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l'Yser, au Kemmel et au Mont-des-Cats, des solitaires. s'étaient établis dans les ravins sombres, couverts de bois, et y vivaient à la manière des Pères du Désert. Ce n'était vraisemblablement pas la première fois que des hommes avaient compris le sens spirituel de cette chaîne des collines de Flandre. S'il est des lieux prédestinés à la prière et à l'ascension de l'âme, c'est bien, en Flandre, cette colline du Mont-des-Cats, où le paysan du pays plat vient parfois respirer un air plus léger et contempler un horizon plus vaste... Le petit Grimminck, soutenu par l'ardeur impétueuse de son cœur d'enfant, s'en vient vers les Ermites Antonins de la montagne. Il est parti sans dire adieu à personne : c'est qu'il veut être mort au monde, comme disent les livres spirituels.

Hélas! Il n'est point d'ermites si jeunes. Et CharlesLouis, qui s'en est allé sans prendre le temps de dire adieu à personne, doit s'en retourner au collège. Patience! Un jour, il prendra sa revanche, et laissera loin derrière lui les solitaires de la montagne : celle-ci, d'ailleurs, ne cessera jamais de se montrer à l'horizon comme un signal et comme un appel.

Aucun événement extérieur ne marque plus la jeunesse de Charles Grimminck. Il termine vraisemblablement ses humanités à Ypres, étudie la philosophie à Douai, revient au Grand Séminaire d'Ypres, et fait ses trois années de théologie sous la direction de M. Jean Viny, président du séminaire, « homme d'une vie sainte, dit M. Danès, dont le souvenir ne disparaîtra jamais de ce diocèse ». Le 21 avril 1696, il est tonsuré ; le 21 septembre 1697, il est ordonné sous-diacre, et diacre le 20 septembre de l'année suivante, à l'âge de vingt-deux ans. Écoutons ce que dit M. Danès de ces années passées au séminaire :

« C'est ici que notre jeune théologien sut tirer avan

tage et progrès des exemples et de l'enseignement de son supérieur. C'est ici que sa science et sa vertu commencèrent à briller. Ses études n'étaient point arides, pleines de présomption, ou stériles, comme il arrive souvent en ces années, mais accompagnées d'une véritable élévation de l'âme vers la Transcendance de Dieu, et pénétrées de la douceur céleste que les amants de Dieu éprouvent parfois en eux-mêmes. »

Notons que, d'après M. Danès, ce fut dès le séminaire que Grimminck reçut l'appel à la vie mystique.

« Il étudiait surtout la vérité dans les œuvres de l'Ange de l'École, Saint-Thomas d'Aquin. Il considé rait comme étant de la plus haute importance, non seulement de connaître, mais d'aimer Dieu de tout son cœur, et cet art, il essayait de l'apprendre des maîtres de la vie spirituelle, mais principalement dans la prière et la méditation, accompagnées d'un dressage et d'une mortification de tous les sens... Ce fut alors qu'il commença à comprendre ce qu'il répéta si souvent depuis, dans ses Sermons, ses Lettres et la Règle des Ermites, ce qu'il a essayé d'imprimer si fortement dans tous les hommes, à savoir, que Dieu est tout et que tout le reste n'est rien, c'est-à-dire rien par soi, et de nul prix au regard de ce Dieu infini, éternel et tout-puissant. On observait en lui, outre un grand attrait pour les abstinences et les mortifications, un vrai détachement des biens terrestres. Il avait aussi ce grand dégoût qu'il conserva toujours pour toutes les nouveautés subversives dans les enseignements de la foi, toujours fermement attaché qu'il était au Siège de Rome. Aucun fauxsemblant de sainteté et de dévotion ne purent le détour, ner de cette voie de naïve soumission, pour lui en faire prendre une de présomption et d'obstination, comme nous avons encore à le déplorer de nos jours en plusieurs

personnes qui semblaient vouloir s'adonner particuhèrement à la dévotion ».

M. Danès est un témoin bien informé. Il est possible qu'il ait connu Grimminck sur les bancs du Séminaire ; mais, devenu Vicaire-Général du diocèse, il a certainement dû consulter les archives du séminaire et les professeurs de théologie. Son récit témoigne que, mieux que la plupart de ses contemporains, il devina le secret de la sainteté de Grimminck. Il note soigneusement que Grimminck, dès ses années d'apprentissage, savait le rapport de la science et de la vie : nouvelle preuve de précocité intellectuelle et d'expérience.

Dès ces années donc, notre jeune théologien est pénétré de la perfection de l'Être divin. Dieu abîme d'être, néant de tout le reste : c'est déjà la formule qui résume toute sa pensée et son attitude religieuses. Et il semble que dès lors son âme ait quelque connaissance expérimentale de la douceur céleste « que les amants de Dieu éprouvent parfois en eux-mêmes ».

Le témoignage de M. Danès nous permet aussi de penser que Grimminck découvrit alors le trésor d'enseignements spirituels et d'initiation mystique contenus dans la Somme de saint Thomas, et qu'il le prit pour son guide définitif. N'est-ce pas saint Thomas qui lui apprend <«< qu'il est en l'homme quelque chose de meilleur que la raison, non pas la science ni la doctrine, mais Dien : et n'est-ce pas cette conviction qui empêche ses études d'être stériles et arides ?

Grimminck est trop jeune pour être ordonné prêtre. D'octobre 1698 à juin 1700, on l'envoie de nouveau à Douai pour y faire encore deux années de théologie.

C'est alors qu'il choisit pour directeur de conscience un père de la Compagnie de Jésus.

Depuis 1568, année où Dom Lentailleur, abbé d'Anchin, les avait appelés à diriger le célèbre collège d'Anchin, qui fut la cellule mère de l'Université de Douai, l'influence des jésuites n'avait fait que grandir au cours des disputes doctrinales du XVIIe siècle. En 1573, aux classes d'humanités, ils avaient ajouté l'enseignement de la philosophie, puis un cours de théologie pastorale. En 1580, ils obtenaient une leçon publique de théologie « pour l'explication de saint Thomas ». A partir de 1612, leur collège d'Anchin est le principal collège de la province gallo-belge. On y donne un enseignement complet, y compris les leçons de Théologie scolastique et morale, l'Écriture Sainte et l'Hébreu. Ils ne cessent de combattre les erreurs du temps, protestantisme, puis rigorisme et jansénisme.

Importante au point de vue doctrinal, leur influence fut souveraine au point de vue proprement religieux, et l'on peut affirmer que c'est leur action principalement qui restaura la pensée et la vie chrétiennes en Flandre au lendemain des troubles religieux du XVIe siècle. En 1640, les Congrégations fondées par eux dans leur province de Flandre-Belgique, étaient au nombre de 90, et comptaient 13.727 membres. La Gallo-Belgique en avait 80 avec 11.340 membres 1.

Faut-il rappeler aussi la fondation des collèges de Saint-Omer (1567), d'Ypres (1589), de Bergues-SaintWinoc (1600), sans compter ceux d'Anvers, de Bruges, de Courtrai et de Bruxelles ? Ils s'établissent à Dun-. kerque en 1612 et y transforment leur résidence en Collège en 1631, à Cassel en 1613, à Bailleul en 1614. Floraison merveilleuse de maisons religieuses et d'écoles à tous les carrefours des grandes voies de communica

1. R. P. J. Brucker. La Compagnie de Jésus (Paris, 1914).

tion, d'où les missionnaires 'ne cessent de s'élancer à la reconquête des bourgs et des villages flamands 1.

C'est ainsi qu'il ne fut pas difficile à Charles Grimminck d'être initié à la spiritualité Ignatienne. N'est-ce pas toute la Flandre qui y fut initiée peu à peu, si nous en croyons ce Compte-rendu des Exercices paru à Anvers en 1743 ? Des retraites de trois jours étaient données dans tous les centres tant soit peu importants. Les foules s'y portaient en masse, et le Compte-rendu nous dit l'accueil enthousiaste fait aux missionnaires à Hazebrouck, à Bailleul, à Bergues. « En quoi le zèle des habitants de Bergues s'est particulièrement manifesté, c'est qu'ils ont fait imprimer à leurs frais les résolutions tirées de chaque méditation, pour les conserver toute leur vie, s'y retremper souvent, et les mettre en œuvre avec persévérance ». (p. 43) 2.

Quoi d'étonnant si Charles Grimminck, arrivant à Douai, prend pour directeur de conscience un jésuite et se fait inscrire dans la Sodalité de tous les Saints qui, au sortir de la classe d'Éloquence et de la Congrégation de la Sainte Vierge, accueillait les philosophes et les théologiens 3 ?

Congrégations et sodalités étaient des pépinières de vocations ecclésiastiques et religieuses 4. Grimminck

1. Cf. Le beau travail de M. l'abbé De Croocq : Histoire du Collège de Bergues. (Annales du Comité flamand de France, T. XXXIII). On y voit la noble collaboration des religieux et des magistrats dont l'honneur fut d'avoir compris qu'il n'est de civilisation véritable que chrétienne, et qui ne reculèrent devant aucun sacrifice pour relever l'édifice spirituel de la Flandre, malgré toutes les difficultés, les guerres et l'incertitude du lendemain.

2. Korte kennisse van de geestelyke Exercitien van den H. Vader Ignatius van Loyola. (Antwerpen, 1743).

3. Leges et Statua Congr. B. M. V. quae in collegio Soc. Jesu institutae atque a S. S. approbata sunt. (Douai, 1590).

4. En 1612, sur 400 associés, 37 entrèrent dans la Cie de Jésus, 8 se firent Capucins, 6 Franciscains récollets, 2 Chartreux. (Cf. Brücker, op. cit.).

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