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Précédé des enfants de la Pauvre École et de la cavalcade des étudiants, le premier char, traîné par six chevaux bais, figurait le Paradis terrestre avec l'arbre de la science du bien et du mal, le « serpent infernal » long de quinze aunes et de la grosseur d'une personne adulte ; en arrière, Marie écrasant la tête du serpent; puis, autour du balcon, entremêlés d'anges, le Souverain Pontife, des cardinaux et des archevêques. Au faîte du char se hissait, entouré d'oriflammes, un splendide rayon doré portant le nom de Jésus. Chacun des chevaux était monté et guidé par des figurants costumés en Cupidons.

Venait ensuite une seconde cavalcade, celle des jeunes gens. Les trente cavaliers qui la composaient s'étaient rassemblés à une heure auprès de la Halle, pour chercher en grande pompe le Directeur de leur sodalité : quand ils traversèrent la Grand'Place pour se rendre à l'Aula, le guetteur du Beffroi sonna quelques coups, signal ordinaire qui avertissait les bourgeois au passage d'une troupe de cavalerie. Trompettes en avant, leur bannière déployée, les beaux cavaliers aux habits galonnés, coiffés de chapeaux à plumes, l'épée nue, montèrent la pente du Groenberg sur des chevaux choisis (utgecoosen peirden) richement caparaçonnés. Derrière un premier groupe représentant l'esclavage d'Adam, s'avançait le char de la Nativité de la Sainte Vierge, attelé de quatre chevaux blancs comme neige (sneeuw witte peirden). Sur la plate-forme avaient pris place sainte Anne à côté d'un berceau, Joachim et Élisabeth, un figurant tenant en main une écuelle d'argent (een silveren papschotelken); et plus bas, sur les marches étaient assises nombre de petites filles représentant la famille de la Vierge. Puis venaient

travers les rues, une vingtaine de ces rozenhoedjes, dont l'effet était des plus gracieux.

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LE BEFFROI DE BERGUES

D'APRÈS UNE EAU-FORTE DE P. A. BOUROUX.

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les a sodalistes » avec leurs flambeaux, encadrant les Douze Sibylles qui traînaient une arche ou vaisseau; des groupes de l'Ancien Testament; la statue de la Vierge, introduite par un ange qui se retournait de temps à autre pour la saluer et l'honorer par des louanges ou des hymnes.

Troisième cavalcade, celle des Messieurs. C'étaient quatorze cavaliers costumés à la romaine, chamarrés d'or et d'argent, précédés d'un timbalier et de trompettes: tantôt les cavaliers dialoguaient entre eux comme des personnages de théâtre, tantôt les trompettes jetaient dans l'air leurs sons aigus, et rien n'était plus agréable à entendre. Après des groupes divers, quatre chevaux gris montés par des anges traînaient le char triomphal de la Purification, où figuraient Siméon, la prophétesse Anna, saint Joseph, Élisabeth, et les deux tourterelles symboliques. Au balcon qui faisait le tour du char, des anges publiaient au son des trompettes le triomphe de Jésus et de Marie. Enfin, précédé des porte-croix, des thuriféraires et du clergé, dans un nuage d'encens, au milieu des cantiques et des hymnes, s'avançait le Saint Sacrement sous le plus beau « baldaquin» de SaintMartin entre les quatre lanternes d'argent.

Le Cortège passa sous de nombreux arcs de triomphe aux chefs chargés de chronogrammes et d'inscriptions, lesquels étaient si haut dressés qu'on pouvait les voir de la campagne environnante. Et partout les maisons étaient revêtues de verdures sur lesquelles pendaient oriflammes et tapis. Défense avait été portée de tirer des coups de fusil ou de pistolet, pour éviter les accidents parmi l'affluence énorme qui remplissait les rues et les places publiques. Le narrateur de cet événement s'extasie devant les foules accourues: jamais il n'a vu sa ville aussi animée, aussi bruissante, aussi encombrée ! Enflant

la voix avec une exagération enthousiaste, il proclame que les visiteurs étaient arrivés non seulement par milliers, mais par millions ! « La veille et le jour de la fête, on n'entendait rouler que carrosses, chars-à-bancs et chariots, amenant des étrangers de Bruges, Nieuport, Furnes, Ostende, Ypres, Lille, Poperinghe, Aire, Béthune, Saint-Omer, Bourbourg et Cassel, et j'estime que tout Dunkerque était dans nos murs. » Le long du parcours, deux compagnies de soldats marchant avec la procession formaient la haie. Toutes les cloches sonnaient pardessus la ville, celles du beffroi et du carillon, celles des églises et des couvents; et c'est sous les sonorités bourdonnantes, tintantes, carillonnantes, parmi les strideurs des trompettes et la joie des timbales, entre les verdures, les guirlandes et les oriflammes multicolores, que se déroula, théorie vivante et variée, le magnifique cortège destiné à glorifier la Mère de Dieu...

A partir de cette date, la maison de Bergues, loin de souffrir des attaques qui commençaient à s'élever d'une façon plus violente contre les Jésuites, eut pendant une dizaine d'années comme un regain de vie. Le nombre des élèves oscillait autour de 120 et de 130. Les De Hau, les De Clerck, les Lauwereyns, les Roussel, de Bergues, les de Saint-Hilaire d'Hondschoote 1, étaient alors la jeunesse la plus considérée, celle qui devait faire figure. dans le monde et remplir des charges honorables dans la magistrature du pays 2. Il convient de signaler aussi un autre personnage, dont le nom a marqué dans l'his

1. Louis Maur de Saint-Hilaire de Cruninghe, bailli d'Hondschoote en 1777, finissait en 1752 sa rhétorique au Collège de Bergues.

2. Élèves en 1751: Pierre de Grand, Jean Camerlynck, Charles Roussel, Louis de Saint-Hilaire, François Outters, Antoine de Hau, Pierre Gaillart, Charles Lauwereyns, Pierre Legier, Adrien Beyaert, Jean Cauche, Charles de Clerck, Pierre Christiaens, Joseph Bouchette, François Ryckelynck, etc. (Cf. Archives de B. GG. 158).

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