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En 1598, la ville de Bergues était gouvernée par le Grand-Bailli Antoine de Waudripont, écuyer, seigneur de Basseghem 1, et administrée par Ghislain Dyserin, écuyer 2, en qualité de Bourgmaistre de la ville et châtellenie. Ces deux personnages à l'esprit ouvert, au cœur compatissant, que Dieu avait mis à la tête de la cité pour opérer de grandes choses, partageaient les mêmes sentiments et sur les maux de l'époque et sur les remèdes à y apporter. Tous deux étaient d'avis qu'une régénération prompte était non seulement souhaitable mais nécessaire; que l'avenir moral de la ville serait peut-être à jamais compromis, si l'on n'avait soin de redresser la jeunesse en lui inculquant les principes d'une solide et fructueuse éducation appuyée sur les enseignements de la Religion. A leurs yeux, les Pères Jésuites seuls étaient capables, s'ils consentaient à entrer dans leurs vues, de remédier à la situation présente. Ils s'attendaient, il est vrai, à de fortes dépenses pour mener à bonne fin une affaire de cette importance; mais la ville était relativement riche, la châtellenie se relevait rapidement de ses infortunes passées, et l'heure semblait propice pour faire œuvre durable Le Magistrat tout entier 3 adhérait à la

1. Antoine de Waudripont, alias Wadripont, né à Audenarde, de Rasse et de Jossine Van der Meere, fut Grand-Bailli et gouverneur de Bergues de 1594 à 1610. En 1596, il épousa à Bruxelles Anne de Schietere, née à Bruges. Il mourut à Bergues le 8 juin 1610. Son tombeau, monument de marbre noir, orné de bas-reliefs et d'une inscription, s'élevait dans le chœur de l'Abbaye de Saint-Winoc.

2. Dyserin fut bourgmaistre de Bergues en 1592, 93, 94, 97, 98, 99. Il mourut le 4 mars 1600.

3. Pour l'année 1598-1599 (commencée le 7 juin 1598) étaient Bourgmaistre Guislin Dyserin; Échevins et Ceurheers: Jacques van Zuutpeene, Adriaen van Teteghem, Jacques Uphooghe, Frans de Moucheron Jooris Rape, Pieter Witteron, Christiaens du Mons, Pieter de Cuupere (mort en 1598 et remplacé par Guillaeme Hardevuust), Jacques de Blonde, Philips de Milleville, Jan van den Kerckhove, Pieter Lauwereyns, Frans Ley, Jan le Maire, Jan de Hondt, Mathys de Broere, Maillaert de Bavelaere fus Andries; Receveur :

proposition; les Nobles, Notables et Vassaux, dûment convoqués en chambre échevinale, loin de montrer de l'opposition, poussaient à entreprendre au plus tôt les négociations 1.

A cet effet, le Magistrat, par consentement unanime, députa à Saint-Omer vers le Père Bernard Olivier, provincial de Belgique, deux des siens, Jean de Hondt, échevin, et Pierre Hardevuyst, secrétaire-greffier, munis des instructions dictées par le Conseil. En quoi consistaient ces instructions, quelles étaient la nature et la portée des offres soumises au représentant de la Compagnie ? Les documents laissés par les Pères et reposant aux Archives de Bergues sont muets sur ce point. Toujours est-il que la réponse du Provincial fut défavorable et que les émissaires revinrent avec peu d'espoir.

A Bergues, les esprits rurent plus ou moins découragés par l'insuccès de cette première tentative. Allait-on laisser périr, faute de générosité, la petite semence qui ne demandait qu'à lever? Heureusement, peu de temps après, arriva dans la ville un prédicateur de marque, le P. Édouard Dauwe. Il n'eut pas de peine à relever les courages abattus; l'espoir reprit, et le corps échevinal, ranimé par la chaude parole du prédicateur, résolut de tenter une seconde démarche. Ses ambassadeurs s'en allèrent trouver le P. Olivier à Tournai, porteurs de trois requêtes, l'une de Mgr Pierre Simon, évêque d'Ypres 2, une autre de l'Abbé de Saint-Winoc, Charles Marc Stappens; Conseiller-pensionnaire: Jacques van Capple; Greffiers Pieter Hardevuust, Jacques Aernouts, Jacques de Bavelaere, Cornelis de Wintere (D'après les ms. de Vernimmen, Archives de Bergues, c. III).

1. Nous n'avons pas trouvé trace officielle de ces premières délibérations; mais le fait est rapporté par l'Historia Collegii, et dans un Mémoire daté de 1765 (Archives de B. c. I, no 196).

2. Mgr Pierre Simon, deuxième évêque d'Ypres, occupa ce siège du 6 janvier 1585 au 15 octobre 1605.

d'Argenteau 1, la troisième du Magistrat lui-même. Or offrait cette fois de bâtir le Collège en entier avec classes et chapelle, et de lui assurer une rente de deux mille florins. L'Abbé de Saint-Winoc s'engageait à lui fournir en outre une rente annuelle de cinq cents florins avec promesse de plus grands bienfaits. Le Provincial se récusa derrière l'insuffisance de la dotation et déclara ne pouvoir accepter. Le refus provisoire du Provincial était sage. Si la ville de Bergues désirait un Collège, il fallait à tout prix que les Jésuites trouvassent dans la fondation les ressources indispensables. La Congrégation générale de 1593, pour assurer la gratuité de l'instruction, en même temps que la solidité de tout établissement nouveau, avait prescrit un minimum de dotation; faute de quoi, les provinciaux devaient refuser les offres qu'on leur faisait : « Ce n'est pas se montrer difficile, disait le Général, ni sortir des bornes de la modération, que d'exiger des fondateurs de quoi nourrir les ouvriers employés aux multiples occupations d'une maison d'enseignement. >>

Le P. Olivier déclara toutefois en référer au P. Général, et, congédiant les ambassadeurs, les engagea vivement à persévérer les barrières n'étaient pas infranchissables; une générosité plus grande amènerait sans doute l'autorité à faire quelques concessions.

Le Magistrat s'était trop engagé pour reculer devant ce nouvel échec. Il lui parut que cette œuvre du Collège à laquelle il s'adonnait si complètement aurait plus de prix s'il arrivait par sa constance à briser le réseau des difficultés. Et puis quelle œuvre humaine n'est pas d'abord barrée par des traverses? Les meilleures, les plus durables, sont celles qui franchissent délibérément

1. LVe Abbé de Saint-Winoc, Charles Ier d'Argenteau dirigea l'Abbaye du 28 mars 1592 au 26 mars 1625.

les obstacles. Au printemps de 1599, il depêcha donc à Bruxelles François Marchant, avec mission de faire au Provincial des offres plus acceptables. Ce personnage plaida sa cause avec beaucoup de ténacité, de chaleur et d'éloquence, et, après de nombreux pourparlers, la fondation reconnue viable fut acceptée le 12 mai.

Pendant ce temps, le Bourgmaistre Dyserin s'était montré particulièrement actif. Confiant dans l'issue des négociations, il avait réuni, le 10 mai, en chambre échevinale, les Nobles, Notables et Vassaux de la ville et châtellenie, et sollicité leur «< avis, aggréation et consentement ». Le 12 juin, il arrêta de nouvelles propositions et les soumit à son Conseil. Il offrait pour demeure aux Jésuites « la maison et place de l'eschole d'icelle ville avec les deux maisons y contiguës », s'obligeant à les faire approprier pour un Collège de trente personnes, à meubler convenablement, et à fournir les livres nécessaires à la bibliothèque. Quant à la dotation, la Généralité ne pouvait prétendre par ses propres moyens la supporter entièrement, encore moins la garantir pour un temps indéfini. Aussi, dans cette même convention du 12 juin, déclarait-on demander à l'Archiduc Albert et à l'Archiduchesse Isabelle l'application de l'Hôpital Sainte-Marie-Madeleine. fondé avant le XIIIe siècle au faubourg de Cassel, pour les lépreux et les vieillards, mais qui n'avait plus sa raison d'être à la fin du seizième siècle. Dans l'esprit des échevins, cet hôpital, bien administré, devait donner, en y comprenant une rente de 48 florins l'an, fondée par la veuve de Jean Martin 1, un revenu annuel de 3300 florins. « Par la mauvaise économie des administrateurs », le revenu actuel était loin

1. La veuve de Jean Martin avait fondé au profit des Jésuites de Saint-Omer cette rente de 48 florins ou 8 livres de gros, sous condition de retour au Collège de Bergues, au cas où la Compagnie voudrait ériger un établissement de ce genre.

d'atteindre cette somme ; et les échevins allaient euxmêmes en prendre la gouvernance, « disant que lorsque par leur preudhomie, ils auroient fait monter le bien dudit hôpital à la dite somme, ils le remettroient aux Jésuites pour le régir par eux-mêmes à leurs risques 1. » Enfin le Magistrat souhaitait que les Pères ouvrissent les classes pour le 1er octobre, yaant sous cette considération licencié pour cette date l'écolâtre que la

ville entretenait 2.

Dans ce même acte est mentionnée la libéralité de l'Abbé de Saint-Winoc. Le Prélat avaiť promis de constituer une rente annuelle de 500 florins au bénéfice du Collège il voulut donner une nouvelle preuve de sa bienveillance par une augmentation de cent florins.

De Bruxelles François Marchant avait envoyé un rapport sur l'heureux résultat de sa mission. Le Magistrat de Bergues ratifia les négociations et rédigea la convention dont il a été question précédemment. En même temps, il invita le Provincial à venir en personne à Bergues pour examiner les six emplacements proposés pour le Collège et faire son choix 3. Le P. Bernard Olivier visitait en ce moment les Collèges de la Province; par lettres datées de Liége (28 mai), il délégua le P. Olivier Manare qui se trouvait alors à Arras pour une affaire semblable. La maladie empêcha ce dernier d'accomplir sa mission. Le corps échevinal, impatient de ces lenteurs, et commençant à devenir inquiet, écrivit au R. P. Claude Aquaviva, Général de la Compagnie, une lettre apos

1. Mémoire concernant l'établissement du Collège des Jésuites et l'enseignement de la jeunesse, 1765. Archives de Bergues, c. I, no 196. 2. Convention du 12 juin 1599. Il en existe une copie vidimée sur papier aux Archives de Bergues, G G. 139.

3. D'après la convention du 12 juin, on offrait pour local l'école de la ville; mais cette demeure ne devait servir que provisoirement, en attendant que la construction du Collège fût mise à exécution et achevée.

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