Page images
PDF
EPUB

sait, dispersa lui-même, à la tête de deux bataillons de ce régiment, qu'il passait en revue, la bande vociférante, que le 11° léger trouvait partout attachée à sa suite. Les cris de joie se changèrent en cris de rage, et le régiment put continuer sa route, sans avoir à s'indigner davantage d'être en butte aux importunes sollicitations des sociétés secrètes.

L'armée, que le président de la République avait fortifiée ainsi par la discipline, n'était pas seulement destinée à faire ses preuves contre l'ennemi de l'intérieur : la guerre étrangère semblait alors inévitable.

Le Gouvernement anglais, après avoir accepté l'arbitrage du Gouvernement français dans les affaires de la Grèce, venait tout à coup, au milieu des négociations commencées à Londres, de faire agir sa flotte contre Athènes, et d'obtenir par la violence la solution d'un différend qui devait se terminer pacifiquement par la médiation de la France.

En apprenant cette duplicité du Cabinet que dirigeait lord Palmerston, le président de la République rappela notre ambassadeur, M. Drouin de Lhuys, en déclarant que «la prolongation de son séjour à Londres n'était plus compatible avec la dignité de la France. »

Les applaudissements qui accueillirent la communication de cette grave nouvelle à l'Assemblée, et qui eurent des échos énergiques dans le pays, annoncèrent à l'Europe que Louis-Napoléon ne transigerait jamais avec l'honneur national, et qu'il avait la France avec lui. L'Angleterre recula devant cette protestation solennelle, et la diplomatie se chargea de rétablir la bonne intelligence entre les deux nations, qui ne souffrirent pas que la paix fût troublée par la mauvaise foi et l'outrecuidance d'un ministre.

Lorsque les acclamations de l'Assemblée approuvaient si franchement la conduite toute française du chef de l'État, la Montagne garda le silence et prit une attitude lugubre: elle voyait déjà briller l'épée de la France dans la main d'un Napoléon.

CHAPITRE V.

Cependant la nouvelle loi électorale se discutait tumultuairement dans l'Assemblée. Les dix-sept Burgraves, forts de la majorité qu'ils faisaient mouvoir à volonté, avaient à lutter contre toutes les violences de l'Opposition républicaine et démagogique, qui songeait moins à défendre le suffrage universel, qu'à saper les bases du Gouvernement.

La loi électorale, que le ministère avait laissée à la responsabilité de la Commission des Dix-sept, et dont il ne comprenait pas, sans doute, la destination véritable, était un monstrueux amas de contradictions et d'injustices, qui se cachaient sous une réglementation spécieuse et honnête. La plupart des représentants, qui soutenaient cette odieuse et ridicule loi, n'en avaient pressenti ni l'intention ni les conséquences; ils préjugeaient seulement de sa nécessité et de son importance, en raison des efforts désespérés et des fureurs croissantes du parti anarchique, qui attaquait l'oeuvre des Burgraves comme une violation flagrante de la Constitution.

Cette loi, qui avait fait naître des débats si passionnés, dans l'Assemblée, et qui causait une si profonde émotion dans le pays, n'était, en apparence, qu'une simple organisation du suffrage universel. Tout se hornait à dresser des listes électorales où l'on n'inscrirait que les citoyens domiciliés depuis trois ans dans la même commune; mais le domicile, au lieu d'être constaté par la preuve légale devant les tribunaux, devait l'être uniquement par la preuve fiscale, d'après les registres des contributions directes. Ainsi, le cens électoral se trouvait rétabli sous le nom de la cote personnelle, qui justifierait, seule, du domicile et de l'inscription de l'électeur. Certaines exceptions avaient été mentionnées dans la loi, en faveur du soldat sous les drapeaux et du fonctionnaire en activité de service, qui étaient, l'un et l'autre, exemptés du domicile triennal. On avait aussi, outre les innombrables exclusions qui devaient résulter du silence de la cote

personnelle, à l'égard de plusieurs millions d'électeurs, fait une réserve, en faveur du fils domicilié depuis trois ans chez son père, et du salarié domicilié depuis trois ans chez son patron un simple certificat du patron ou du père suffirait pour établir, dans ces deux cas, la preuve du domicile et la capacité électorale.

C'était là tout le mécanisme de la nouvelle loi, qui avait l'air de ne vouloir exclure du vote que les incapables et les indignes, mais qui atteignait, en réalité, une notable partie des citoyens que la Constitution appelait à user de leurs droits électoraux.

Le suffrage universel se trouvait donc gravement compromis dans son principe légal, et, chose étrange, les crédules défenseurs de la loi, qu'ils n'avaient pas, il est vrai, inventée ni machinée, disaient avec candeur que cette loi, purement réglementaire, frapperait à peine cinq cent mille électeurs, appartenant la plupart à la démagogie. Ils soutenaient, d'ailleurs, que malgré ces restrictions apportées à l'exercice du droit électoral, la Constitution n'était pas violée, puisque la loi ne changeait rien aux conditions d'âge ni au scrutin de liste!

Voici en quels termes cette odieuse et inutile loi a été jugée par un des chefs de la Société du Dix Décembre, M. Gallix: «OEuvre de mensonge, qui conservait le mot suffrage universel et faisait disparaître la chose; qui, sous prétexte de domicile, rétablissait le cens; œuvre d'ingratitude, qui destituait un bon tiers de ces mêmes. électeurs, à la confiance desquels l'Assemblée devait son mandat et son existence; œuvre de haine et de discorde, qui appelait une bataille désespérée et provoquait les citoyens à la guerre civile; œuvre de partialité qui reconstituait un pays officiel dans le pays véritable, et donnait à la France une nouvelle aristocratie, l'aristocratie des domiciliés; œuvre d'aveuglement enfin, qui, atteignant un but contraire à celui qu'elle se proposait, jetait hors du suffrage universel une foule de dévouements acquis à la cause conservatrice ! »

Le président de la République n'avait pas plus de confiance qu'il n'en fallait dans les avantages d'une pareille loi, que son ministère appuyait avec tant d'énergie: plus la discussion parlementaire faisait

ressortir les vices et les inconvénients de cette loi transitoire, plus Louis-Napoléon doutait de l'efficacité du remède, que la majorité voulait opposer à l'invasion du Socialisme.

<< Il faut être sensible, et sans arrière-pensée, disait l'avant-dernier numéro du Napoléon (12 mai), au bon mouvement qui a porté les hommes et les partis politiques à vouloir travailler au salut commun. Aux passions violentes des ennemis de l'ordre social, opposer du calme et l'emploi le plus modéré de la légalité, c'est un spectacle qu'il est avantageux et digne de donner au pays. Seulement, si les mesures auxquelles on se confie ne suffisaient pas, nous ne croirions pas pour cela que tout fût perdu. Nous avons foi dans le sentiment profond qu'a le Gouvernement de sa mission, dans les forces vives de la société, dans les excellents instincts des masses. Quand nous parlons du Gouvernement, nous ne nous préoccupons pas d'un intérêt individuel, mais nous avons les yeux fixés sur l'étoile de la France. »

Le chef du Pouvoir exécutif avait promis aux chefs de la majorité parlementaire de les laisser agir et même de les seconder dans ce qu'ils entreprendraient pour obvier aux périls de la situation; il tint parole, il resta neutre au milieu du grand débat qui passionnait l'Assemblée, et qui retentissait par toute la France; il ne prononça pas même un mot d'approbation ou de blâme, de peur de paraître avoir influencé l'attaque où la défense; il poussa la prudence jusqu'à faire taire le seul organe reconnu qu'il avait dans la presse, en arrêtant tout à coup la publication du Napoléon.

Le dernier numéro de cette feuille si remarquable, dans laquelle il faut chercher le véritable écho de l'Élysée, à cette époque, parut deux jours après le rapport de M. Léon Faucher sur la loi électorale; mais il ne parlait de cette loi qu'avec une extrême réserve, et néanmoins, le président de la République, mécontent de l'article inopportun qu'on avait publié à son insu, décida que le journal cesserait de paraître.

Il y avait dans ce même numéro (le 20°), un autre article, qui résumait admirablement la conduite tenue par le Pouvoir au milieu des graves circonstances où il se trouvait encore.

[ocr errors]

« Le lendemain d'une révolution, le Gouvernement a une double tâche à remplir; il améliore et il réprime; il s'affermit et il combat, appelant à l'œuvre du salut commun, sans distinction de parti, tous les hommes capables et dévoués au pays, et traitant les pervers en ennemis dont il faut avoir raison. Le lendemain d'une révolution, il faut gouverner au nom de cette révolution et tout faire pour en éviter une nouvelle, »

Quinze jours auparavant, le journal avait dit que les idées qui pouvaient être les plus utiles au pays, étaient les Idées napoléoniennes. Cette déclaration de principes éveilla les susceptibilités des chefs du parti conservateur, qui se plaignirent au président de la République des embarras que le Napoléon créait à son Gouvernement; ils l'invitèrent à se séparer ouvertement de la rédaction de ce journal, qui passait, à tort ou à raison, pour l'interprète de sa politique personnelle,

Le prince n'avait pas promis de satisfaire à cette tyrannique exigence, mais il ne tarda pas à donner, en apparence, gain de cause aux meneurs légitimistes et orléanistes, qui se félicitèrent d'avoir enlevé aux Idées napoléoniennes leur principal instrument de propagande et d'influence,

Les autocrates de la majorité parlementaire crurent que c'était encore une concession qu'ils obtenaient du président de la République, et ils se fortifièrent dans le projet de lui ôter ainsi, une à une, toutes ses armes offensives et défensives. Ils ne se ménagèrent plus, ils ne s'effacèrent plus, dans la grande bataille de tribune qu'ils livraient à l'Opposition dans le champ-clos de la loi électorale; ils combattirent cette fois la visière levée, et ils s'attribuèrent de la sorte tout l'honneur, comme tout le profit, qu'ils attendaient de la victoire.

Le nom du prince Président fut à peine prononcé durant le cours de cette longue et mémorable lutte; quelques orateurs de la Gauche essayèrent en vain de l'y faire intervenir; les Burgraves étaient trop fiers de leur ouvrage, pour en vouloir céder la responsabilité à personne, et ils n'épargnèrent rien pour mettre en évidence le rôle passif que Louis-Napoléon avait adopté, en se bornant à ne pas

« PreviousContinue »