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sait pas que personne en France pût les ignorer. Il attendait donc avec confiance que le moment fût venu de faire pour le peuple tout ce qu'il lui avait promis.

Il avait une foi si calme et si ferme dans sa destinée, qu'il souriait de pitié, lorsque quelqu'un lui témoignait des craintes au sujet des dangers qu'il pouvait courir, en s'exposant tous les jours, seul ou à peine accompagné, aux entreprises et aux attentats des sicaires de la République rouge. Sa résolution et sa ligne de conduite étaient irrévocablement fixées à cet égard: il ne voulait rien craindre, ni rien éviter.

- Il n'y a que des fous, disait-il, qui oseraient s'attaquer à ma vie; or, tout le monde est exposé comme moi à rencontrer sur son passage un fou furieux.

- Laissez faire au peuple, disait-il encore; le peuple sait bien que je m'occupe de lui et que je veux ce qu'il désire: il me servira de garde du corps.

Cette absence de toute précaution et de toutes mesures de sûreté personnelle pouvait sembler de l'imprudence et de l'aveuglement, alors que les réfugiés politiques de Londres se constituaient en Comité révolutionnaire et prélevaient dans toute l'Europe un décime de guerre, destiné à renverser les gouvernements établis et à faire la chasse aux rois.

Louis-Napoléon avait bien compris non-seulement sa popularité, mais encore son utilité.

Les excitations quotidiennes de la Montagne et des journaux rouges, les adjurations solennelles du Comité central des proscrits, les provocations des sociétés secrètes, les funestes traditions du poignard républicain, ne trouvèrent qu'un misérable fou pour préméditer ce qu'il n'osa pas même exécuter.

Le vendredi 5 juillet, le général Vaudrey, aide-de-camp du prince, sortait, en voiture, de la cour de l'Élysée : un jeune homme, qui se tenait en observation à la porte de la rue du Faubourg-SaintHonoré, s'élança vers cette voiture et se retira aussitôt en arrière, après avoir reconnu que le général y était seul.

Les soldats et les surveillants, qui stationnaient devant l'Élysée, avaient remarqué déjà ce jeune homme qui paraissait en proie à une vive anxiété et qui errait depuis une heure aux abords du palais. Ils le suivirent des yeux, en le laissant s'éloigner à grands pas, et un agent du service de sûreté fut envoyé pour l'observer de plus près.

Tout à coup, le jeune homme, dont l'agitation n'était que trop visible et qui tenait sa main droite enfoncée dans une poche de sa redingote, se retourna brusquement vers l'agent qui l'épiait.

— Vous êtes de service? lui dit-il, d'une voix tremblante. Eh bien! arrêtez-moi pour empêcher un grand malheur!

Il était pâle, il avait les yeux hagards; l'agent lui mit la main sur le bras et le regarda en face, mais, en le voyant si jeune et si ému, il hésitait à l'arrêter.

Voilà deux fois que je manque mon coup! ajouta ce malheureux. Ne voyez-vous pas que je suis venu pour assassiner le Président? J'attends depuis une heure!.. Le sort, apparemment, ne veut pas que mon projet s'accomplisse, car, tout à l'heure, j'avais armé mon pistolet, quand on a dit que le prince allait sortir. Mais ce n'était pas lui! Je m'en suis aperçu, au moment de faire feu sur la personne qui se trouvait seule dans la voiture, et j'ai été pris aussitôt d'un remords qui fait déjà ma punition.

L'agent refusait de croire à cet aveu volontaire; mais il porta la main à l'endroit où ce jeune homme cachait encore la sienne, et il constata, au toucher, la présence de l'instrument du crime.

C'était un pistolet de calibre, chargé à balle, amorcé et armé. Conduit devant le commissaire de police, l'auteur de ce détestable projet eut l'air de s'en repentir amèrement; il déclara se nommer Georges-Alfred Walcker, compositeur typographe, âgé de dixsept ans; il dit que, témoin de la Révolution de Février, il avait fait son éducation républicaine dans les clubs de Blanqui et de Barbès, et que, depuis cette époque, il n'avait pas cessé de se nourrir de la lecture des feuilles et des brochures démagogiques.

Il répondit avec beaucoup de calme à toutes les questions qui lui furent adressées; mais ses réponses étaient quelquefois incohérentes,

T. IV

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et ses regards témoignaient de l'égarement de son esprit. Il persista toujours à soutenir qu'il n'avait pas de complice et qu'il n'avait eu aucun instigateur.

L'idée de frapper le président de la République ne lui avait été suggérée, disait-il, que par un rêve qui se renouvelait souvent; il ne voulait, d'ailleurs, que donner au prince un avertissement salutaire, car il savait bien que la vie du neveu de l'Empereur était protégée par l'Esprit de son oncle, et que toutes les tentatives, qui seraient faites contre elle, échoueraient infailliblement; il avait essayé, toutefois, à plusieurs reprises, d'accomplir son mauvais dessein; il s'était embusqué près de l'Élysée, tantôt avec un couteau, tantôt avec un pistolet, mais il n'avait jamais vu sortir le prince, soit à pied, soit à cheval, soit en voiture: il en avait conclu que le Ciel se refusait à lui livrer la victime, puisqu'une sorte d'hallucination l'empêchait de voir ou de reconnaître le prince passant devant lui. Il s'était donc décidé à renoncer à son projet et à se remettre luimême dans les mains de la justice; car, ajoutait-il, «je ne dois pas contrarier les vues de la Providence, qui ordonne que le prince vive!»

Ces paroles étaient celles d'un fou. On apprit cependant que le jeune Walcker, qui n'avait jamais donné de signes d'aliénation mentale, entretenait de honteuses relations avec des filles publiques et des rôdeurs de barrières; il ne travaillait presque pas, dans l'atelier typographique où son père l'avait placé, et, néanmoins, il ne manquait jamais d'argent.

On saisit, à son domicile, une masse de publications socialistes, des portraits et des emblèmes républicains, et le brassard rouge qu'il avait porté au club de Blanqui; on ne put découvrir l'origine du pistolet, de fabrication écossaise, qu'il avait fait charger la veille chez un armurier de la rue Vivienne, mais on constata que ce pistolet, quoique chargé, se trouvait hors de service, tellement que la balle n'aurait pas atteint à dix pas, en admettant qu'il eût pu faire feu.

On supposa que Walcker s'était laissé séduire par quelque misérable qui l'avait poussé au meurtre politique, en lui donnant les moyens de satisfaire ses débauches et sa paresse; mais on devait in

duire, des circonstances mêmes de l'attentat, que Walcker n'avait jamais été bien résolu à le commettre.

Le président de la République, à qui l'on rapporta le fait avec toutes ses particularités, parut très-contrarié de l'éclat qu'on avait donné à la tentative criminelle, préméditée contre sa personne.

Ne voit-on pas que c'est un fou, un pauvre fou! dit-il avec impatience. Il ne faut pas accorder aux actes des fous plus d'importance qu'ils n'en méritent.

Georges Walcker avait été déjà mis à la disposition de la justice; mais, sur l'ordre du prince Président, il fut extrait de la prison où il était au secret, et une consultation de médecins, qui l'examinèrent, déclara que ses facultés mentales n'étaient pas parfaitement saines. En conséquence, l'instruction judiciaire fut suspendue, et on envoya le malade à l'hospice de Charenton.

CHAPITRE VIII.

Les observateurs clairvoyants et impartiaux ne manquèrent pas de remarquer que l'attentat qui avait dû s'exécuter sur Louis-Napoléon coïncidait avec celui qui eut lieu contre la reine d'Angleterre. Les tribunaux anglais, qui jugèrent le nommé Robert Pate, accusé d'avoir porté à la reine Victoria un coup de canne sur la tête, le condamnèrent comme fou: le prince Président ne voulut pas qu'il y eût de procès pour établir que Georges Walcker était aussi un aliéné. Peu de semaines auparavant, le roi de Prusse avait failli être également victime d'un assassinat. Plus tard, la reine d'Espagne et l'empereur d'Autriche allaient être, à leur tour, exposés à de pareilles tentatives. N'était-ce pas la preuve de l'existence d'un vaste complot, organisé, par toute l'Europe, contre la vie des souverains?

En ce moment même, on osait publier à Paris le premier numéro du Proscrit, rédigé par les réfugiés français à Londres, et dans ce

numéro, qui fut saisi dès son apparition, Ledru-Rollin et Mazzini appelaient aux armes les révolutionnaires de tous les pays, et leur promettaient la victoire.

Ces symptômes menaçants de désordre anarchique étaient bien faits pour réveiller le patriotisme des véritables amis de l'Ordre; mais, en face des nouveaux efforts de l'ennemi commun, les chefs des partis, qui se vantaient d'être modérés et conservateurs, ne songeaient qu'à leurs ambitions et à leurs intrigues: ils faisaient mouvoir à leur gré, comme un instrument docile, la majorité parlementaire, et ils se disputaient déjà entre eux le Pouvoir qu'ils se flattaient d'arracher des mains du président de la République.

Celui-ci appréhendait si peu le résultat de ces manœuvres hostiles et déloyales, qu'il avait annoncé l'intention de voyager dans les départements de l'Est, pendant la prorogation de l'Assemblée, en abandonnant, pour ainsi dire, la capitale à la Commission de permanence, qui devait être composée, presque tout entière, d'orléanistes et de légitimistes.

Les bruits de coups d'État impérialistes étaient déjà dans l'air, avant que les représentants eussent quitté leur poste, et alors que les partisans de Louis-Philippe et ceux de Henri V se donnaient beaucoup de mouvement pour préparer les esprits à une contre-révolution monarchique.

On disait effrontément que les membres de la Société du Dix décembre avaient été convoqués pour accompagner le prince dans son voyage, et pour lui faire une ovation, de ville en ville, afin de pouvoir le ramener empereur à Paris, à la tête de l'armée et des populations.

Cette ridicule nouvelle était répandue perfidement, à l'heure même où l'on tenait des conciliabules à Claremont et à Frosdorff; ici, dans l'intérêt du principe de la légitimité des Bourbons; là, dans l'intérêt du principe de la monarchie de Juillet: deux principes opposés l'un à l'autre, mais surtout radicalement opposés à l'ordre de choses établi par la République de 1848.

Le prince Président n'eut pas besoin de remonter à la source de

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