenance, la noble résignation que le vieux roi avait montrée dans l'infortune. Louis-Philippe, depuis son arrivée en Angleterre, à la suite des événements de Février, avait vécu paisiblement au château de Claremont, écrivant ses Mémoires, au milieu de sa famille. Il soupirait bien quelquefois, en songeant à sa couronne perdue, mais il se disait, pour se consoler, que, si l'on triomphe aisément d'une émeute, on n'arrête pas une révolution.

Cependant ses yeux et sa pensée étaient toujours fixés sur la France. Quand il vit son nom et sa pensée déjà oubliés dans ce pays qu'il se glorifiait d'avoir gouverné pendant dix-huit ans, quand il vit la révolution domptée par l'ascendant du prince Louis-Napoléon, quand il vit grandir et rayonner les destinées de l'héritier de l'Empereur, il tomba dans une tristesse amère, dans un profond marasme. On ne l'entendit plus répéter qu'il serait le dernier roi de France. L'avenir se revèle à ceux qui vont mourir. A ses derniers moments, il adressa de sages et touchantes recommandations à ses enfants. On assure qu'il invita le duc de Nemours, comme chef de la famille d'Orléans et comme tuteur du comte de Paris, à ne faire aucun pacte politique avec les Bourbons de la branche aînée.

Le président de la République, en rentrant à l'Élysée, avait trouvé la commission de permanence fort inquiète, fort émue et fort irritée

du voyage triomphal, qu'il venait de faire à travers les départements de l'Est et qu'il allait continuer dans ceux de l'Ouest. Les discours de Lyon et de Strasbourg étaient encore l'objet des conférences de cette Commission qui accusait le Président de vouloir s'élever audessus de l'Assemblée et de marcher à l'Empire.

Cependant, la Commission de permanence, en donnant carrière à ses défiances contre Louis-Napoléon et en se préoccupant de l'approche d'un coup d'État bonapartiste, fermait les yeux complaisamment sur la conduite inqualifiable de plusieurs de ses membres, qui préparaient à ciel ouvert une Restauration monarchique, mais qui n'étaient pas d'accord sur l'ordre de successibilité au trône qu'ils croyaient avoir déjà presque rétabli.

Depuis le commencement de l'année, on travaillait à la Fusion, avec beaucoup de zèle et d'adresse, sans que les parties intéressées se prêtassent le moins du monde à cette bizarre et ridicule combinaison politique.

Cette Fusion consistait dans le rapprochement et l'entente des deux Prétendants de la maison de Bourbon; mais ni l'un ni l'autre ne consentait à faire le premier pas et chacun désirait rester dans sa position particulière : le comte de Chambord, chef de la légitimité de droit divin; Louis-Philippe, chef de sa dynastie constitutionnelle, et portant le titre indélébile de roi.

Il y avait eu de part et d'autre, néanmoins, des ambassadeurs officieux; des hommes d'État, allant de Frosdorff à Claremont, et de Claremont à Frosdorff; des projets de réconciliation et d'alliance, toujours sans résultat et même sans probabilité de succès. Tous les jours, à Paris, dans les salons et les journaux orléanistes surtout, on répandait le bruit de la conclusion d'un arrangement définitif: on allait jusqu'à dire que Henri V adopterait le comte de Paris, et que Louis-Philippe, ayant abdiqué le 24 Février 1848, laisserait s'éteindre avec lui le principe révolutionnaire de la royauté de 1830. Les anciens ministres du Gouvernement de Juillet étaient les plus actifs à poursuivre cette chimère de la Fusion. L'aristocratie légitimiste, de son côté, se montrait peu favorable à une transaction, à un

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