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A cinq heures trois quarts, les petits détachements de troupes,

avait l'espoir de se saisir des conspirateurs, avant qu'ils eussent donné suite à leur complot tramé dans les comités démagogiques de Londres. Tous les commissaires répondirent, à l'envi, que le Gouvernement pouvait compter sur la fidélité de tous ses agents, comme sur la leur. Ces hommes de courage et de résolution semblaient animés de la même ardeur et de la même impatience, si bien que M. de Maupas, en les congédiant, fut obligé de leur recommander la prudence et la modération.

Ils devaient se tenir toute la nuit à la disposition du préfet, qui les fit avertir individuellement par estafettes, de se trouver, vers quatre heures du matin, à l'hôtel de la Préfecture. A mesure qu'ils y arrivaient, ils étaient placés, par groupes, de deux ou trois, dans différents salons.

Un coup de sonnette les appela l'un après l'autre dans le cabinet du préfet. Celui-ci ne leur cacha plus rien de ce qui se passait; il leur annonça le coup d'État et les invita, en quelques paroles chaleureuses et bien senties, à se dévouer, comme lui, pour le faire réussir. Il n'eut pas de peine à faire passer ses propres convictions dans tous les cœurs, et il ne rencontra aucun symptôme de défaillance morale chez les fonctionnaires auxquels il confia l'arrestation de seize représentants et de soixante-deux chefs de sociétés secrètes ou de barricades.

Au reste, M. de Maupas, depuis son entrée à la préfecture de police, s'était attaché, sinon à renouveler tout le personnel de son administration, du moins à connaître le caractère des employés qui en faisaient partie il croyait donc pouvoir compter sur le concours énergique de ceux qu'il avait désignés pour remplir un rôle actif dans l'exécution du coup d'État.

L'hôtel de la préfecture ressemblait, depuis minuit, à une place de guerre, préparée à soutenir un siége : les huit cents sergents de ville et toutes les brigades de sûreté y étaient réunis, et, aux alentours, on avait établi une ligne de sentinelles qui ne permettaient pas de pénétrer dans l'intérieur des cours.

A cinq heures trois quarts, les petits détachements de troupes,

commandés pour protéger les arrestations, arrivaient à la fois sur tous les points de la ville où ces arrestations devaient avoir lieu; ils étaient rejoints aussitôt par les commissaires de police, accompagnés de sergents de ville déguisés.

Chaque commissaire de police, se faisait reconnaître par chaque chef d'escouade, qui devait l'assister et lui prêter main-forte, sans savoir encore ce dont il s'agissait. On avait choisi de préférence, pour ce service d'où dépendait peut-être le succès de l'entreprise, les chasseurs de Vincennes et la garde républicaine, en s'assurant d'avance de l'adhésion patriotique des officiers qui commandaient ces divers détachements. Toutes les arrestations devaient s'opérer, en même temps, à six heures cinq minutes.

Celle du général Changarnier avait été considérée comme la plus difficile et la plus périlleuse, car on savait le général déterminé à vendre chèrement sa vie, et on pouvait craindre, s'il conservait l'usage de la liberté, qu'il ne l'employât à se faire un parti dans l'armée.

Un homme d'une rare énergie, M. Leras, l'ancien commissaire spécial de la prison de Ham, avait été, peu de semaines avant le 2 décembre, rappelé du Mont-Saint-Michel, où il exerçait les fonctions de directeur de la maison de détention politique; on l'avait choisi, entre tous ses collègues, pour s'emparer du général Changarnier.

Il communiqua ses ordres au capitaine de la garde républicaine, M. Baudinet, qui stationnait, avec un peloton de vingt-cinq hommes, à quelques pas de la maison du général, rue Royale-Saint-Honoré. A six heures cinq minutes, il se glissa dans cette maison, suivi de sergents de ville, en traversant la boutique et l'arrière-boutique d'un épicier qui venait d'ouvrir ses volets; l'alarme était déjà donnée, et un violent coup de sonnette annonça que le général appelait ses domestiques.

M. Leras s'élança dans l'appartement, dont la porte était restée entrebâillée, et se dirigeant à tâtons, de chambre en chambre, il pénétra jusqu'à celle du général : ce dernier s'était levé précipitamment et avait armé deux pistolets pour se défendre.

Général, on n'en veut pas à votre vie! s'écria le commissaire de police, qui l'empêcha de faire feu, en lui saisissant les deux bras et en les écartant de sa poitrine. Vous êtes seul, et nous sommes plus de trente, pour exécuter le mandat qui vous concerne. Je vous arrête!

Le général avait eu le temps de se consulter et de réfléchir : il rendit ses pistolets au commissaire de police et lui déclara tranquillement qu'il allait se mettre en état de le suivre; en effet, il appela son valet de chambre et se fit habiller, sans prononcer une parole.

Quand il fut vêtu à la hâte, il descendit l'escalier et monta dans un fiacre qui attendait à la porte de la maison: deux agents se placèrent en face de lui, dans la voiture, et M. Leras s'assit à ses côtés. Durant le trajet, le général ne se départit pas de son attitude calme et fière; il regardait parfois à travers les glaces du fiacre et avait l'air d'écouter les bruits lointains.

Savez-vous, Monsieur, dit-il sardoniquement au commissaire de police, que vous l'avez échappé belle? Une seconde de plus, et vous étiez mort!.. J'en aurais été désolé, car je m'aperçois que vous n'aviez pas d'armes, et vous ne faisiez que votre devoir...

- Si vous m'aviez tué, général, reprit avec noblesse M. Leras, vous auriez fait inutilement une veuve et quatre orphelins.

A quoi bon un coup d'État? objecta brusquement le général: la réélection du Président était certaine. Voilà bien de la peine qu'il se donne en pure perte!

Le commissaire de police ne répondit pas à des questions indirectes, que lui adressait le général, que ses conjectures avaient amené sur la voie de la vérité.

Si le Président a jamais une grande guerre à soutenir, dit le général avec un mouvement d'orgueil, certes, il sera bien aise de me retrouver, pour me confier un commandement...

- Je suis heureux, général, répartit vivement M. Leras, de vous entendre apprécier le cœur du prince, et, fût-ce malgré vous, je lui rapporterai ces paroles.

Le général fut un peu rassuré au sujet du but de son voyage, car il avait cru qu'on le conduisait à Vincennes pour être fusillé! La

T. IV.

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