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on en pourroit conclure encore que l'accident, qui reftreignit Andronic à ne faire que les geftes, auroit donné l'idée de l'art des pantomimes. Il feroit plus naturel d'adopter cette interprétation que de croire qu'on eût, par une bizarrerie froide, confacré une irrégularité que la néceflité feule eût pu faire excufer dans cette circonftance. Si l'on rapporte communément l'art des pantomimes au fiecle d'Augufte, cela doit s'entendre de fa perfection, & non pas de fon origine.

En effet, les danfes des Anciens étoient presque toujours des tableaux d'une action connue, ou dont le fujet étoit indiqué par des paroles explicatives. Les danfes des peuples de l'Orient, décrites dans Pietro della Valle & dans Chardin, font encore dans ce genre; au lieu que les nôtres ne confiftent guere qu'à montrer de la légereté, ou, à préfenter des attitudes agréables. Ces pantomimes avoient un accompagnement de mufique, d'autant plus néceffaire, qu'un fpectacle, qui ne frappe que les yeux, ne foûtiendroit pas long-tems l'attention. L'habitude où nous fommes d'entendre un dialogue, lorfque nous voyons des hommes agir de concert, fait qu'au lieu du difcours que notre oreille attend machinalement, il faut du moins l'occuper par des fons muficaux convenables au fujet.

Si l'ufage, dont parle Tite-Live, devoit s'entendre du partage de la récitation & du gefte, il feroit

bien étonnant que Cicéron & Quintilien n'en euffent pas parlé. 11 eft probable qu'Horace en auroit fait mention. Donat dit fimplement que les mesures des Cantiques, ou, fi l'on veut, des monologues, ne dépendoient pas des actions, mais qu'elles étoient réglées par un habile compofiteur. Diverbia hiftriones pronunciabant, cantica verò temperabantur modis, non à Poëta, fed à perito artis mufices factis. Ce paffage ne prouveroit autre chofe, finon que les monologues étoient des morceaux de chant; mais, il n'a aucun rapport au partage de l'action. Telles font les réflexions de M. Duclos.

CANTICUM. (a) M. Racine le fils a fait auffi des réflexions fur le Canticum des Anciens. Le Canticum, dit-il, étoit une voix feule chantant, accompagnée d'une flûte, pendant qu'un feul danfeur imitoit, par fa danfe pleine de gestes, une action, & ordinairement cette action avoit rapport à la piece. Comme il n'y avoit qu'un danfeur, accompagné d'une feule voix, le Canticum a été appellé Soliloquium; mot, que nous ne devons pas rendre par monologue, en attachant à ce terme la même idée que dans nos pieces de théatre. De-là il s'enfuit qu'on pouvoit également danfer & chanter le Canticum, parce qu'il étoit, & danfé & chanté. Celui, qui danfoit ainfi en imitant une action, y joignoit des geftes, qui imitoient les plus petites chofes. Si, par exemple, il vouloit repréfenter un médecin, il faisoit, com.

(a) Mém, de l'Acad. des Infcript. & Bell. Lett. Tom. XXI. p. 217, 218.

me nous le voyons dans Quintilien, le gefte d'un homme, qui tâte le poulx d'un autre. De-là vint [ & non de ce que l'art, appellé faltatio, comprit auffi l'art du gefte, comme le prétend M. l'abbé Dubos ], De-là, disje, vint cet ufage de dire danfer, pour dire gefticuler, parce que des geftes de danfeur étoient des geftes outrés, que Quintilien condamne dans fon orateur avec raison lorfqu'il dit: Je veux un orateur, & non pas un danfeur. La danfe théatrale étant, pour ainfi dire, toute gefticulante, on faifoit moins d'attention au pas du danfeur, qu'à l'ufage qu'il faifoit de fes bras & de ses mains; ce qui fait dire à Ovide:

Brachia faltantis, vocem mirare

canentis.

CANTIENS, Cantii, (a) Καντίο, , nom, que Ptolémée donne à certains peuples de la grandeBretagne. C'étoient apparemment les habitans du Cantium. Voyez Cantium..

CANTILIUS [ L.], L. Cantilius, (b) fecrétaire d'un de ces prêtres, qu'on appelloit les petits Pontifes, du tems de Tite- Live. L'an de Rome 536, il fut accufé & convaincu d'avoir débauché une veftale, appellée Floronia. En conféquence, il fut battu de verges dans le champ des affemblées par le fouverain Pontife, jufqu'à expirer fous les coups. CANTIQUE, Canticum, (c)

(a) Ptolem. L. II. c. 3.

(b) Tit. Liv. L. XXII. c. 57.
(c) Mém. de l'Acad. des Infcript. & |

Méxos, vouos, difcours ou paroles, que l'on chante en l'honneur de la divinité. Les premiers & les plus anciens Cantiques furent compofés en mémoire de quelques événemens mémorables, & ils doivent être comptés entre les premiers monumens hiftoriques.

Les coûtumes les plus anciennes, que les premiers Hiftoriens du monde nous faffent connoître, ont fur ce point une parfaite conformité avec ce que Moïfe, dans la fimplicité de fon récit, nous fait appercevoir de la conduite des premiers hommes. Il n'y a point d'événement confidérable, qui ne foit célébré par un Cantique. La mufique y eft en usage; & les femmes Ifraëlites compofent un chœur, pour répondre à Marie, fœur de ce célebre Légiflateur. Il fe fert de cette façon de parler, non feulement dans fes Cantiques, mais dans les prédictions qu'il laiffe avant la mort aux Hébreux. Ainsi, il a employé la verfification la plus fublime avant Homère, & tout cela fans doute, afin que la mémoire ne s'en perdit point.

Le genre humain s'étant multiplié, dit un Auteur moderne, & Dieu ayant fait éclater fa puiffance en faveur du juste contre l'injufte, les peuples reconnoissans immortaliferent le bienfait par des chants, qu'une religieufe tradition fit paffer à la postérité. C'eft de-là que viennent les Cantiques de Moïfe, de Débora, de Ju

Bell. Lett. Tom. IV. p. 389, 390. Tom.
VI. p. 256, 314. T. VIII. p. 220.

dith, ceux de David & des Prophetes. Moïfe en compofa un après le paffage de la mer Rouge, pour rendre graces à Dieu de la délivrance de fon Peuple, & pour célébrer la grandeur de ce prodige. David compofa un Cantique lugubre à la mort de Saül & de Jonathas, & un autre à la mort d'Abner. Jérémie écrivit fes Lamentations, qui font un Cantique, dans lequel il déplore la ruine de Jérufalem. Il en avoit encore compofé un autre, à la mort de Jofias, roi de Juda. Débora & Baruc firent un Cantique de victoire après la défaite de Sifara, & Judith fit la même chofe après avoir tué Holoferne. Anne, mere de Samuel, & le roi Ézéchias rendirent graces à Dieu du bienfait, qu'ils avoient reçu de lui, par des Cantiques folemnels. Ceux, que la Sainte Vierge, Zacharie, pere de Saint Jean-Baptifte, & le vieillard Siméon, compoferent, font de la même nature. Ce font autant d'actions de graces des faveurs de Dieu. L'Écriture dit que Salomon avoit compofé cinq mille Cantiques.

M. Fourmont prétend qu'il y a dans les Pfeaumes & dans les Cantiques des Hébreux, des dictions étrangères, des expreffions peu ufitées ailleurs, des phrafes dont les mots font tranfpofés ; que leur ftyle, comme celui de nos Odes, en devient plus hardi, en paroit plus pompeux & plus énergique; qu'on y trouve des ftrophes, des mefures & différentes fortes de vers, & même des rimes. Ces Cantiques étoient chan

tés par des chœurs de mufique, au fon des inftrumens, & fouvent accompagnés de danses, comme il paroît par l'Écriture. La plus longue piece, qu'elle nous offre / en ce genre, c'eft le Cantique des Cantiques, dont il est parlé ciaprès.

Quoique les Payens, dit encore l'Auteur que nous avons déjà cité, fe trompassent dans l'objet de leur culte, ils avoient cependant dans le fond de leurs fêtes, le même principe que les Adorateurs du vrai Dieu. Ce furent la joie & la reconnoiffance, qui leur firent inftituer des jours folemnels, pour célébrer les dieux auxquels ils fe croyoient redevables de leur récolte. De-là vinrent ces chants de joie, qu'ils nommoient dithyrambes`, parce qu'ils étoient confacrés au dieu, qui, felon la fable, eut une double naissance, c'est-àdire, à Bacchus...... Après les dieux, les Héros, enfans des dieux, devinrent les objets de ces chants... C'est ce qui a produit les poëmes d'Orphée, de Linus, d'Alcée, de Pindare, &c.

Au refte, ni parmi les Hébreux ni parmi les Payens, les Canti-. ques n'étoient pas tellement des expreffions de expreffions de la joie publique, qu'on ne les employât auffi dans les occafions triftes & lugubres; témoin ce beau Cantique de David fur la mort de Saül & de Jonathas, dont nous avons déjà parlé. Ces fortes de Cantiques ou d'Élégies eurent tant de charmes pour les Hébreux, qu'ils en firent des recueils; & que long-tems après la mort de Jofias, ils répé

toient les plaintes de Jérémie fur la fin tragique de ce Roi.

Selon Pindare, les Cantiques font les maîtres de la lyre, parce que les paroles font ce qu'il y a de principal dans un concert.

CANTIQUE DES CANTIQUES. (a) C'est un des Livres facrés. Les Hébreux l'appellent Schir, Hafchirim, c'est-à-dire, un Cantique excellent. On attribue cet ouvrage à Salomon, dont il porte le nom, dans le titre du texte Hébreu & dans celui de l'ancienne Verfion Grecque. Les Thalmudistes l'ont attribué à Ézéchias; mais, les Rabbins ont reconnu qu'il étoit de Salomon, qui avoit compofé plufieurs Canciques, & dont le nom fe trouve en plufieurs endroits de celui-ci.

C'est un épithalame en forme d'idylle ou de bucolique, dans lequel on fait parler' un époux & une époufe, les amis de l'époux & les compagnes de l'époufe. Les Juifs ne permettoient la lecture de ce Livre qu'à des perfonnes, qui étoient dans un âge de maturité, c'eft-à-dire, à ceux qui avoient au moins trente ans. Ils étoient néanmoins perfuadés que ce Livre n'étoit pas un fimple Cantique d'amour, & que fous fes termes il y avoit des mystères cachés. Quelques-uns ont cru que l'unique but fe Salomon dans ce Cantique avoit été de décrire fes amours avec Abifag Sunamite ou avec la fille de Pharaon. D'autres, au contraire, penfent que cet ouvrage n'a point d'autre fens que le fens allégorique; que Sa

.

(a) Mém. de l'Acad. des Infcript. &

lomon n'a pensé en le compofant à aucun amour charnel, & que tout cela ne fe doit entendre que de l'amour fpirituel de Dieu pour la Synagogue, felon les Juifs, ou de Jefus-Chrift pour l'Églife, felon les Chrétiens. On peut tenir le milieu entre ces deux opinions, en difant que felon le fens de l'Hiftoire, c'est un Cantique pour célébrer les noces de Salomon avec la fille du roi d'Égypte, qui eft appellée Salamite du nom de Salomon ; & que felon le fens mystique, dont l'histoire n'est que la base, cela doit s'entendre de Jefus-Chrift & de fon Églife, dont l'union eft comparée, dans l'Évangile, à celle du mari & de la femme.

M. l'évêque de Meaux a diftingué dans le Cantique fept parties d'églogues, qui répondent aux fept jours, pendant lefquels les Anciens avoient coûtume de célébrer leurs noces. Plufieurs autres ont commenté ce Livre, & l'ont expliqué en différens fens ; quelques-uns même en ont abufé. Rien n'eft plus élégant ni plus noble en genre d'idylle, que cet ouvrage. On y voit un feu, efprit, une délicateffe, une variété, une nobleffe & des agrémens inimitables.

un

Dom Calmet dit que pour pénétrer le fens du Cantique des Cantiques, & en comprendre tout le mystère, il faut s'élever à des fentimens au-deffus de la chair & du fang, & y confidérer le mariage, ou l'union de JefusChrift avec la Nature humaine, Bell. Lett. T. IX. p. 307.

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avec l'Églife & avec une ame fainte & fidelle; que c'est-là la clef de ce divin Livre, qui eft une allégorie continuée, où, fous les termes d'une noce ordinaire, on exprime un mariage tout divin & tout furnaturel.

L'Églife Chrétienne, auffi bien que la Synagogue, a toujours reçu le Cantique des Cantiques au nombre des Livres canoniques. Nous ne connoiffons dans l'Antiquité que Théodore de Mopfuefte, qui l'ait rejetté, & qui ait nié fa canonicité. Quelques Rabbins ont douté de fon inspiration; & les Anabaptiftes le rejettent com me un Livre dangereux. Mais, on leur oppofe l'autorité de la Synagogue & de l'Églife Chrétienne, qui l'ont toujours mis au rang des Saintes Écritures les moins douteufes. Si l'on objecte que ni Jefus-Chrift, ni les Apôtres ne l'ont jamais cité, & que le nom

de Dieu ne s'y trouve point, on répond qu'il y a bien d'autres Livres faints, que le Sauveur n'a pas cités expreffément; & que dans une allégorie, où le fils de Dieu eft caché fous la figure d'un époux, il n'eft pas nécessaire qu'il foit exprimé fous fon propre nom. Si cela étoit, ce ne feroit plus une allégorie.

CANTIQUE D'ISAIE. (a) M. Racine le pere, ou le grand Racine, a employé la traduction d'un Cantique d'Ifaïe, pour donner un exemple fenfible de l'enthoufiafme poëtique. Le Prophete, après avoir prédit aux Juifs leur retour de Babylone, & la punition de l'ennemi qui les y a retenus en captivité, tout à coup les fait parler eux-mêmes, & leur met dans la bouche ces paroles, que dans un tranfport de joie & d'étonnement ils chanteront alors contre le roi de Babylone.

Comment eft difparu ce Maître impitoyable?
Et comment du tribut, dont nous fûmes chargés,
Sommes-nous foulagés?

Le Seigneur a brifé le Sceptre redoutable,
Dont le poids accabloit les Humains languiffans.
Ce Sceptre qui frappoit d'une plaie incurable
Les Peuples gémissans.

Nos cris font appaifés. La Terre eft en filence;
Le Seigneur a dompté ta barbare infolence.

Cruel & fuperbe Tyran,

(a) Mém. de l'Acad. des Infcript. & Bell, Lett. Tom. VI. p. 263. & fuiv.

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