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Toutefois la nation, et voilà le vice essentiel de la constitution de Hongrie, ne consistait que dans les deux grands corps aristocratiques, la noblesse et le clergé ; la portion utile et laborieuse de la société, les bourgeois et les paysans,n'avaient presque aucun droit, aucune influence dans les affaires publiques; ils étaient étrangers à tout, excepté au poids des taxes; les nobles étaient exempts de toutes les charges et taxes publiques, qui, pesaient en entier sur les bourgeois et les paysans.

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De tout temps, la diète eut des séances périodiques: d'abord elles durent avoir lieu chaque année; elles furent plus tard déclarées triennales; mais depuis 1764 jusqu'en 1790, la diète n'avait point été convoquée....

Telles étaient les bases de la constitution de Hongrie, lors que Joseph II tenta d'y introduire des lois, une administration et des usages nouveaux.

Joseph II n'était pas hongrois; il fut mal vu par la nation. La noblesse et le clergé étaient puissans, et il voulait saper les priviléges des prêtres et des nobles. Il cherchait à s'appuyer sur la masse des citoyens ; mais les bourgeois étaient dégradés et les paysans dans l'esclavage: d'ailleurs les uns et les autres méprisaient les gouvernemens allemands. Joseph connaissait toutes ces circonstances; mais l'Europe était en paix, et il n'en suivit pas moins ses plans de réforme. En un mot, son règne fut une lutte continuelle entre le despotisme et l'aristocratie.

La première faute de l'empereur fut de se soustraire sans doute pour éviter de prononcer le fameux serment à la cérémonie du couronnement, insignifiante en ellemême, mais à laquelle les Hongrois tenaient par-dessus tout. « Personne, parmi eux, dit un ancien auteur, n'est censé souverain légitime qu'après avoir ceint la couronne envoyée de Rome par ordre du ciel à Etienne; premier roi de Hongrie; cette couronne est considérée comme sacrée,

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et conservée avec autant de soin que si le salut et la religion de la Hongrie y étaient attachés » (1).

L'endroit où on la conservait était fixé par la diète; et pour la déplacer il fallait un décret de cette assemblée; la diète nommait ses gardiens qui faisaient le serment de ne jamais la faire voir à qui que ce fût sans un ordre du souverain et des états, et de la défendre jusqu'à leur dernier soupir. Quel dut donc être encore le scandale et l'indignation, lorsque l'empereur dépouilla la Hongrie de cette antique couronne et la fit transférer à Vienne; aussi Joseph apprit-il par la suite qu'il est des préjugés qu'il faut quelquefois respecter (2).

Cependant ces mesures n'étaient que le prélude de réformes plus importantes. « La première frappa sur la division du royaume en comtés, qui avaient l'administration du gouvernement et de la police, présidés par des comtes, vicomtes, gouverneurs, et autres officiers subalternes. Joseph forma de la Hongrie dix cercles, à chacun desquels il attacha pour chef un commissaire royal. Cette innovation n'était point de petite importance; elle enlevait à la noblesse un emploi honorable, héréditaire jusqu'alors dans un grand nombre de familles, et dont toute l'influence allait être désormais entre les mains du souverain. »

Rien ne pouvait être plus contraire aux vues de l'empereur que la servitude des paysans dont il attendait toutes ses res

(1) Inchofferus.

(2) Les Hongrois ont leur couronne, Angeli monitu missa; nous avons la Sainte-Ampoule, apportée du ciel par une colombe, pour sacrer aussi notre premier roi ; l'un vaut bien l'autre; il y a cependant une différence à remarquer: c'est qu'aucun auteur contemporain ne parle du miracle opéré en faveur du roi Franc. Au reste, il serait facile de convaincre les incrédules; car, n'estil pas perpétuel le miracle par lequel l'huile renfermée dans une phiole assez petite pour être voiturée par une colombe du ciel jusqu'à nous 9 a pu, sans se consommer, oindre le front de tant de rois. Nos pères n'en ont point douté.

TOME IV.

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sources, dans le cas où il aurait réussi dans l'exécution de son plan de réforme. La suppression de la servitude de la glèbe, fut proclamée en 1785, époque non moins favorable que celle de 1764, à la liberté des paysans.

Mais ce changement n'étant fondé que sur une simple ordonnance, sans l'intervention de la diète, il fut regardé comme arbitraire, et comme une usurpation du droit des propriétaires du sol.

Joseph n'en poursuivit pas moins l'exécution de ses projets; et ses ordonnances devinrent de plus en plus arbitraires. Plusieurs districts de Hongrie parlent une langue particulière; il ordonna qu'après le terme de trois ans, tous les acteş publics seraient écrits en Allemand; que ceux qui occuperaient alors des emplois, seraient destitués s'ils ne parlaient et n'écrivaient cette langue. « Un vieux Magyar, dit Cantwel, obligé d'apprendre, et particulièrement la langue allemande! Cette ordonnance dut leur paraître plus terrible qu'une invasion des Turcs. »

Le réglement sur la taxe des terres vint encore irriter la noblesse jusqu'alors cette taxe n'avait porté que sur les propriétés de cette classe de citoyens qu'on nommait Plebs; Joseph voulut que toutes les terres, sans distinction de pos sesseurs, fussent soumises à la même loi, et payassent en proportion de leur valeur et de leur fertilité.

Les réformes de Joseph s'étendirent aussi sur les croyances religieuses: il professa une tolérance extrême pour le protestantisme; et commença ainsi à mécontenter le clergé catholique, qu'il eût été prudent de ménager. Enfin, il s'empara de plusieurs églises qu'il consacra à des usages utiles, mais autres que ceux du culte; il supprima des monastères et des couvents, chose sans doute peu utile à la prospérité de l'état; mais par là il s'aliéna la plupart des catholiques.

Les villes éprouvèrent aussi l'effet des mesures générales il supprima une partie de leurs priviléges, et irrita ainsi successivement les nobles, le clergé et les bourgeois.

Tout le tort de Joseph Il fut trop de précipitation. Je me trompe; il y eut plus que de la précipitation, il y eut de l'imprudence; et si Joseph croyait pouvoir impunément saper les fondemens de la constitution hongroise en employant le bayonnettes, il devait au moins ménager soigneusement cet argument irrésistible; mais il en fut autrement; et Joseph, tout en poursuivant le cours de ses réformes, s'engagea sans nécessité dans une guerre contre les Turcs. Les réquisitions arbitraires fatiguèrent tous les peuples soumis à la domination autrichienne la Hongrie surtout se plaignit hautement; les griefs se multiplièrent; et, après avoir médité jour et nuit, et si long-temps dans l'espoir de faire le bonheur de ses peuples, Joseph fut obligé de céder aux plaintes qui devenaient chaque jour plus pressantes : il publia en 1790 une révocation de ses nouvelles institutions; et vit ainsi échouer tous ses efforts avant le terme de sa carrière. Il put, du bord de son tombeau, entendre les malédictions de ses peuples, châtiment cruel, pour un roi bien intentionné; et qui doit apprendre aux souverains qu'il ne faut pas se jouer de l'opinion et des vœux des nations; et que les lois même les plus sages, ne doivent jamais être imposées arbitrairement.

S V.

Depuis la mort de Joseph II, jusqu'à nos jours. (1790-1820.)

Lorsque la nouvelle de la mort de Joseph II se répandit, le peuple, en quelques endroits, brûla ses édits au pied d'une potence; c'était avertir son successeur des ménagemens qu'il avait à garder envers ses sujets, dont la plupart avaient même conçu le projet de se délivrer de la domination autrichienne. Léopold fut plus prudent que son père, il écouta toutes les plaintes; il satisfit tous les mécontens. «Nous avons vu enlever la couronne sacrée de ce royaume,

» lui disaient les représentans du comté de Neitra; nous » avons vu enlever au culte religieux ses églises, aux lois >>> leur force, aux pères leurs enfans, à la nation son langage, » au royaume ses priviléges, aux morts leur sépulture. » Nous avons vu de vils flatteurs produire leurs plans fu» nestes, où ils n'oubliaient rien de ce qui pouvait contribuer » à la ruine du royaume. Nous avons vu profaner les vases » sacrés; détruire le respect de la prééminence; avilir le >> pouvoir du propriétaire du sol, et corrompre l'instruction » de la jeunesse. Nous avons vu des hommes instruits, qui » avaient bien mérité de leur patrie, chassés de leurs emplois » et remplacés par des étrangers, par des hommes sans nais»sance, sans principe, sans probité, sans expérience, et dont tout le mérite consistait à savoir parler l'Allemand. > Nous avons vu de nos propres compatriotes, exerçant des » emplois publics, s'engager par serment à saper la liberté » de leur pays; nous les avons vus entrer militairement dans >> nos greniers et dans nos caves, enlever nos grains, nos >> bestiaux et nos enfans, sans considérer ni la loi, ni notre >> commune origine. Nous avons vu exagérer ridiculement » la fertilité du sol engraissé du sang de nos ancêtres, afin » de justifier le vol de nos dépouilles. Nous avons vu ca» dastrer arbitrairement notre pays, et répandre pour cette » opération un argent immense parmi des individus de >> toutes les nations qui dévoraient le produit de nos travaux, » de nos sueurs et de notre sang.

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Rien ne peut mieux peindre l'impression produite sur les Hongrois, et leur aversion pour le nom allemand, que l'ivresse, on pourrait dire le fanatisme avec lequel ils revinrent à leurs costumes nationaux : tous reprirent les moustaches qu'une partie de la nation avait quittées sous le règne de Joseph.

La haine contre les Allemands avait pris tant de force, que quelques-uns prétendirent que, Joseph n'ayant pas été couronné, la maison d'Autriche avait perdu ses droits au

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