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» pour fomenter les divisions ou pour les éteindre, pour ap» puyer les projets de nos rois ou pour les contredire, pour opprimer leurs ennemis ou pour favoriser leurs créatures. » C'est par eux qu'ils soumettent tout à leurs sentimens, et >> qu'ils viennent à bout de ce qu'ils ne pourraient, ni n’o» seraient faire eux-mêmes, sans encourir la jalousie des » mauvais citoyens, ou l'indignation de ceux qui aiment » véritablement leur patrie.

Rien ne serait sans doute plus avantageux que la puis»sance des nonces, telle qu'on eut d'abord dessein de l'é

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tablir, ils ne s'occuperaient qu'à entretenir, entre les rois » et le peuple, une intelligence si parfaite que l'autorité royale ne penchât point vers la tyrannie, ni la liberté påpulaire vers la licence; mais les passions l'emportent sur » la justice, et les intérêts particuliers sur le bien de l'état; l'imprudence prévaut sur le bon sens, l'ignorance sur le savoir, la présomption sur la sagesse; les plus bruyans, les plus hautains, les plus colères font taire la raison et en imposent au mérite; de-là, les troubles, les séditions, les » guerres civiles, l'oppression de la liberté, et, dans le sein » même de la république, presque autant de républiques dif» férentes, qui, aisées à détruire les unes par les autres, » semblent annoncer la ruine entière de celle où elles se sont » formées et que l'on reconnaît à peine, en la voyant sans force, sans défense et presque sans sujets (1).

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La suite des événemens nous montrera la justesse de quelques-unes de ces observations; et nous allons voir se développer successivement les formes et les vices de cette constitution par laquelle un roi décoré d'un vain titre se trouvait placé au milieu d'une république de nobles et d'un peuple d'esclaves.

Jagellon ou Uladislas Ier eut pour successeur Uladislas II;

(1) Histoire générale de Pologne, par M. de Solignac.

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Casimir IV, frère de ce dernier, mourut en 1492, après avoir hattu les chevaliers de l'ordre teutonique, dans plúsieurs occasions; mais ce succès doit être attribué plutôt au courage des troupes, qu'aux talens du roi.

Jean Albert et Alexandre, l'un et l'autre fils de Casimir IV, héritèrent successivement du sceptre de leur père; le choix des Polonais en faveur d'Alexandre fut déterminé par cette considération qu'il était déjà duc de Lithuanie, et qu'en montant sur le trône de Pologne, les liens qui unissaient la Lithuanie au royaume, et qui étaient près de se rompre, se trouvaient fortement resserrés. Il fut convenu que les Lithuaniens et les Polonais ne feraient qu'un seul et même peuple soumis à un même roi ; que ce roi serait toujours élu dans la Pologne, que les grands et les nonces de Lithuanie concourraient àlle choisir; que les deux nations n'auraient plus que les mêmes conseils, des mêmes prérogatives, les mêmes intérêts, les mêmes monnaies; que tout serait commun entre elles, à cela près qu'elles conserveraient chacune dans leurs tribunaux, les formes de procédure et les règles de droît qui leur étaient particulières. Toutefois cette réunion ne fut consommée qu'en 1569, époque à laquelle on reconnut formellement que la Lithuanie était incorporée à la Pologne, indépendamment des droits antérieurs et personnels que le roi régnant pouvait avoir sur cette province (1).

Sigismond premier succéda à Alexandre, et lui-même eut pour successeur son fils Sigismond Augustę.

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L'esprit de liberté et d'indépendance, qui animait les nobles Polonais, fesait chaque jour des progrès nouveaux; 'on peut s'en former une juste idée, en lisant quelques-uns des discours prononcés par les nonces dans la diète et même

(1) Voy. Code des lois, vol. 2, an 1569, pag. 766 et 770, § 4; et pag. 775 et 776.

les conseils que le roi Sigismond donna à son fils avant de mourir: « N'affectez pas, lui dit-il, de gouverner en souverain absolu des peuples que leurs franchises rendent l'ar» bitre de votre conduite et même le juge de vos actions. » Vous ne devez les régir que par la sagesse de vos conseils, » ni leur rien commander qu'en vertu des loix qu'ils ont » faites eux-mêmes. Pour qu'on respecte vos ordres, sou» venez-vous d'obéir vous-même à la constitution, et par conséquent à la nation; car votre pouvoir sur elle est fondé » sur le soin que vous prendrez de conserver ses priviléges (1).:

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Ce langage, dans la bouche d'un roi, annonce quelles étaient les prétentions de ses sujets.

On peut citer un exemple qui montre, d'une manière plus directe, quel esprit d'indépendance.régnait parmi les nobles polonais.

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A l'avènement de Sigismond Auguste, de graves débats s'élevèrent au sujet de son mariage avec la princesse Radziwill. Les sénateurs et les nobles représentaient au roi que ce mariage, fait sans l'aveu de son père et sans le consentement de la diète, devait être annulé pour l'intérêt de l'état, afin qu'une nouvelle union plus avantageuse pût être contractée par lui. Le roi aimait la femme qu'on voulait lui enlever il résista aux prières et aux menaces, et enfin ordonna à l'un des sénateurs qui continuait à lui faire des représentations de se taire; alors le palatin de Brzcesia se lève et lui adresse ces paroles: « Votre majesté a-t-elle oublié à quels hommes » elle prétend donner des ordres ? nous sommes Polonais » et vous savez que si les Polonais honorent les monarques » qui respectent les lois, ils humilient la hauteur de ceux qui les méprisent. En manquant à vos sermens, prenezgarde de nous forcer à enfreindre les nôtres. Le roi votre père prenait notre avis dans la plupart des occasions, et il

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(1) Cromer, pag. 718 et 706.

TOME IV.

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dépend de nous d'agir de manière à vous obliger désor» mais à écouter les vœux d'une république dont vous sem⚫blez oublier que vous êtes seulement le premier citoyen.

Des remontrances si vigoureuses n'étaient pas propres à vaincre la résistance du roi: sans doute le sujet qui parlait ainsi oubliait le respect dû au monarque; mais en blàmant l'inconvenance des expressions, il est utile de remarquer que c'est au seizième siècle qu'on professait de pareils principes. On voit aussi qu'à cette époque le nom de république était donné à la Pologne, sans que cependant aucune loi lui attribuât ce titre plutôt que celui de royaume.

SIV

Depuis l'extinction des Jagellon jusqu'à l'origine du liberum veto.-1572 à 1652.

Sigismond Auguste mourut en 1572; avec lui s'éteignit la race des Jagellon. Dès cette époque, la couronne de Pologne qui, ainsi qu'il a été dit, était en même temps élective et héréditaire, devint purement élective. Le trône avait été jusqu'alors considéré comme le patrimoine d'une famille, qui ne pouvait en être privée, mais qui ne pouvait en jouir qu'avec le consentement de la diète. A l'extinction de la dynastie régnante, la nation, rentrant dans tous ses droits, se réserva de confier le sceptre aux mains qu'il lui plairait de choisir, elle le donna et le vendit quelquefois, toujours par des contrats particuliers et purement personnels au prince qu'elle élisait, et sans s'engager envers ses héritiers. Il fut arrêté que toute la nation, c'est-à-dire toute la noblesse prendrait part à l'élection du roi, qu'elle se réunirait à cet effet, dans la plaine de Prag (1), près de Varsovie; et, par une singularité bien remarquable, tous les nobles se rendirent en armes à la diète

(1) Plus tard, les diètes d'élection se sont tenues en-deçà de Varsovie, dans une vaste campagne appelée Wola.

d'élection, en telle sorte que l'assemblée formait un véritable camp, que les délibérations les plus importantes, et l'acte politique le plus solennel eurent lieu au milieu du tumulte des armes et sous l'influence des sabres.

Henri, duc d'Anjou, fils de Catherine de Médicis, et depuis roi de France sous le nom de Henri III, fut élu roi de Pologne en 1573. Son règne d'une année fut tel qu'on devait l'attendre de ce prince faible et indolent. Il quitta la Pologne aussitôt qu'il eut connaissance de la mort de son frère Charles IX; dans sa fuite précipitée et secrète il parut plutôt un criminel qui échappe au supplice qu'un roi qui renonce à son trône. Poursuivi vivement jusqu'aux frontières par ses sujets qui sans doute craignaient les troubles d'une nouvelle élection, plus qu'ils ne regrettaient un pareil monarque, il arriva sur les terres de l'empire au moment où il allait être atteint par le comte de Tanchin. Là il promit de revenir en Pologne, se sentant, dit-il, les épaules assez fortes pour soutenir l'une et l'autre couronne.

A l'avénement de ce prince, les Polonais avaient exigé de lui, suivant l'usage, la promesse de gouverner l'état conformément aux lois et aux coutumes; mais en outre ils lui firent signer les conventions sous lesquelles ils lui accordaient la couronne. On devine qu'elles étaient favorables aux nobles et restrictives de l'autorité royale. La dernière clause surtout était remarquable, elle dégageait les sujets du serment de fidélité dans le cas où le roi lui-même enfreindrait ses promesses; elle portait : « Si nous violons (Dieu veuille nous »préserver de ce malheur !) les lois, la liberté, les articles » et les conditions, ou que nous n'ayons point exécuté ce qui est prescrit, nous voulons que tout citoyen de l'une et » de l'autre nation soit dégagé du serment d'obéissance et de »fidélité envers nous.» Tel était cet article appelé de non præstandá obedientiâ, qui consacrait ce principe de droit politique si vivement controversé depuis qu'entre les gouvernans et les gouvernés il existe des obligations et des droits

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