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au but de leur campagne, qui était de livrer bataille aux Anglais et de les chasser du Portugal, quand ils apprirent par les reconnaissances envoyées sur divers points que l'armée de lord Wellington s'était retranchée sur la chaîne des montagnes de Torrès-Vedras, entre la mer et le Tage.

De telles positions ne pouvant être tournées, Masséna fit de vaines tentatives pour passer le Tage; il borna ensuite tous ses efforts à attirer les Anglais hors de leurs retranchemens, pour les forcer à accepter la bataille ; mais il ne put réussir dans ce dessein. La disette et les maladies contagieuses faisaient des ravages effrayans dans son armée, par la précaution qu'avaient eue les habitans de détruire leurs provisions. A l'approche des Français, les hommes s'étaient retirés dans les montagnes, avec leurs armes et leurs bestiaux. Les femmes, les enfans, les vieillards, les religieuses et les moines, s'étaient sauvés à Lisbonne, où la charité des couvens et des aumônes abondantes pourvurent à leurs besoins. Les Français, à leur entrée dans le pays, n'avaient rencontré que des villages déserts, où ils avaient trouvé les moulins détruits, le vin coulé dans les rues, les grains brûlés; même les meubles

brisés, et où ils n'avaient aperçu ni un cheval, ni un mulet, ni un âne, ni une vache, ni une chèvre. Masséna fut donc forcé de se préparer à la retraite, après un séjour de plus d'un mois au pied de ces lignes escarpées.

Le maréchal Ney fut chargé exclusivement de commander les huit régimens d'infanterie qui formèrent l'arrière-garde pendant cette retraite; la manière dont il s'acquitta de ce commandement important mit le comble à sa réputation militaire. L'armée, pressée par le manque de vivres, marchait à grandes journées, continuellement harcelée par les bandes régulières portugaises, par des corps innombrables de paysans, et par l'armée anglaise, qui avait quitté ses lignes pour se mettre à sa poursuite.

La retraite commença le 4 mars, du point de Thomar. Wellington n'atteignit l'arrièregarde qu'à Pombal. Le 10, les Anglais s'emparèrent du village, et, malgré l'approche de la nuit, s'avançaient avec beaucoup d'audace, croyant pouvoir tout entreprendre sur une armée qui se retirait.

Le maréchal fit charger les Anglais dans le village la baïonnette au bout du fusil, en ordonnant à ses aides-de-camp de se mettre à

la tête. Les Anglais regagnèrent leurs lignes avec beaucoup de précipitation; dès-lors ils mirent plus de réserve dans leurs attaques.

Le lendemain 11, toutes les forces angloportugaises s'étaient réunies. Le maréchal voulut les connaître et les arrêter pendant 24 heures. Il choisit son terrain à Redinha. Wellington employa toute la journée à former ses colonnes pour attaquer 4,000 hommes: il fut attendu jusques à la baïonnette; chaque fois qu'une de ses colonnes s'avançait un peu trop, le maréchal la faisait charger, et la colonne suspendait sa marche, étonnée de tant d'audace et d'une si grande précision. Il fut enfin forcé de céder à l'ennemi qui l'entourait de tous côtés: c'est à cette occasion qu'un de ses aides-de-camp vint lui dire qu'une forte colonne s'avançait sur sa gauche et allait lui couper sa retraite par le défilé qui était derrière lui.... « Je la vois, dit-il, qu'on lui tire » encore quelques coups de mitraille; il lui » faut cinq minutes pour arriver. »

La nuit couronna cette belle résistance, que les Anglais eux-mêmes ont admirée. Le lendemain 12, les mouvemens habiles du maréchal empêchèrent l'armée ennemie de rien tenter. Le maréchal Ney passa la nuit à deux lieues de Redinha. Le lendemain 13, toutes

les forces anglaises attaquèrent cette faible arrière-garde, et ne purent jamais l'entamer. Elle les attendit à chaque position, et continua à se retirer par échelons jusques à Foz de Aronce, où, le 15, l'ennemi la rejoignit pour la dernière fois, et fut encore obligé de s'arrêter. Ney y fit un séjour de 24 heures, pour le braver, et donner le tems à la masse de l'armée de filer sur l'Espagne.

Cette retraite est l'un des plus beaux faits d'armes du maréchal Ney: elle sauva l'armée de Portugal; les ennemis l'ont louée avec beaucoup de franchise. L'arrière-garde protégea constamment le gros de l'armée; elle ne perdit point de canon, pas un fourgon militaire; l'ennemi ne recueillit que des blessés, ou quelques déserteurs.

C'est après cette retraite, en arrivant à Celorico, que la mésintelligence entre Ney et Masséna éclata visiblement: Ney mit sa franchise et sa précipitation ordinaire dans la discussion. Masséna lui ordonna de quitter l'armée, et d'attendre en Espagne les ordres de l'empereur, auquel il rendait compte de son insubordination. Des officiers furent envoyés de part et d'autre. Bonaparte écouta tout le monde, et, sans prononcer publiquement, il réprimanda les deux maréchaux. Masséna fut

remplacé par le duc de Raguse. Ney fut envoyé à Boulogne, et Wellington ne tarda pas à s'apercevoir que le général de l'arrière-garde de l'armée de Portugal n'était plus vis-à-vis de lui.

Dans toute cette guerre, Ney fit assez peu pour sa gloire militaire, mais il ne la perdit pas; on citera toujours cette retraite comme un modèle d'exécution et de fermeté. Quant à son administration dans les pays soumis à ses ordres, Ney fut toujours brusque, mais indulgent et bon. Il ne vécut de rations que dans les lieux où il n'y avait pas de marché public. On ne lui reproche aucune rapine : il ne s'occupait que de la guerre. Le seul tort qui puisse blesser sa mémoire, c'est d'avoir plus d'une fois fermé les yeux sur l'indiscipline de ses soldats, et même sur l'avidité de ses propres domestiques : « C'était (nous dit un officier très-distingué attaché à son étatmajor en Espagne, et auquel nous devons une foule de renseignemens précieux sur la vie privée du maréchal et sur ses opérations militaires),* «< c'était un homme unique sur le » champ de bataille, mais singulièrement fai

* Voyez, aux pièces justificatives, la lettre de cet officier supérieur, No Jer

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