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apens de menaces et d'injures. Il y avait une tactique adoptée par les ordonnateurs socialistes, pour que sa sortie de l'Élysée fût toujours accompagnée du cri de ralliement : Vive la République démocratique et sociale! Souvent, aussi, des bandes déguenillées se précipitaient autour de son cheval ou de sa voiture, en hurlant : Amnistie pour nos frères! Or, la plupart de ces étranges suppliants étaient des insurgés de Juin, que le prince avait graciés eux mêmes.

Un jour, en revenant du Champ-de-Mars, où il avait assisté à des manœuvres militaires, il fut, tout à coup, enveloppé et séparé de son escorte, par une de ces bandes, plus nombreuse, plus hardie et plus mal intentionnée que les autres. Il courait, sans doute, un véritable danger, mais il n'eut pas l'air de s'en apercevoir; et, arrêtant sou cheval, il promena un regard froid et sévère sur les affreuses figures qui l'entouraient.

Que voulez-vous? dit-il d'une voix ferme et douce à la fois; si vous êtes de mes amis, parlez; si vous êtes des ennemis, je ne vous crains pas !

Ses aides-de-camp et ses officiers vinrent fort à propos pour le délivrer des mauvais desseins de ces gens-là, qui furent paralysés par l'admirable sang-froid de Louis-Napoléon.

Un autre jour, comme il rentrait à l'Élysée, après une promenade, il se vit encore arrêté par une troupe d'hommes en blouses, qui se dirent les délégués du peuple, et qui lui déclarèrent effrontément qu'on ne le laisserait pas libre, à moins qu'il ne s'engageât à leur accorder l'amnistie pour leurs frères.

Le prince était seul, à cheval, suivi d'un domestique; il n'avait pas d'armes cette fois, l'indignation passa dans son regard.

L'amnistie! nous voulons l'amnistie! criaient les prétendus délégués du peuple, qui n'étaient que des agents de sociétés secrètes. - Vous vous y prenez mal, dit Louis-Napoléon. Place! ajouta-til d'un air et d'un ton d'autorité, qui commandait le respect.

La foule s'ouvrit à cet ordre, et le prince la traversa lentement, entre une double haie de vauriens, que son regard avait contenus, et qui n'osèrent donner suite à leur tentative.

C'étaient probablement des repris de justice? dit le prince à un de ses aides-de-camp, qui le suppliait de ne plus sortir seul. La présence de ces gens-là est dangereuse pour tout le monde, à Paris. Ce sont là d'étranges électeurs!

Le président de la République voyait clair dans les projets de ses ennemis, qui étaient ceux de l'ordre et de l'autorité. Toujours calme, toujours maître de lui-même, il savait se préserver de tout optimisme aveugle, comme de tout découragement involontaire ou raisonné. En dépit des sujets de crainte que lui présentait l'avenir, il avait foi dans le bon sens du pays, et il se disait qu'avec l'aide des citoyens honnêtes, il pouvait encore sauver la France.

Au milieu des agitations tumultueuses qui préludaient à l'élection du 28 avril, une occasion s'offrit d'adresser de sages conseils aux électeurs, et il fit entendre, dans cette circonstance, des paroles rassurantes, qui contrastaient, par leur placidité et leur calme, avec les fiévreuses et ardentes polémiques de l'Assemblée, de la presse et des clubs.

Ce fut à l'ouverture de la session du Conseil-général de l'agriculture, du commerce et des manufactures, le 7 avril, qu'il prononça le discours suivant:

« Messieurs, jamais le concours de toutes les intelligences n'a été plus nécessaire que dans les circonstances actuelles. Il y a quatre ans, époque de votre dernière réunion, vous jouissiez d'une sécurité complète qui vous donnait le temps d'étudier à loisir toutes les améliorations destinées à faciliter le jeu régulier des institutions. Aujourd'hui, la tâche est plus difficile. Un bouleversement imprévu a fait trembler le sol sous vos pas: tout a été remis en question. Il faut, d'un côté, raffermir les choses ébranlées; de l'autre, adopter avec résolution les mesures propres à venir en aide aux intérêts en souffrance. Le meilleur moyen de réduire à l'impuissance ce qui est dangereux et faux, c'est d'accepter ce qui est vraiment bon et utile.

« La position embarrassée de l'agriculture appelle, avant tout, les conseils de votre expérience. Déjà, le Gouvernement lui a porté les premiers secours, par le dégrèvement de vingt-sept millions sur la

propriété foncière, annoncé à l'Assemblée législative, et par la présentation du projet de loi sur la réforme hypothécaire. De plus, pour faciliter les emprunts, il a renoncé à une partie du droit d'enregistrement des créances hypothécaires, et, bientôt il vous consultera sur un projet de crédit foncier qui offrira, je l'espère, des avantages réels à la propriété, et n'exposera pas le pays aux dangers du papier-monnaie.

« On attend avec impatience votre avis au sujet du dégrèvement successif de l'impôt du sucre. Sans nuire à l'importance du sucre indigène ni à la production coloniale, nous voudrions, dans l'intérêt des consommateurs, diminuer le prix d'une denrée devenue de première nécessité.

<< Bien des industries languissent; elles ne se relèveront, comme l'agriculture et le commerce, que lorsque le crédit public lui-même sera rétabli.

« Le crédit, ne l'oublions pas, c'est le côté moral des intérêts matériels: c'est l'esprit qui anime le corps. Il décuple, par la confiance, la valeur de tous les produits, tandis que la défiance les réduit à néant. La France, par exemple, ne possède pas aujourd'hui trop de blé, mais le manque de foi dans l'avenir paralyse les transactions, maintient le bas prix des denrées premières, et cause à l'agriculture une perte immense, hors de toute proportion avec certains remèdes indiqués.

« Ainsi, au lieu de se lancer dans de vaines théories, les hommes sensés doivent unir leurs efforts aux nôtres, afin de relever le crédit, en donnant au Gouvernement la force indispensable au maintien de l'ordre et du respect de la loi.

<< Tout en prenant les mesures générales qui doivent concourir à la prospérité du pays, le Gouvernement s'est occupé du sort des classes laborieuses. Les caisses d'épargne, les caisses de retraite, les caisses de secours mutuels, la salubrité des logements d'ouvriers, tels sont les objets, sur lesquels, en attendant la décision de l'Assemblée, le Gouvernement appellera votre attention.

« Une réunion comme la vôtre, composée d'hommes spéciaux,

aussi éclairés, aussi compétents, sera fertile, j'aime à le croire, en heureux résultats. Exempts de cet esprit de parti, qui paralyse aujourd'hui les meilleures intentions et prolonge le malaise, vous n'avez qu'un mobile, l'intérêt du pays.

« Examinez donc, avec le soin consciencieux dont vous êtes capables, les questions les plus pratiques, celles d'une application immédiate. De mon côté, ce qui sera possible, je le ferai avec l'appui de l'Assemblée; mais, je ne saurais trop le répéter, hâtons-nous, le temps presse: que la marche des mauvaises passions ne devance pas la nôtre ! »

Ce discours, contre lequel on avait soulevé d'avance des inquiétudes et des défiances qui tombèrent d'elles-mêmes, dès qu'il fut connu, avait attiré une prodigieuse affluence de monde au Luxembourg, où le prince se rendit, accompagné du vice-président de la République, M. Boulay de la Meurthe, et de tous les ministres.

Il y avait là beaucoup de représentants qui étaient venus avec la pensée de trouver, dans les paroles de Louis-Napoléon, de quoi animer contre lui les susceptibilités de l'Assemblée, mais ils furent trompés dans leur espoir malveillant, et ils ne rapportèrent, de cette séance d'apparat, qu'un amer sentiment de leur faiblesse et de leur obscurité, vis-à-vis du chef de l'État, qui avait déjà tout l'éclat, tout le prestige, toute l'autorité d'un souverain légitime.

Quand il s'était levé pour parler, l'auditoire, se levant aussi spontanément, avait voulu rester debout pendant qu'il parlait, et les applaudissements unanimes, qui l'interrompirent plus d'une fois, s'adressaient moins au Président temporaire de la République, qu'à l'héritier de l'Empereur, à l'auguste chef de la dynastie napoléonienne.

CHAPITRE III.

L'auréole impériale, qui couronnait le président de la République, n'était jamais plus rayonnante que dans les fréquentes apparitions du prince aux yeux des soldats: on eût dit que tous les glorieux souvenirs de l'Empire s'étaient incarnés en lui et attachés à son nom.

L'armée avait autant de confiance dans son génie de grand capitaine, que si elle l'avait vu remporter des victoires; elle lui portait autant d'affection, que si un pacte mutuel s'était fait entre elle et lui sur le champ de bataille; elle l'eût proclamé Empereur, si elle n'avait pas craint son désaveu et son refus.

C'était lui, en effet, lui seul, qui avait, sans guerres et sans conquêtes, relevé dans l'armée le sens moral de l'honneur, du devoir et de la discipline militaires ; c'était lui qui avait fait une armée fidèle, dévouée et invincible, avec des corps de troupes, à demi désorganisés, à demi pervertis par l'embauchage socialiste. Voilà surtout ce que la faction démagogique ne pardonnait point au prince qui lui avait ôté tous ses moyens d'action auprès du soldat.

Les visites de Louis-Napoléon dans une caserne faisaient bondir de fureur toute la Sociale, car chacune de ces visites avait une prodigieuse influence sur l'armée, qui se sentait intéressée tout entière à la sollicitude du prince pour la gloire du drapeau.

Les distributions de croix, que le président de la République faisait lui-même dans les régiments qu'il passait en revue, étaient bien plus flatteuses pour l'amour-propre des décorés et pour l'émulation de leurs camarades, que celles qui avaient lieu naguère, sur l'ordonnance du ministre de la guerre, par l'intermédiaire d'un colonel ou d'un général.

Il est vrai de dire que ces distributions étaient faites ordinairement avec justice et discernement, de telle sorte qu'elles constataient, de préférence, les droits acquis par l'ancienneté des services. Il semblait que la croix de la Légion d'honneur, trop longtemps détournée du

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