Page images
PDF
EPUB

entra peu de temps après dans l'alliance d'un ennemi qui avait été pour lui un libérateur.

Dans les guerres ordinaires, une bataille perdue n'avait été jusqu'alors qu'un premier accident qui n'empêchait pas de disputer encore le terrain à l'ennemi, sans compter les places fortes dont le vainqueur avait à faire le siége. En Prusse, la monarchie tout entière a été mise sur un coup de dé. Il était si vrai que ce n'était qu'une guerre de passion, une guerre commandée par les femmes, que les hommes y avaient oublié toutes les précautions de la prudence la plus ordinaire. Nulle mesure pour le ralliement de l'armée en cas d'une défaite; l'armée de réserve, au lieu d'être à proximité pour favoriser ce ralliement, était à Hall, où elle sera battue dans une affaire partielle. Nulle mesure pour la sûreté des places; on n'a pas même songé à y mettre des hommes qui aient la volonté de s'y défendre. Delà cette série de capitulations, tant de places de guerre que de corps d'armée en rase campagne, série inconcevable qui étonnera les siècles à venir.

Le jour qui suivit la bataille vit la première de ces capitulations. Dès le 15 à midi, le grandduc de Berg avait cerné Erfurt. Cette place, abondamment approvisionnée en vivres et en munitions de guerre, renfermant en outre un

grand parc d'artillerie, eût difficilement fait une longue défense par l'encombrement et la confusion qu'y produisait la multitude des fuyards. Cependant on devait s'attendre à quelque résistance. Elle n'en fit aucune. Le soir même, à 11 heures, la capitulation fut signée. La garnison déposait les armes et restait prisonnière de guerre; les officiers étaient renvoyés sur parole. Sur quatorze à quinze mille hommes qui étaient dans cette place, il y avait six mille blessés. Au nombre des prisonniers étaient le feld-maréchal 'Möllendorf, qui s'y trouvait retenu par ses blessures, le prince d'Orange, le lieutenant-général Grawert et deux généraux-majors.

Ce même jour 15, les corps fugitifs, pressés par les Français, invoquaient, comme un préservatif, la demande d'armistice faite par le roi à l'Empereur. « Que voulez-vous de nous? disait « le maréchal Kalkreuth au maréchal Soult qu'il << avait fait prier de se rendre aux avant-postes. «« Tous nos généraux sont tués ou blessés, vos << succès sont assez grands. Le roi à demandé à l'Empereur une suspension d'armes; il est impossible qu'il ne l'accorde pas. » — «‹ L'Empe«< reur, répondit le général français, ne fera plus << une telle faute. Après la bataille d'Austerlitz il «< accorda un armistice à l'armée russe, et voilà «< cette armée qui marche aujourd'hui contre

[ocr errors]

« nous. » On se sépara. Soult attaqua le corps du maréchal Kalkreuth à Greussen, le chassa de cette ville, l'atteignit de nouveau à Nordhausen, d'où il le déposta encore en lui prenant du canon et quelques centaines d'hommes. Le reste de ce corps ne s'échappa qu'en se jetant dans les montagnes du Harz.

Moins loyal que le maréchal Kalkreuth, le général Blücher qui, dans sa fuite avec cinq à six mille chevaux, avait rencontré une brigade de dragons français à Weissensée, ne s'était fait nul scrupule d'assurer au général français Klein qu'il avait été conclu un armistice de six semaines et de l'affirmer sur sa parole d'honneur. Le général français lui ouvrit un libre passage. Croire à l'honneur d'un ennemi peut être une faute, mais qu'il faut plaindre celui pour qui un faux serment devient un moyen de salut! Dans les campagnes de la révolution, des généraux autrichiens ont eu aussi recours à cette étrange ruse de guerre; des généraux français, jamais.

Pour être battue, une armée n'est pas détruite. Il était à prévoir que l'armée prussienne se rallierait sous Magdebourg, place indiquée par le roi, comme point général de réunion. Ce ralliement ne s'exécuta pas. La présence seule du souverain eût pu l'opérer. Ce prince suivit d'autres conseils. Il laissa au prince de Hohenlohe

le commandement en chef de toutes les troupes qui avaient combattu à Iéna, annonça l'intention de couvrir Potsdam et Berlin, et, s'il ne pouvait y réussir, de se retirer derrière l'Oder pour aller au-devant de ses dernières réserves. Une telle résolution ne pouvait que compléter la dissolution de l'armée.

L'Empereur, malgré son désir de ne pas laisser de relâche à l'ennemi, avait donné deux jours de repos à plusieurs de ses corps d'armée. Trois seulement, celui du maréchal Soult, celui du prince de Ponte-Corvo et la cavalerie du grandduc de Berg, n'avaient cessé de presser les Prussiens sur les trois routes qui conduisent à Magdebourg. Le 19, le maréchal Soult arrivait devant cette place presque en même temps que l'arrière-garde ennemie.

Il tardait au prince de Ponte-Corvo, resté étranger aux deux batailles d'Auerstaedt et d'Iéna, de ressaisir la part de gloire qui lui était échappée. Arrivé à Querfurt le 16 octobre, il en partit, à deux heures du matin, pour marcher contre Hall où se trouvait la réserve prussienne sous les ordres du prince Eugène de Virtemberg. Cette place, couverte par la Saale et dans quelques parties par des étangs et des marécages, fut attaquée, sur plusieurs points à la fois, avec une vigueur qui triompha de tous les

obstacles. Les divisions des généraux Dupont et Drouet rivalisèrent surtout d'audace et d'intrépidité. Le régiment prussien de Treskow fut pris tout entier par le général Drouet. Il resta aux mains des Français cinq mille prisonniers, trente-cinq pièces de canon et des magasins considérables de subsistances.

Après les deux jours de repos si nécessaires à son corps d'armée, le maréchal Davoust s'était dirigé sur Leipsig où il entra le 18. Un ordre de l'Empereur portant que cette ville était, comme entrepôt général des marchandises anglaises sur le Continent, une ennemie dangereuse pour la France, prescrivit la saisie de toutes ces marchandises. Le lendemain, ce maréchal s'avança sur Wittemberg, et, y étant arrivé assez tôt le 20 pour s'emparer du pont où l'ennemi venait de mettre le feu, il porta ses trois divisions sur la rive droite de l'Elbe.

Deux jours après, le maréchal Lannes, que suivait à une demi-marche le maréchal Augereau, franchit ce même fleuve à Coswig, et le prince de Ponte-Corvo, à Barby 1.

Le prince de Ponte-Corvo avait eu ordre de le passer le 21. A l'occasion de ce retard d'un jour, malgré son succès à Hall, l'Empereur lui reprocha son inaction dans les batailles d'Auerstaedt et d'Iéna.

« PreviousContinue »