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dons incendiaires dans la presse socialiste, mais qui ne changea rien à l'aspect vivant et paisible de la capitale.

Il n'y eut qu'une agitation factice, produite surtout par les pétitions qu'on colportait de porte en porte pour recueillir des adhésions en faveur du suffrage universel, que ces pétitions, ridicules ou injurieuses, toutes chargées de signatures fausses, ne sauvèrent pas.

Le préfet de police signalait sa vigilance par une quantité d'arrestations faites dans les cabarets et chez les marchands de vin. On saisit des dépôts d'armes et de munitions de guerre, mais on ne découvrit pas le Comité-directeur, qui faisait mouvoir tous les fils du grand complot socialiste, qu'on avait empêché d'éclater dans les départements du Midi, où il s'étendait comme une traînée de poudre.

Une association secrète s'était formée à Béziers, depuis un an, pour l'organisation de la révolte. Cette association, qui recrutait ses adeptes dans la lie de la population, ne se contentait pas de les attacher à son œuvre par d'effroyables promesses de vengeance et de pillage; elle avait renouvelé la fantasmagorie des initiations whemiques du moyen âge. Par une nuit obscure, le récipiendaire était conduit, les yeux bandés, dans un lieu écarté; deux commissaires initiateurs, vêtus de camisoles bleues, avec des ceintures rouges, la tête couverte d'une cagoule noire percée de trous, comme celle des pénitents, se tenaient debout, le pistolet au poing, en face de l'adepte qu'ils interrogeaient, à la lueur des torches, et qu'ils déclaraient reçu dans l'association, après avoir exigé de lui les plus horribles serments, en le menaçant d'une mort instantanée, s'il trahissait ou s'il refusait d'obéir.

Six mille affiliés se rassemblèrent, une nuit, aux portes de Béziers; d'autres conciliabules nocturnes eurent lieu dans les montagnes de l'Hérault. On n'attendait, pour agir, qu'un mot d'ordre, qui devait venir de Lyon ou de Paris. Le mot d'ordre ne vint pas, et les chefs de l'association furent arrêtés.

Ce fut sous l'influence de ces nouvelles sinistres, que fut votée la loi électorale, dans la séance du 31 mai, malgré les protestations du tiers-parti, qui s'était groupé autour du général Cavaignac, et

qui s'efforçait de diviser la majorité, en la conviant à défendre la République gouvernementale contre la Terreur blanche et la République rouge. 433 voix avaient constaté le triomphe de cette majorité, qui ne voyait dans la nouvelle loi, qu'une arme de guerre, destinée seulement à frapper le Socialisme.

Les inventeurs de cette loi à double tranchant se réjouirent d'avoir entre les mains un pareil instrument de réaction monarchique. En profitant de la situation équivoque qui était faite au Pouvoir exécutif, les partis légitimiste et orléaniste allaient dès lors tourner contre lui tout ce qui leur restait de vie et de moyens d'action.

Le président de la République avait pourtant conservé, jusqu'au bout, le rôle de neutralité et d'abstention, qu'il s'était imposé, dès l'origine de la campagne entreprise par les chefs de la majorité, pour combattre le Socialisme et la Démagogie, sur le dangereux terrain du suffrage universel. On ne pouvait pas dire que le prince eût approuvé, même indirectement, la loi du Suffrage restreint; mais s'il réservait son opinion personnelle, il ne se refusait pas à laisser le champ libre à une épreuve dont les hommes les plus considérables du parti conservateur avaient accepté la responsabilité devant le

pays.

Louis-Napoléon était si bien résolu à n'apporter aucune entrave aux actes législatifs de la Commission des Dix-sept, que quand un représentant, M. Rigal, le supplia d'interposer son veto dans la question électorale, en lui dévoilant le secret de cette conspiration, dirigée à la fois contre sa popularité et contre sa réélection, le prince répondit en souriant:

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Je ne crois pas, dans mon opinion, que cette loi, quelle qu'elle soit, puisse atteindre le suffrage universel qui nomme le président de la République.

Et quoique M. Rigal lui eût soumis des chiffres et des calculs, qui démontraient clairement le véritable but de la Réforme électorale, Louis-Napoléon, fidèle à une parole donnée, ne s'opposa pas à la promulgation de la loi, qu'il pouvait faire servir, en refusant de la sanctionner, à l'accroissement de sa popularité.

CHAPITRE VI.

Le président de la République avait pu s'assurer déjà que sa popularité n'aurait pas à souffrir de l'impopularité d'une loi, à laquelle il voulait rester étranger. Pendant qu'on la préparait avec tant de perfidie, et qu'on la discutait avec tant d'emportement, il fut toujours accueilli par la même sympathie et par les mêmes acclamations.

Le voyage qu'il fit à Fontainebleau, avec sa tante, la grande-duchesse de Bade, avait réveillé tous les souvenirs de l'Empire, dans ce palais, qui semblait, en répétant le cri de Vive Napoléon ! se rappeler le cri de Vive l'Empereur! C'était là que Napoléon 1" avait signé son abdication en faveur de son fils; c'était là que son neveu, dont il fut le parrain, avait reçu, avec le nom de Napoléon, la mission providentielle de rétablir sur le trône la dynastie napoléonienne.

Le président de la République, pendant son séjour à Fontainebleau, où l'enthousiasme de la population le suivait pas à pas, put se convaincre que les six millions de voix qui l'avaient élu étaient prêtes à le réélire encore, en dépit de toutes les mutilations du suffrage universel.

Les progrès que le prince avait faits dans l'affection et la confiance populaires, furent encore plus sensibles pendant son voyage à SaintQuentin, pour l'inauguration du chemin de fer. Ce voyage eut lieu, pourtant, neuf jours après le vote de la loi du 31 mai: on eût dit que cette malencontreuse loi était oubliée, ou qu'on savait partout combien Louis-Napoléon la désavouait.

Les cris sympathiques, qui saluèrent le prince, à son arrivée au débarcadère du Nord, ne cessèrent de l'accompagner sur toute la route.

La ville de Saint-Quentin s'était mise en fête pour le recevoir : les bouquets et les couronnes de fleurs tombaient de toutes parts autour de lui. Au banquet, qui fut servi dans la salle de spectacle, sous les yeux de l'élite des habitants de la ville et des environs, le prince, en

répondant au discours et au toast du maire, affecta de séparer ses actes de ceux de l'Assemblée législative, et spécifia en ces termes la tâche qu'il s'était proposé d'achever dans le cours de sa présidence.

<< Messieurs, si j'étais libre d'accomplir ma volonté, je viendrais parmi vous sans faste, sans cérémonie; je viendrais, inconnu, me mêler à vos travaux comme à vos fêtes, pour mieux juger, par moimême, et de vos désirs et de vos sentiments. Mais il semble que le sort mette sans cesse une barrière entre vous et moi, et j'ai le regret de n'avoir jamais pu être simple citoyen de mon pays. J'ai passé, vous le savez, six ans à quelques lieues de cette ville; mais des murs et des fossés me séparaient de vous. Aujourd'hui encore, les devoirs d'une position officielle m'en éloignent. Aussi, est-ce à peine si vous me connaissez; et sans cesse on cherche à dénaturer, à vos yeux, mes actes comme mes sentiments.

<< Par bonheur, le nom que je porte me rassure, et vous savez à quels hauts enseignements j'ai puisé mes convictions: la mission que j'ai à remplir aujourd'hui, on sait son origine et son but.

<< Lorsque, il y a quarante-huit ans, le premier Consul vint en ces lieux inaugurer le canal de Saint-Quentin, comme aujourd'hui je viens inaugurer le chemin de fer, il venait vous dire : « Tranquillisez« vous, les orages sont passés. Les grandes vérités de notre Révolu« tion, je les ferai triompher; mais je réprimerai avec une égale force « les erreurs nouvelles et les préjugés anciens. En ramenant la sécu« rité, en encourageant toutes les entreprises utiles, je ferai naître de « nouvelles industries. Je veux enrichir nos champs, améliorer le sort « du peuple. » Il n'y a qu'à regarder autour de nous, pour voir s'il a tenu parole.

<< Eh bien ! encore aujourd'hui, ma tâche est la même, quoique bien plus facile.

« De la Révolution, il faut prendre les bons instincts, et combattre hardiment les mauvais. Il faut enrichir le peuple par toutes les institutions de prévoyance et d'assistance, que la raison approuve, et bien le convaincre que l'ordre est la source première de toute prospérité.

<< Mais l'ordre, pour moi, n'est pas un mot vide de sens, que tout le monde interprète à sa façon.

« Pour moi, l'ordre, c'est le maintien de ce qui a été librement élu et consenti par le peuple; c'est la volonté nationale triomphante de toutes les factions.

<< Courage donc, habitants de Saint-Quentin! Continuez à faire honneur à notre nation, par vos produits industriels. Croyez à mes efforts et à ceux du Gouvernement pour protéger vos entreprises et améliorer le sort des travailleurs. >>

Ce discours, qui avait été entendu et applaudi par deux mille personnes, ne fut pas plutôt connu à Paris, que la malveillance s'en empara, pour y chercher, sous les mots et au fond des idées, une déclaration de guerre adressée à l'Assemblée législative.

Louis-Napoléon, en effet, n'avait pas manqué, comme à l'ordinaire, de rendre hommage à la mémoire de son oncle; et la majorité, qui ne pardonnait pas ces réminiscences impériales au Président temporaire de la République, vit une sorte de désapprobation tacite dans le silence que le prince avait gardé au sujet de la Réforme électorale.

Les conservateurs se sentirent assez mal à l'aise sous le poids de leur impopularité, en s'apercevant que leur nouvelle loi n'avait fait tort qu'à eux, et ils surent mauvais gré au prince de n'avoir pas pris à sa charge la responsabilité morale de cette loi, qu'ils avaient faite à leurs risques et périls. Ils n'osèrent pas, toutefois, s'attaquer ouvertement à un discours qui venait d'être consacré, en quelque sorte, par les applaudissements de toute la ville de Saint-Quentin; mais ils se rejetèrent, pour motiver leur colère, sur les nobles et simples paroles, que le prince avait prononcées d'abondance, en distribuant des médailles et des livrets de la caisse d'épargne, aux ouvriers, qui répondaient à sa sollicitude par des témoignages énergiques de reconnaissance et de dévouement.

<< Mes amis les plus sincères et les plus dévoués, leur avait-il dit avec attendrissement, ne sont pas dans les palais, ils sont sous le chaume; ils ne sont pas sous les lambris dorés, ils sont dans les ateliers, dans

ue

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