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un commerce interlope, au peuple qui ne jouit pas de la faculté de faire imprimer, sans payer des droits d'auteur, les ouvrages publiés sur son territoire.

Il est une autre considération qui probablement n'a pas été sans influence sur les mesures qu'on a cru devoir prendre sur les productions littéraires. En général, toute valeur produite peut être consommée; tout ouvrage auquel l'industrie humaine a donné naissance, peut périr faute de soins. Les propriétés immobilières sont susceptibles de dégradation et de destruction comme les autres; on ne les conserve qu'autant qu'on répare les dommages que le temps et la jouissance leur font subir. Une ferme qu'on épuiserait par une suite non interrompue des mêmes récoltes, et de laquelle on ferait disparaître les bois, les bâtimens, les troupeaux, les instrumens d'agriculture, en un mot, tous les objets que l'industrie a formés, perdrait la plus grande partie de sa valeur. Si, au bout d'un temps déterminé, toutes choses sortaient du rang des propriétés privées, pour tomber dans le domaine public, elles seraient presque entièrement détruites, quand le terme prescrit par les lois arriverait. Le pays le plus florissant descendrait ainsi au niveau des contrées soumises aux gouvernemens les plus despotiques. La garantie perpétuelle donnée aux pro

priétés est donc une des principales causes de leur conservation.

Les compositions littéraires font exception à la règle générale : elles ne s'usent ni par l'usage ni par le temps. Quand un écrivain a publié un ouvrage, il n'a plus le moyen de le dégrader ou de le faire disparaître. Si l'autorité publique ne lui en garantit la jouissance que pour un certain nombre d'années, on n'a pas à craindre qu'il profite de ce temps pour l'épuiser ou pour en détruire la valeur. Le seul moyen qu'il ait d'en jouir, est d'en multiplier les copies et de les répandre; et plus le nombre des copies augmente, moins il est à craindre que l'ouvrage ne périsse. On n'a donc pas eu, pour garantir les propriétés littéraires, les mêmes raisons que pour garantir les autres genres de propriétés.

Il faut ajouter que la plupart des gouvernemens modernes, sortis du régime féodal, n'ont, pendant long-temps, accordé quelque considération qu'aux propriétés féodales, c'est-à-dire aux fonds de terre. Le mépris qu'ils avaient pour tous les genres d'industrie, se répandait sur les produits du travail, sur les propriétés mobilières, et sur les hommes dont elles étaient la principale richesse. Les compositions littéraires étant les derniers fruits de la civilisation, ont été moins respectées encore: il ne s'est pas trouvé de gouvernement qui les ait

mises franchement au rang des propriétés. Ce qu'on nomme, en effet, propriété littéraire n'est pas autre chose qu'une simple jouissance de quelques années. Cela est si vrai, que celui qui proposerait d'appliquer à toutes les créations de l'industrie humaine, les règles qu'on suit à l'égard des ouvrages littéraires, serait considéré comme aspirant à la destruction de toute propriété, et au renversement de l'ordre social.

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Si, comme on l'assure, les propriétés littéraires n'étaient privées de garantie, après un certain temps de jouissance, que dans des vues d'intérêt public, et pour favoriser la propagation des lumières, il est difficile de voir pourquoi l'on n'agirait pas, à l'égard des propriétés de ce genre, comme on agit à l'égard de toutes les autres. Lorsque, pour faire un canal, une grande route ou une place de guerre, on a besoin de faire tomber dans le domaine public, la maison ou le champ d'un particulier, on commence par lui en payer la valeur, ou par lui donner une propriété équivalente. On croirait commettre une injustice criante, si on le dépouillait dans l'intérêt du public, sans rien lui donner en échange; la spoliation commise au profit de plusieurs millions d'individus n'est pas plus légitime, en effet, que la spoliation exécutée au profit d'un seul. Elle devrait même être plus odieuse, d'abord parce qu'il est plus difficile de

s'en garantir, et, en second lieu, parce que l'indemnité à payer pour obtenir une propriété privée, est infiniment petite, quand elle est répartie entre une immense multitude de personnes. Mais comment la spoliation qu'on trouverait injuste quand il s'agit d'un champ ou d'une maison, devient-elle juste quand il est question d'un ouvrage littéraire? Pourquoi l'indemnité qu'on trouve juste dans un cas, ne le serait-elle pas dans l'autre? Les travaux des écrivains qui ont éclairé le monde, de Descartes, de Bacon, de Francklin, seraient-ils moins dignes de protection et de respect que travaux d'un fabricant de chandelles?

les

Il est très-vrai que les ouvrages littéraires produits et publiés chez une nation, ne jouissent d'aucune protection chez les autres. Les libraires français, par exemple, réimpriment et vendent, sans payer aucun droit d'auteur, les écrits publiés en Angleterre, et, de leur côté, les libraires anglais réimpriment, sans rien payer, les ouvrages publiés en France. Il résulte de là que, lorsqu'un ouvrage est publié, la nation qui garantit à l'auteur la faculté de le vendre exclusivement, est traitée moins avantageusement, relativement à cet ouvrage, que les nations qui ne donnent à l'auteur aucune garantie. Il en résulte encore que la garantie donnée à la propriété littéraire est un stimulant pour l'introduction des ouvrages publiés

à l'étranger, et pour lesquels les libraires n'ont eu rien à payer aux auteurs. Ces objections, contre la garantie de la propriété littéraire, sont plus fortes en apparence qu'en réalité.

L'introduction frauduleuse des ouvrages réimprimés à l'étranger, dans la vue de ne payer aucun droit aux auteurs, ne peut nuire en réalité qu'à ceux-ci. Tout libraire qui achète un ouvrage pour le livrer à l'impression, sait d'avance que cet ouvrage sera réimprimé à l'étranger s'il est bon, et qu'un certain nombre d'exemplaires sera introduit frauduleusement dans le pays. Il fait ses calculs en conséquence; il paie d'autant moins le manuscrit, qu'il a plus de chances de perte à courir. C'est donc exclusivement sur l'auteur que tombe le dommage causé par la contrefaçon. Mais de ce qu'on ne peut pas empêcher toutes les atteintes dont la propriété littéraire peut être l'objet, s'ensuit-il qu'on doit la priver de toute garantie?

Les gouvernemens, pour protéger l'industrie des imprimeurs, des relieurs et des libraires, prohibent les ouvrages imprimés ou reliés à l'étranger; ils ne craignent pas de nuire, par ces prohibitions, au commerce ou à l'instruction des peuples qui leur sont soumis. Si donc ils refusent des garanties à la propriété littéraire, ce n'est pas en considération des contrefaçons qui peuvent être exécutées à l'étranger. Il n'est pas plus difficile de protéger

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