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roman. Wally devait être une héroïne, comparable à celles de George* Sand elle apparaît passive, désespérée, incapable de lutter contre le monde mauvais. « Il n'y a pas d'analyse psychologique, le problème moral ou social n'est point nettement posé, le détail est souvent maladroit et ridicule. Gutzkow n'avait ni la sensualité, ni l'art nécessaires pour retracer la scène de l'apparition. Parfois seulement, quelques épisodes prêtent à certaines pages le charme d'une sentimentalité attristée. »(1)

La valeur d'Uriel Acosta est plus grande : Gutzkow a su là traiter avec vigueur un sujet intéressant. Uriel Acosta est le fils d'un juif converti. Lui, est redevenu juif. Il aime une jeune juive, Judith, fiancée à Ben Jochai. Tandis qu'il lui fait ses adieux, le rabbin Santos se présente, lui reproche un de ses écrits contre le judaïsme, et menace de l'exclure de la synagogue. Uriel restera pour lutter contre la synagogue et contre Jochai. Celui-ci, s'apercevant que Judith aime Uriel, se venge. Santos revient, accompagné de quatre rabbins. Il questionne Uriel qui déclare vouloir rester juif. Santos le chasse et le maudit. Tous les assistants s'écartent. Judith seule s'approche, et proclame bien haut qu'elle l'aime et qu'elle partagera l'anathème dont il est frappé. Au troisième acte l'apaisement semble se produire. Manassé, père de Judith, lui permet d'aimer Uriel. On demande à celui-ci de se soumettre. Après une lutte douloureuse, il prend le chemin de la synagogue, poussé par ses frères, sa mère, et Judith ellemême, qui regrette tout aussitôt son intervention. Uriel enfermé dans le Temple ne peut connaître les événements extérieurs. Il subit toutes les humiliations. Mais lorsqu'il apprend qu'il ne sauvera plus les siens, sa conscience se révolte, et il crie que tout ce qu'il écrivait était son véritable sentiment. Judith, au cinquième acte, afin de rendre à son père la fortune que Ben Jochai lui a fait perdre, épouse Jochai. Uriel n'éprouve point de colère : « Elle a fait ce que j'ai fait, dit-il ». Elle a renoncé par affection filiale. Il vient lui dire adieu dans le jardin de Manassé; mais déjà elle a pris le poison qui doit la délivrer, elle meurt dans ses bras. Uriel se tue d'un coup de pistolet pour quitter avec elle ce monde de l'erreur et de la persécution (2).

Telle est, dans l'ensemble, l'école littéraire dont J. Dresch nous retrace l'histoire en détail et avec précision. Son exposé de la question paraît définitif. Il ne conclut pas sur la Jeune Allemagne. Il distingue des autres écrivains, Gutzkow, dont l'œuvre « humaine, sincère, sérieuse, unit à un intérêt général l'attrait d'une puissante personnalité. » (3)

Et il semble bien, en effet, que certaines de ses œuvres soient les seuls restes d'une école qui voulait faire de la politique en littérature.

GASTON RAPHAËL.

(1) J- Dresch, p. 219.

(2) J. Dresch, p. 365-67. (3) P. 435.

91.

Le Gérant: GEORGES MOREAU.

- Imprimerie E. PAYEN, 13, rue Pierre-Dupont, Suresnes.

Administration-rédaction, Éd. Dujardin, Charles Guieysse, Maurice Kahn, Georges Moreau

8, rue de la Sorbonne, Paris (5)

Jules Vallès

NOTES BIOGRAPHIQUES

Je ne salue pas les héros morts, mais les travailleurs vivants. JULES VALLÈS.

Jules Vallès a écrit ces vers au bas de sa photographie :

C'est bien là ma mine bourrue,
Qui dans un salon ferait peur,

Mais qui, peut-être, dans la rue,
Plairait à la foule en fureur.

Je suis l'ami du pauvre hère

Qui, dans l'ombre, a faim, froid, sommeil,

Comment, artiste, as-tu pu faire

Mon portrait avec du soleil ?

André Gill, qui fut l'ami de Jules Vallès, a tracé de lui ce por-trait :

Vallès a le caractère le plus jeune, le plus gai, le plus émerveillé que je connaisse. Ajoutez à cela une santé inébranlable... Avec sa chevelure hérissée et rebelle, sa barbe bourrue et retroussée, barbe et cheveux blancs aujourd'hui, luisants et noirs, jadis, comme charbon de terre, avec ses yeux hardis, ronds sous les rudes sourcils, son nez coupé court, retroussé, aux narines de dogue ou de Socrate, les trente deux dents étincelantes rangées sous le pli dédaigneux et amer de sa lèvre, avec tout son masque heurté, aux plans durs, qui semble avoir été martelé par quelque tailleur de fer, en son pays d'Auvergne; avec, surtout, sa voix de cuivre, amoureuse de tempête, et le roulis farouche de son allure, il s'est fait autrefois une renommée de casse-cou, d'exalté violent, dur à cuire. C'est son premier succès de jeunesse : il y tient (1).

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De cet homme-là, un critique dont le principal défaut n'est pas la tendresse M. Brunetière (2) a écrit: « Il a beaucoup haï, prodigieusement haï, d'une haine inexpiable »; et ailleurs, s'excusant d'avoir à parler de ce « vilain homme » : L'auteur de l'Enfant « que

(1) Vingt années de Paris, avec une préface par A. Daudet. Paris, Marpon

et Flammarion, 1883.

(2) Histoire et Littérature, tome ш.

je puis bien appeler un livre infâme »... «< tiendra dignement sa place dans un musée national des horreurs >>.

Je voudrais faire aimer « ce vilain homme » en racontant sa vie. Je voudrais faire aimer « ce poète, ce rêveur sensible et vaillant, avec sa belle verve éternelle, son intarissable gaieté ». Je voudrais donner à ceux qui l'ignorent le désir de connaître l'œuvre de « l'un des maîtres de la langue française », ainsi que le proclama Philarète Chasles du haut de la chaire de littérature du Collège de France (1).

« L'Enfant »

Jules Vallès naquit en 1833, au Puy-en-Velay, en Auvergne. Son père était pion au collège communal de cette petite ville; sa mère était une paysanne. Ils avaient fait un mariage d'amour, « le mariage de la débine et de la misère ».

Vallès eut une pauvre et douloureuse jeunesse. Il l'a contée dans L'Enfant :

Ai-je été nourri par ma mère ? Est-ce une paysanne qui m'a donné son lait ? Je n'en sais rien. Quel que soit le sein que j'ai mordu, je ne me rappelle pas une caresse du temps où j'étais tout petit; je n'ai pas été dorloté, baisotté; j'ai été beaucoup fouetté.

Le quartier qu'ils habitent est pauvre, la rue est morne et sale; au bout de la rue il y a la prison. La maison est triste; chez le petit Vallès personne ne rit et il n'y a pas de fleurs : « Maman dit que ça gêne, et qu'au bout de deux jours ça sent mauvais. Je m'étais piqué à une rose, l'autre soir, elle m'a dit: Ça t'apprendra! ». La famille est nombreuse la tante Rosalie « qui a l'air d'un chantre », la tante Mélie qui est muette; de vieilles filles qu'on appelle les « béates » : elles ont de la barbe grise et un serre-tête. Le petit Vallès va souvent chez les béates; il y mange des raves et regarde par la fenêtre, qui donne sur une cour puante. L'oncle Joseph est un menuisier robuste et doux; il chante des chansons et sait de beaux contes; - la cousine Apollonie est « grande et lente, avec des yeux bleus de pervenche, le sourire tendre et la voix traînante ». Mais il aime surtout la vieille Mile Balandreau. Mile Balandreau n'est pas de la famille; c'est une voisine. Le petit Vallès l'aime parce qu'elle lui donne des bonbons et le sauve d'une fessée, chaque fois qu'elle peut.

(1) Je me suis servi pour la rédaction de ces notes, des trois volumes autobiographiques où Vallès s'est peint sous le nom de Jacques Vingtras: L'Enfant, Le Bachelier, L'Insurgé (chaque volume in-18, Fasquelle, éd., 3 fr. 50). J'ai utilisé également: Les Réfractaires (in-18, Fasquelle, 3 fr. 50); - plusieurs volumes qu'on ne trouve plus en librairie La Rue, Les Enfants du Peuple, L'Argent; et les lettres de Vallès publiées par la Revue indépendante et par la Revue du Palais. - Quelques renseignements et quelques citations de Vallès sont empruntés à deux biographies: Les étapes d'un réfractaire, par Jean Richepin (épuisée); et Jules Vallès, par Léon Séché.

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L'enfant est mis au collège. Dans l'étude que surveille son père il souffre d'entendre insulter la pauvreté du pauvre pion par les grands qui se moquent de son habit râpé et rient de son nez trop long. Le petit Vallès est sensible et fier, et les injustices le révoltent. Le proviseur est un pauvre homme. Il s'appelle M. Hennequin et il a écrit Les Vacances d'Oscar, un livre plein de fraîcheur et de tendresse. Le professeur de philosophie est un grotesque qui prouve l'existence de Dieu avec des haricots et de petits morceaux de bois.

Vallès s'ennuie et souffre dans le collège sévère et froid. Le petit paysan qu'il est aime les bonnes parties dans le foin de l'auberge, la rivière qui brille au soleil, la terre brune et fumante des champs fraîchement labourés, les sillons dans lesquels on entre jusqu'aux mollets, les belles gerbes lourdes, les grosses pierres qui cachent des bêtes, les nids dans les hautes branches :

Ce que j'aime, c'est le soleil qui passe à travers les branches et fait des plaques claires, qui s'étalent comme des taches jaunes sur un tapis; puis les oiseaux qui ont des pattes élastiques comme des fils de fer, avec une tête qui remue toujours; et surtout cet air frais, ce silence!

Madame Vallès veille sur son fils. Elle ne veut pas qu'il soit uh petit paysan dénicheur de nids et coureur de papillons. Son père est presque un professeur! Le petit Jules doit être un Monsieur! Aussi l'habille-t-elle comme un Monsieur : « Je suis en noir souvent, rien n'habille comme le noir, et en habit, en frac, avec un chapeau haut de forme j'ai l'air d'un poèle. » Ainsi attifé, allez donc courir, jouer et sauter ! Pour la distribution des prix, sa mère lui confectionne une redingote avec « une étoffe comme une lime, qui exaspère les doigts. quand on la touche, et qui flambe au grand air comme une casserole ».

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Madame Vallès est une femme économe, qui veut élever son fils comme il faut. Au jour de l'an elle s'empare de ses étrennes, de ses jouets, et enferme dans d'obscures et profondes armoires les diligences de zinc, les trompettes de cuivre, les tambours. Si elle lui abandonne une praline, elle lui recommande de la manger avec du pain. « J'aime mieux le pain tout seul », pense l'enfant. Mais ainsi la boîte dure longtemps : « A la fin du second trimestre, il m'arrivait de faire la grimace en face des fruits qui tombaient en cendres. J'ai léché ordre des bonbons qui semblaient venir de Pompéi. »

-

par

Les joies ordinaires de la famille sont pour Vallès des occasions de souffrances et d'humiliations. Il a presque toujours le fouet le jour de la Saint-Antoine. C'est la fête de son père. Il a appris avec beaucoup de peine un long compliment; il s'avance, il a un pot de fleurs sous le bras gauche, son rouleau de papier dans la main droite. Faut-il déclamer d'abord ? embrasser ensuite? Il ne sait plus, il se trouble. Le pot de fleurs glisse, tombe sur le lit. On chasse le maladroit à

coups de pied. Il écrira plus tard : « J'ai toujours eu le mépris des solennités patriarcales. »

Les années passent. La famille va habiter à Saint-Étienne où le père, grâce à la protection d'un ami, est nommé professeur de septième. La famille arrive au milieu de la nuit dans cette ville inconnue. La neige tombe. Leur maison, ici encore, est une misérable bicoque, mais elle est peuplée de braves gens. L'enfant joue dans le tas de savates du cordonnier; avec les enfants de l'épicière, il va faire des niches à la femme du plâtrier; tous ces gens ont «< la main noire, mais le cœur dessus >> :

Ils me donnaient l'envie d'être ouvrier aussi et de vivre cette bonne vie où l'on n'avait peur ni de sa mère, ni des riches, où l'on n'avait qu'à se lever de grand matin, pour chanter et taper tout le jour.

Il entre au lycée, dans la classe de son père, et il y connaît une journée de bonheur. Il est aux arrêts, on l'a enfermé dans la grande salle d'études : il trouve un livre. C'est l'histoire de Robinson Crusoë. Ce récit d'aventures merveilleuses lui fait oublier son chagrin. Il n'est plus au collège, il est dans une grande île, pleine d'oiseaux et de bêtes féroces; il voit des sauvages, il assiste à des tempêtes, il a deux vrais amis, Robinson et Vendredi :

A partir de ce moment, il y eut dans mon imagination un coin bleu, dans la prose de ma vie d'enfant battu, la poésie des rêves, et mon cœur mit à la voile pour des pays où l'on souffre, où l'on travaille, mais où l'on est libre.

Arrivent les vacances. Il va les passer au Puy, chez la vieille Mile Balandreau. Il vit près d'elle et chez son oncle des heures délicieuses et trop courtes; il coupe l'herbe pour la vache, la conduit aux champs. Il va à la pêche, il cueille des groseilles sauvages, il lit l'histoire des hommes illustres. Il court dans le verger avec ses cousines : « Nous sommes heureux, heureux comme je ne l'ai jamais été, comme je ne le serai jamais! J'enfonce jusqu'aux chevilles dans les fleurs, et je viens d'embrasser des joues qui sentaient la fraise. »>

Le voilà élève de quatrième. Il est souvent mis au pain sec, aux arrêts; il devient une « bête à pensums ». Il ne voit plus le soleil. A la maison, on le bat. Il ne s'étonne plus des coups : l'habitude est prise, «mais ils font marque dans mon cœur.» En quinze jours son père lui casse trois règles sur les doigts et use une paire de bottes sur ses reins. Et tout cela parce que l'enfant néglige ses verbes grecs pour regarder couler les nuages, parce qu'il veut être cordonnier avec un tablier de cuir, plutôt que professeur pauvre avec une toge, parce qu'il préfère la société des laboureurs à celle des agrégés amis de son père « Moi, plutôt que d'être professeur, je ferai tout, tout !... >>

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