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sion, le projet de loi du ministre des finances fut transformé en une simple proposition de crédit extraordinaire « pour les dépenses faites en 1849 et 1850, par suite des frais d'installation du président de la République. » Ce crédit était réduit à un million six cent mille francs.

Mais la Commission sembla reculer devant son œuvre. Deux de ses membres les plus influents, MM. Creton et de Mornay, déclinèrent tour à tour la responsabilité du rapport; un troisième, M, Flandin, eut le courage de l'apporter à la tribune, dans la séance du 21 juin: la lecture de ce rapport, rempli de précautions oratoires et d'amères intentions, ne laissait prévoir aucune chance de succès dans la discussion et dans le vote.

Cependant M. Achille Fould ne se déconcerta pas; il fit une démarche vigoureuse auprès des chefs de la majorité, et il leur représenta que le rejet du projet de loi aurait pour conséquence inévitable la désunion des deux grands pouvoirs de l'État, car le président de la République, qui était resté neutre jusqu'alors dans la question, se sentirait profondément blessé par la conduite de la majorité à son égard. M. Thiers et ses amis se rendirent à ces représentations conciliatrices, et, dans une séance de la Réunion du Conseil d'État, le parti de l'Ordre, qui débattait, en famille, pour ainsi dire, les mesures à prendre dans l'intérêt général, fut vivement sollicité, par ses principaux orateurs, de voter le crédit, que demandait le ministre des finances, mais, toutefois, sans engager l'avenir, c'està-dire, sans constituer au président de la République une liste civile annuelle, sous le titre de frais de représentation.

Les légitimistes hésitaient encore; les orléanistes étaient prêts à transiger; la difficulté ne roulait plus que sur des mots, quoique le ministre des finances eût accepté d'avance la rédaction qui conviendrait le mieux aux Conservateurs; or, ceux-ci ne voulaient pas d'un crédit supplémentaire, mais ils ne trouvaient rien à redire à un crédit extraordinaire.

M. Thiers eut beaucoup de peine à vaincre les répugnances de ses collègues qui appartenaient à l'opinion légitimiste : « Soyez-en

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persuadés, leur dit-il, avec une sorte de menace, le pays sera impla cable pour ceux qui auraient contribué à rompre l'union du Pouvoir, en ne votant pas la somme que le Gouvernement demande à l'Assemblée. »

Les légitimistes, de même que les républicains, mais dans une pensée bien différente, reprochaient au prince d'entourer, du luxe et des habitudes de la royauté héréditaire, son mandat de président de la République : « Nous avons fait, leur répondit M. Thiers, une présidence de la République; qui n'est positivement ni une présidence véritable comme aux États-Unis, ni une royauté. Elle tient précisément des deux à la fois, parce que les mœurs monarchiques survivent, dans notre pays, aux institutions. Les représentants n'ontils pas vu le palais de l'Élysée devenir un peu plus qu'un hôtel présidentiel? N'ont-ils pas vu le Président avoir des réceptions, donner des fêtes, accorder de nombreux secours aux ouvriers, aux vieux soldats, aux communes ruinées? répandre, dans une limite restreinte, mais conforme aux idées du pays, des dons et des encouragements? Quel est celui des représentants de la majorité, qui a blâmé ces actes, cet état de choses, qui ont été désirés, voulus à l'avance, du moins instinctivement? Aucun! Qui a éprouvé cette indignation posthume qu'on veut susciter aujourd'hui? Personne. »

Quand la discussion générale s'ouvrit le 24, on était loin d'espérer que la majorité conserverait, dans le vote, sa discipline ordinaire, et l'on s'attendait à un échec éclatant pour le ministère. M. Fould annonça que le Gouvernement se ralliait à l'amendement proposé par la Commission. « Nous croyons, dit-il, avoir réservé l'avenir et sauvé la dignité des deux pouvoirs. » Des éclats de rire et des exclamations ironiques se communiquèrent, des bancs de la Gauche, à ceux de la Droite. La séance fut livrée aux orateurs de la Montagne, et MM. Mathieu de la Drôme, Sevaistre et Huguenin, tout en déclarant qu'ils s'abstiendraient de paroles inconvenantes ou blessantes, accablèrent d'injures l'Élu du Dix décembre.

Aucun membre de la majorité ne se leva pour leur tenir tête. Un légitimiste, M. Léo de Laborde, ne fit que paraître à la tribune,

pour avouer, avec une naïveté terrible, que « le malheur du pays venait uniquement des divisions de la majorité. »

C'en était fait du projet de loi, qui n'avait pu trouver grâce devant la partie la plus opiniâtre et la moins éclairée de cette majorité en révolte, lorsque tout à coup le général Changarnier quitte son banc et se dirige lentement vers la tribune : les conversations cessent aussitôt, l'agitation fait place à un profond silence de curiosité.

- Au commencement de la séance, dit-il d'une voix grave et sévère, M. Mathieu de la Drôme nous a donné un conseil que je tiens pour excellent et que je voudrais vous voir suivre. Je comprends les susceptibilités et les méfiances des partis, mais quand le Gouvernement a tout fait pour les prévenir, pour les calmer, quand on a pris tant de précautions pour dégager l'avenir, pour l'isoler de la question actuelle, je déclare ne pas comprendre toutes les difficultés de forme. Vous voulez accorder l'intégralité de la somme demandée ? eh bien! je vous conseille de la donner simplement, noblement, comme il appartient à un grand parti. Comment! vous murmurez, quand je parle de noblesse? En réduisant ce débat à de mesquines proportions, on lasserait bientôt l'Assemblée. Quant à moi, un tel débat m'inspirerait une fatigue, que je ne pourrais m'empêcher d'exprimer. Si vous voulez donner, répéterai-je avec M. Mathieu de la Drôme, donnez, sans marchander! >>

Ces paroles empreintes d'une autorité presque impérative furent suivies d'une étrange émotion, à la suite de laquelle la majorité, encore indécise et troublée, retrouva, non sans peine, un nombre de voix suffisant pour adopter le crédit extraordinaire, applicable aux frais de représentation du président de la République; mais, néanmoins, l'Opposition pouvait s'enorgueillir d'avoir attiré à elle plus d'un transfuge de la majorité : 354 voix seulement l'avaient emporté, au scrutin, sur 308.

Ce n'était plus déjà cette majorité, tout à l'heure si unie et si compacte, qui avait voté successivement les lois sur la Réforme électorale, sur l'Enseignement, sur les Instituteurs, sur la Déportation : la plupart des représentants légitimistes s'étaient détachés du parti

conservateur, pour s'allier, dans ce dernier vote, aux républicains et aux socialistes.

Cette coalition imprévue avait été le résultat d'une haine commune contre Louis-Napoléon: royalistes et démagogues étaient d'accord pour diminuer le pouvoir personnel du président de la République.

Le prince, qu'on avait voulu non-seulement affaiblir, mais encore humilier, ne laissa pas deviner combien il était indigné des misérables taquineries que la majorité venait de lui faire éprouver, dans l'acceptation même du projet de loi, tourmenté et amendé par la Commission: il garda, au fond du cœur, un sentiment pénible et une juste défiance contre ce parti de l'Ordre, qui avait failli sacrifier le Gouvernement à de mesquines susceptibilités, à de basses jalousies, à des préjugés absurdes.

On peut supposer qu'il ne fut pas plus satisfait de l'espèce de protection, que le général Changarnier avait eu l'air de lui prêter, en faisant peser sur le vote des Conservateurs le crédit presque absolu dont il jouissait auprès d'eux : le général s'était montré fier et arrogant, comme Brennus jetant son épée dans la balance des Romains.

Depuis ce triomphe, il s'exagéra sa prépondérance politique et il s'imagina que le Pouvoir exécutif ne subsisterait pas sans lui; son influence s'accrut peut-être auprès de la majorité, mais elle diminua insensiblement, à partir de ce jour-là, dans les conseils du chef de l'État.

Louis-Napoléon ne tarda pas à s'apercevoir que le général, qui se croyait indispensable après avoir été utile au Gouvernement, aspirait à couvrir de son envahissante personnalité la personne et les actes du président de la République.

7.17.

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CHAPITRE VII

La majorité se retrouva aussi adhérente, aussi résolue qu'aupàravatit, lorsqu'il fut question de voter une loi nouvelle contre la presse.

Cette loi n'était d'abord qu'une affaire de timbre, en vue de l'augmentation des recettes de l'État le ministre de l'intérieur, quoique profitant de l'occasion pour détruire ce qu'on nommait la mauvaise presse, s'était préoccupé surtout de créer de nouveaux impôts, et peu s'en fallut que la papeterie, la librairie et l'imprimerie ne fussent livrées impitoyablement à la ruineuse tyrannie du fisc.

Ce projet de loi, élaboré pendant trois mois par une Commission où dominait l'esprit de la majorité, prit des proportions plus étendues et un caractère plus hostile à la presse en général. Il semblait que chacun des commissaires eût songé à venger ses pro pres griefs sur toute la presse périodique.

Les journaux furent unanimes pour donner à cette loi dracohienne le surnom de loi de haine.

Ce n'était point encore assez; quand la Commission présenta son œuvre à la discussion de l'Assemblée, les amendements les plus inattendus et les plus bizarres témoignèrent davantage des ressentiments de la majorité contre la presse, à laquelle on attribuait aveċ beaucoup trop de libéralité tous les torts des révolutions politiques. On inventa donc tout ce qui pouvait ajouter une entrave matérielle à la publication des journaux.

MM. de Tinguy et de Laboulie, deux légitimistes, eurent la plus grande part à la création de ce vaste système préventif et répressif, destiné à tuer le monstre du journalisme.

Non-seulement on eut l'idée d'obliger les auteurs à signer tous leurs articles, sous peine d'amende et de prison, mais encore on imagina des amendes progressives, qui pouvaient, en cas de simple

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