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était déjà engagé dans le clergé séculier, mais il songeait à embrasser une forme de vie plus parfaite. Il n'avait pas oublié son rêve d'enfant, et il se souvenait d'avoir construit au jardin de ses parents de Rexpoëde, des huttes de branchages où, fuyant le monde, il passait des heures dans la solitude et s'exerçait à la contemplation. Au milieu de l'agitation bourdonnante de la cité universitaire, le voici qui se promène avec son ami, M. De Witte. De quoi l'entretient-il? De son projet de vivre dans une solitude où il serait seul au monde avec Dieu seul 1.

Nous ne savons pas si Charles Grimminck essaya de conquérir des grades académiques; mais il est certain que, dans le diocèse d'Ypres, on le considéra toujours comme un excellent théologien. Quelques lignes d'une lettre latine adressée à un correspondant inconnu qui, par l'intermédiaire d'un ami commun, l'avait consulté sur des questions controversées, nous permettent de juger l'excellente qualité de sa formation intellectuelle : J'ai consulté moi-même, dit-il, et je vous donne ici les raisons que l'on m'a données à moi-même ; mais j'avoue que mon humilité n'est pas telle que j'enchaîne mon esprit en l'allégiance de docteurs, à moins qu'ils ne me persuadent par l'Écriture Sainte ou par de bonnes raisons. >>

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Quelques lignes plus bas, il ajoute : « Je ne dois pas m'attacher à mon opinion personnelle comme à un oracle infaillible, ni pour cela adopter l'avis du premier venu; cet honneur n'est dû qu'à la Sainte Écriture, à la Tradition et aux définitions de l'Église. »

Ces lignes prouvent peut-être que les maîtres de Grimminck lui avaient donné le goût des attitudes nettes. Qu'y voyons-nous encore? Un jugement indépendant, sans doute; mais aussi, la disposition à ne 1. Remarques sur les Exercices de 1723.

point trop se fier à ses propres lumières, à ne se rendre qu'à de bonnes raisons; soumission entière aux seules autorités légitimes, l'Écriture, la Tradition, le Magistère infaillible.

C'est dans cette même lettre que nous trouvons deux indications précieuses sur l'opinion de Grimminck relativement aux grandes questions qui, à la fin du XVIIe siècle, ne préoccupaient plus les seuls théologiens, mais avaient fini par passionner toute l'opinion publique. Dans nos moindres villages, comme à la ville et aux Universités, on discutait jansénisme et prédestination. Le correspondant de Grimminck avait essayé de le sonder sur ces doctrines. Lui avait-il demandé ce qu'il pensait de l'autorité du Pape en ces matières, de la question du fait et du droit ? Nous l'ignorons.

Toujours est-il que Grimminck lui répond d'un ton un peu brusque, avec un rien d'agacement dans la voix, avec quelque exagération, qui s'explique par son tempérament et par la nécessité de prendre nettement position dans une querelle où les soupçons étaient facilęs. Il a l'air de dire : « Tel est mon avis, et puis ne me demandez plus rien sur ce chapitre-là ». Voici ses paroles :

« J'adhère de telle sorte à notre Saint Père le Pape, que si je disais un seul Pater pour un janséniste mort (obstiné dans l'erreur, s'entend), je me jugerais coupable de péché mortel ».

Le ton est déplaisant, mais la déclaration est nette ; si le correspondant inconnu de Grimminck avait cherché à se renseigner sur l'orthodoxie de l'anachorète, il était fixé. Grimminck ne veut pas qu'on puisse le juger capable de faux-fuyants. Mais combien ne préférons-nous pas le ton de sa réponse à la question posée relativement au problème de la prédestination! Il n'y a plus ici aucune mauvaise humeur, ni vivacité. Il ne

s'agit plus d'alimenter des chicanes intellectuelles sans fin, où l'on perd son temps, mais de procurer la paix aux âmes que l'art de disputer avait rendu inquiètes :

« Voici toute ma consolation, dit-il ceux-là seront sauvés qui l'auront voulu. C'est l'opinion de saint Thomas; sa sœur en effet, lui demandant un jour comment on se sauve, il répondit : «En le voulant. » —— Mais, Monsieur, si un Ange vous était envoyé du ciel pour vous assurer de votre salut, comment passeriez-vous le reste de vos jours ? Sans doute, vous vivriez dans une joie spirituelle continuelle, vous vous adonneriez avec ferveur et générosité à la pratique des préceptes et à des actes des vertus, vous supporteriez les maux de cette vie avec force, que dis-je ? avec joie? Faites cela, et vous vivrez ! Ce n'est pas un ange qui vous en assure, mais la Sainte Écriture dont le témoignage vaut plus que celui de tous les anges ensemble 1 ».

Grimminck, on le voit, ne perdit pas son temps à Douai pendant les deux années qu'il y passa entre son diaconat et sa prêtrise : il apprit à s'élever au-dessus des querelles verbales, et à garder son âme de la contagion des vaines disputes. Plus tard, il prendra la résolution de se taire dans les discussions 2. Il y acquit certainement le goût de la lecture, je veux dire cette ouverture d'esprit et cette curiosité intellectuelle qui empêchent d'être l'homme d'un seul livre ou d'un seul docteur. La variété des auteurs qu'il cite dans ses écrits témoigne de son érudition et de la sûreté de sa mémoire. Jusqu'à la fin de sa vie, il gardera le goût des livres. Parmi ses lettres nous découvrimes une petite fiche: c'était un enseignement bibliographique au sujet d'un

1. Copie d'une lettre non datée, certifiée conforme à l'original par Pierre-Jean Thibaut, séminariste à Ypres.

2. Exercices de 1723.

ouvrage attribué à Albert-le-Grand, traduit en flamand1. Vers 1725, il écrit à son ami M. Van Peereboom, marchand, près la Halle aux Viandes, à Ypres, bienfaiteur de sa chapelle de Saint-Jean-des-Joncs : « S'il y a des livres mis en vente à la foire (Tuindag) d'Ypres, je vous prie de m'en envoyer un catalogue ». Un autre jour : « Je vous prie de demander à votre père qu'il lui plaise de faire venir de Gand cinquante petits ouvrages dont je lui ai donné les titres, lors de sa dernière visite ». Une autre fois, il lui cite un fait édifiant de la vie de Théodorus, abbé, et il ajoute : « L'épisode est tiré d'un vieux livre de cinq ou six schellings, que le libraire, habitant à Lille en la Grand' Place, me présenta, il y a quelques années, alors que j'y étais de passage 2». Souvenir de bibliophile qui revoit en imagination l'échoppe où il a fureté.

A Douai, Charles Grimminck ne perdait pas de vue le but de ses études : l'ordination sacerdotale. La biographie nous dit qu'il jeûnait tous les vendredis au pain et à l'eau et que son confesseur fut obligé de modérer son ardeur à se mortifier.

Il fut ordonné le samedi des Quatre-Temps, le 5 juin 1700, en vertu de lettres dimissoriales de Mgr de Ratabon, par l'évêque de Tournai, Mgr François Caillebot de la Salle.

A partir de ce jour, il signa toutes ses lettres, comme font les Messieurs de Saint-Lazare: Charles Grimminck, prêtre indigne, « reconnaissant que cette dignité était beaucoup au-dessus de ses mérites ».

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M. Danès, avec l'intention d'édifier ses lecteurs ecclé

1. De Deo adhaerendo.

2. Lettres à M. Van Peereboom, handelaer by het Vleesch-huys, Yper (Copie).

siastiques, écrit « Devenu prêtre, éloigné de toute ambition et du désir inquiet d'un avancement, il attendit d'un esprit simple et soumis ce que l'autorité lui imposerait, toujours prêt à l'accueillir avec zèle. »

L'Autorité nomma le jeune prêtre, frais émoulu de l'Université, vicaire à Ramscappel, non loin de Nieuport, dans la plaine basse de l'Yser, région marécageuse et malsaine. Il y gagna, nous dit-on, tous les cœurs par les vertus qu'il avait su acquérir. Aucun des paroissiens de Ramscappel, cependant, ne put se douter que ce jeune prêtre, zélé et distingué, portait une haire et s'exerçait en des pénitences qui les eussent effrayés 1.

Il y resta deux ans, après quoi il fut envoyé comme curé à Zuidcoote, misérable village de pêcheurs, au bord de la mer, serré entre les dunes et les marais des Moëres.

Grimminck fut probablement le plus jeune curé du diocèse d'Ypres, mais sa nomination à Zuidcoote fut une promotion qu'aucun des vicaires, plus âgés que lui, ne put lui envier. «Zuidcoote était le poste le moins enviable de tout le diocèse d'Ypres ; les habitants étaient de pauvres hères qui gagnaient leur vie à la pêche des crevettes. Les revenus du curé n'atteignaient pas la moitié de ce que rapportaient les moindres. paroisses. Plusieurs curés y avaient donné leur démission pour accepter un poste de vicaire ; d'autres, nommés, n'avaient pas voulu y aller, considérant que c'était un véritable lieu d'exil. Mais M. Grimminck considéra sa nomination comme un appel de Dieu même 2

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Zuidcoote était presque une Thébaïde l'âme de Grimminck devait s'y attacher. Comme il lui était facile de s'isoler du monde dans cette large bande de

1. Biogr., pp. 24 et 25.

2. Biographie.

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