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but de son institution, sous le règne de Louis-Philippe, eût repris tout à coup le caractère et l'éclat qu'elle avait sous l'Empire.

Un vieux capitaine, à qui ses campagnes, ses blessures et ses beaux faits d'armes avaient bien mérité la décoration, se trouva mal, au moment où le prince lui attacha la croix d'honneur sur la poitrine.

-Ah! Sire! s'écria-t-il, en pleurant comme un enfant, lorsqu'il fut revenu à lui: j'ai cru revoir l'Empereur, qui me décorait de sa main!

Un jeune sergent, nommé Robin, qui devait être décoré aussi dans une grande revue au Champ-de-Mars, perdit connaissance, avant d'y arriver, et tomba dans les bras de ses camarades. On lui donna les soins que réclamait son état, mais, en voyant sa compagnie s'éloigner, il retrouva des forces pour la rejoindre, tout pâle et encore tout ému: il voulut se remettre dans les rangs et reprendre son fusil.

- Il fallait rentrer au quartier, lui dit le capitaine: vous n'êtes pas capable, mon ami, de paraître à la revue.

- Laissez faire, capitaine, répondit-il : dès que j'aurai ma croix sur le cœur et mon prince en face de moi, je serai un homme.

Dans cette revue, à laquelle Louis-Napoléon avait invité sa tante, la grande-duchesse de Bade, qui était à Paris depuis quelques semaines, il distribua lui-même vingt-huit décorations à des officiers, sous-officiers et soldats, en les félicitant de s'être rendus dignes de cette distinction glorieuse.

Monseigneur, lui dit avec enthousiasme un des nouveaux décorés, vous n'avez qu'à nous mener à Marengo ou à Austerlitz et vous verrez si nous ne sommes pas les fils de nos pères !

Cette revue, favorisée par un temps magnifique, qu'on ne devait point espérer des incertitudes de la saison, rappela, par la belle tenue des troupes et par l'admirable exécution des manœuvres, les plus imposantes revues de l'époque impériale. Tout Paris avait voulu avoir sa part dans le noble et brillant spectacle, que le président de la République offrait à la grande-duchesse de Bade.

Les journaux d'opposition, de toutes les nuances, ne manquèrent

pas

de signaler cette revue comme un symptôme alarmant des tendances obstinées du Gouvernement vers les choses de l'Empire. Le texte était tout trouvé, pour insulter à la mémoire de l'Empereur, et pour déblatérer contre son règne, avec autant de mauvaise foi que d'ignorance, avec autant d'audace que de lâcheté.

Le Napoléon répondit, de main de maître, à ces ennemis publics de notre gloire nationale: « Les socialistes, non contents d'attaquer le président de la République, veulent diriger leur acharnement contre les souvenirs de l'Empire. Leur but ne sera pas rempli, car la popularité de l'Empereur est au-dessus de leurs atteintes...

<< Il y a de ces popularités immortelles qui sont une véritable force, et si la perfide malveillance de quelques agitateurs vient à les obscurcir, elles traversent ces ténébreuses nuées, pour en ressortir plus éclatantes et plus pures.

« Le peuple se fiera plus encore aux traditions et aux idées napoléoniennes, qu'aux folles doctrines du Socialisme.

« Loin d'être épuisée, la vertu du nom de Napoléon reste immense, parce que ce nom résume tous les principes qui doivent donner à la société nouvelle du dix-neuvième siècle la puissance et l'avenir.»>

La sollicitude du prince Président pour l'armée eut, sur ces entrefaites, une douloureuse occasion de se produire avec éclat.

Le 16 avril, le premier bataillon du 11° régiment d'infanterie légère, qui se rendait en Algérie, traversa le pont suspendu de la BasseChaîne, qui conduit à Angers. Le vent d'ouest soufflait avec violence et faisait osciller le tablier du pont. A peine la tête du bataillon avaitelle atteint l'autre bord, que les fils de fer et les colonnes en fonte, qui soutenaient le tablier, se brisent avec un fracas épouvantable : cinq cents hommes sont précipités au milieu de la Maine, que la tourmente agite comme une mer. Les uns périssent noyés ou étouffés en tombant ; les autres, écrasés par les débris du pont, percés de leurs propres baïonnettes; d'autres, tout sanglants et grièvement blessés, luttent contre la mort, en poussant des cris lamentables.

Toute la ville d'Angers est accourue, avec son maire et les autorités, sur le lieu du désastre. On manque de barques; il faut aller, à

la nage, disputer aux flots les malheureux que le courant entraîne, ou que l'ouragan a déjà engloutis.

Il y eut des prodiges de courage et de dévouement. Le lieutenantcolonel, ancien officier de l'Empire, fut sauvé par son adjudantmajor et par quelques-uns de ses soldats.

Après trois heures de recherches et d'efforts héroïques, deux cents cadavres, presque tous horriblement mutilés, et cent cinquante blessés, avaient été retirés des eaux de la Maine.

Cette horrible catastrophe jeta la consternation par toute la France. Dès que le Gouvernement en fut instruit, il avisa aux moyens de

secourir les familles des victimes.

Le président de la République envoya sur-le-champ, à Angers, un de ses officiers d'ordonnance, le commandant Fleury, chargé de lui rendre compte de l'événement. Mais, avant que M. Fleury eût pu remplir sa mission, Louis-Napoléon, sur de nouveaux rapports, qu'il reçut par le télégraphe et qui lui causèrent une profonde douleur, partit, la nuit même, pour Angers, avec les ministres de la guerre et des travaux publics.

Dès le point du jour, il se rendit à l'hôpital, avec ses deux ministres, le général Castellane, le maire de la ville et le préfet du département. Sur son passage, les soldats, qui avaient été recueillis dans les maisons particulières, où ils trouvaient les soins les plus empressés, se traînaient dans la rue, ou se faisaient transporter hors de leurs lits, aux fenêtres, pour voir le prince. Celui-ci, s'arrêtant à chaque pas, prodiguait des consolations et des secours à chaque blessé, qui versait des pleurs de joie en le regardant.

C'est à l'hôpital, que le plus triste spectacle attendait LouisNapoléon. Les blessés y étaient nombreux; la plupart avaient subi des opérations cruelles; beaucoup devaient rester infirmes pour toujours; beaucoup semblaient ne pouvoir survivre à leurs blessures. Le prince s'approcha de tous les lits, parla aux malades, les encouragea, leur promit la protection du Gouvernement, et les laissa pénétrés d'émotion et de reconnaissance.

Avant de quitter l'hospice, il réunit autour de lui les administra

teurs, les médecins, les sœurs de charité et les employés ; il les remercia de leur zèle, au nom de l'armée et du pays.

Ensuite, il alla visiter la caserne du 11° régiment, qui venait d'être décimé par cet épouvantable événement. Il fut salué par les acclamations les plus cordiales: officiers et soldats étaient émus jusqu'aux larmes, en voyant le chef de l'État au milieu d'eux.

Puis, il se rendit au bord de la Maine, suivi par toute la population, qui lui témoignait, par mille cris, combien elle était touchée de son empressement à venir partager la douleur publique et à y apporter des soulagements.

Il examina, de ses propres yeux, les ruines du pont suspendu ; il interrogea les ingénieurs, que le ministre des travaux publics avait appelés, et il ordonna une enquête sévère sur les causes de l'accident.

Il avait emporté avec lui vingt-quatre brevets de la Légion d'honneur, pour récompenser les actes de courage, de dévouement et d'humanité : il en distribua le double, et il aurait voulu, dit-il, en donner davantage.

L'Opposition démocratique ne rougit pas d'exploiter, à son profit, la catastrophe d'Angers.

Comme l'arrivée du 11° léger, à Angers, avait été signalée par des actes regrettables d'insubordination, qu'il fallait bien rattacher au système d'embauchage des frères et amis, on insinua que ce régiment était suspect au Gouvernement, qui l'envoyait combattre en Afrique, à titre de récompense. Il y eut des folliculaires assez infâmes pour insinuer que le Gouvernement avait voulu se débarrasser de ce régiment, en lui faisant traverser, par un jour d'orage, le pont de la Basse-Chaîne, dont la chute, disaient-ils, devait être déterminée, inévitablement, par le passage des troupes.

Ces exécrables et stupides calomnies n'eurent pas, comme on l'espérait, le pouvoir de tromper le sens moral du peuple; elles ne servirent pas même à irriter la fièvre électorale, que les clubs entre tenaient alors dans les classes ouvrières de Paris. Elles furent repoussées et flétries, comme elles méritaient de l'être, quand on essaya de les faire circuler dans l'armée.

Les embaucheurs, soudoyés par la caisse du Comité démocratique et social, entraînaient bien dans les cabarets quelques soldats, quelques sous-officiers, qui ne refusaient pas de boire aux frais de la Rouge, comme ils l'avouaient en riant; mais toutes les ardentes prédications qu'on leur faisait subir, en vidant force bouteilles de vin et d'eau-de-vie, échouaient contre l'esprit de corps et la discipline militaire.

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Quoique nous buvions le vin de ces messieurs, disait avec malice un jeune soldat, qui avait pris part à des libations socialistes, cela ne nous empêchera pas de tomber dessus à l'occasion, et de frapper ferme. Il est bon de connaître les gens à qui l'on doit avoir affaire, et nous savons ce que c'est que les frères et amis. N'ayez pas peur, mon lieutenant, ajoutait-il, quand le Président voudra, nous ferons danser ces messieurs de la Sociale.

Les socialistes avaient beau faire, la popularité du président de la République triomphait de toutes leurs odieuses manœuvres. Ceux-là même qui, aveuglés ou convaincus, venaient de proférer les cris séditieux du Socialisme, ne pouvaient souvent s'empêcher de crier, comme les autres: Vive Napoléon! si le prince passait auprès d'eux, et leur souriait avec mansuétude.

—Es-tu sûr que j'ai crié : Vive Napoléon? disait un vieil ouvrier à un de ses camarades, qui lui adressait d'amers reproches à ce sujet. Parole d'honneur! ce n'est pas ma faute. Dès que je vois le Président, je ne suis plus maître de moi, je ne me connais plus; il me semble que c'est l'Autre,... et je me ferais tuer pour lui, s'il disait un mot. Oh! l'Empereur! murmura-t-il en soupirant.

Un jour, que Louis-Napoléon se promenait à cheval, près de la manufacture de Sèvres, il fut reconnu, et aussitôt entouré par une foule curieuse et sympathique.

Un aide-maçon, qui travaillait dans une maison en construction, descendit de son échafaudage et s'approcha du prince, qui passait.

Celui-ci se tourna vers le jeune homme, qui l'avait salué d'un vivat énergique, et il le remercia par un sourire gracieux.

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