Page images
PDF
EPUB

présentations au profit des auteurs. Les héritiers ou cessionnaires des auteurs furent déclarés, par la même loi, propriétaires de leurs ouvrages durant l'espace de cinq années, à compter de la mort de l'auteur. Cette loi, qui garantissait aux auteurs dramatiques que leurs ouvrages ne seraient pas représentés pendant leur vie, sans leur consentement, ni cinq années après leur mort, sans le consentement de leurs héritiers ou cessionnaires, ne leur donnait aucune garantie relativement à l'impression et à la vente de ces mêmes ouvrages. Sous ce rapport, les compositions dramatiques n'étaient ni plus ni moins protégées que toutes les autres productions littéraires (1).

En 1795, un projet ayant été présenté à la Convention nationale, dans l'intérêt des auteurs et de

(1) Le décret impérial du 6 juin 1806, qui détruisit la liberté que chacun avait d'ouvrir un théâtre et d'y faire représenter toutes sortes de pièces, respecta, sous d'autres rapports, les droits garantis aux auteurs par la loi du 13 janvier 1791. L'article 10 déclare que les auteurs et les entrepreneurs seront libres de déterminer entre eux, par des conventions mutuelles, les rétributions dues aux premiers par sommes fixes ou autrement. L'article 11 charge les autorités locales de veiller strictement à l'exécution de ces conventions. L'article 12 ajoute que les propriétaires d'ouvrages dramatiques posthumes ont les mêmes droits que l'auteur, et que les dispositions, sur la propriété des auteurs et sa durée, leur sont applicables, ainsi qu'il est dit au décret du 1° germinal an XIII,

leurs familles, un député, M. Lakanal, en fit le rapport en ces termes :

« De toutes les propriétés, dit-il, la moins susceptible de contestation, celle dont l'accroissement ne peut ni blesser l'égalité républicaine, ni donner d'ombrage à la liberté, c'est, sans contredit, celle des productions du génie; et si quelque chose peut étonner, c'est qu'il ait fallu reconnaître cette propriété, assurer son libre exercice par une loi positive; c'est qu'une aussi grande révolution la nôtre ait été nécessaire pour nous ramener sur ce point comme sur tant d'autres, aux simples élémens de la justice la plus commune.

que

» Le génie a-t-il ordonné dans le silence un ouvrage qui recule les bornés des connaissances humaines? Des pirates littéraires s'en emparent aussitôt, et l'auteur ne marche à l'immortalité qu'à travers les horreurs de la misère. Eh! ses enfans!... Citoyens, la postérité du grand Corneille s'est éteinte dans l'indigence!

[ocr errors]

L'impression peut d'autant moins faire des productions d'un écrivain une propriété publique, dans le sens où les corsaires littéraires l'entendent, que l'exercice utile de la propriété de l'auteur ne pouvant se faire que par ce moyen, il s'ensuivrait qu'il ne pourrait en user sans la perdre à l'instant

même.

» Par quelle fatalité faudrait-il que l'homme

de génie, qui consacre ses veilles à l'instruction de ses concitoyens, n'eût à se promettre qu'une gloire stérile, et ne pût pas revendiquer le tribut d'un noble travail. »

A la suite de ce rapport, la Convention nationale rendit un décret portant que les auteurs d'écrits en tout genre, les compositeurs de musique, les peintres et dessinateurs, qui faisaient graver des tableaux ou dessins, jouiraient, durant leur vie entière, du droit exclusif de vendre, faire vendre, distribuer leurs ouvrages, dans le territoire de la république, et d'en céder la propriété en tout ou en partie; le même droit fut garanti à leurs héritiers ou cessionnaires durant l'espace de dix ans après la mort des auteurs. Enfin, le même décret déclara que les héritiers de l'auteur d'un ouvrage de littérature ou de gravure, ou de toute autre production de l'esprit ou du génie qui appartiennent aux beaux-arts, en aurait la propriété exclusive pendant dix années. Ce décret est encore en pleine vigueur (4).

Si la Convention nationale avait reconnu, comme son rapporteur, qu'un auteur est propriétaire de ses ouvrages au même titre qu'un homme industrieux est propriétaire des produits de son travail, elle se serait bornée à donner des garanties aux

er

(1) Loi des 19 et 24 juillet 1793. art. 1°r.

propriétés de ce genre, et n'aurait pas mis des limites à la faculté d'en jouir ou d'en disposer. Il est, en effet, dans la nature de la propriété d'être perpétuelle et absolue, comme il est dans la nature de l'usufruit d'être temporaire et limité. Déclarer qu'une personne et ses héritiers ou successeurs auront à perpétuité la jouissance ou l'usufruit d'une chose, ce serait en réalité leur en attribuer la propriété. Par la même raison, déclarer qu'une personne aura pendant un temps déterminé la propriété de certaines choses, et qu'à l'expiration de ce temps elle les rendra tout entières (salvá rerum substantia), c'est en réalité ne lui reconnaître qu'un simple usufruit.

On se serait exprimé d'uue manière bien plus exacte, si l'on avait dit que les compositions littéraires, les compositions musicales, et les gravures ou dessins, tomberaient au rang des choses communes après leur publication; mais que néanmoins les auteurs en auraient l'usufruit pendant leur vie, et leurs héritiers pendant dix ans. En mettant ainsi le langage en harmonie avec les faits qu'on établissait, on aurait vu, sur-le-champ, que les auteurs d'ouvrages littéraires étaient placés dans un cas. d'exception, et que, pour eux, la propriété n'était pas réellement reconnue (1).

(1) Le langage mensonger que je signale ici se trouve dans

Il était fort difficile, au reste, que les principes sur la propriété littéraire fussent examinés et débattus avec soin, lorsque la Convention nationale fut appelée à s'en occuper. Une partie de la France était alors envahie par les armées des puissances coalisées; la guerre civile était allumée dans les départemens de l'Ouest, et les factions se déchiraient dans l'intérieur. Comment, dans de telles circonstances, une assemblée, entre les mains de laquelle résidaient tous les pouvoirs, qui était chargée de tous les soins de l'administration, et qui avait à rétablir la tranquillité intérieure, et à garantir l'indépendance nationale, aurait-elle pu se livrer à des discussions philosophiques sur des droits de propriété ?

La loi du 19 juillet 1793 avait déclaré que les ouvrages publiés du vivant d'un auteur, tomberaient dans le domaine public dix ans après sa mort, et que l'héritier d'un écrivain aurait, pendant dix ans, la propriété des ouvrages qu'il recueillerait à titre de succession. Là-dessus, une difficulté s'éleva: il s'agissait de savoir si, lorsque des ou

tous les ouvrages de jurisprudence anglais, qui parlent du droit des auteurs. — Je dis que les compositions littéraires et autres conceptions de l'esprit tombent au rang des choses communes, et non au rang des propriétés publiques. Il est évident, en effet, que des choses dont chacun peut s'emparer dans tous les pays sont communes à tous comme l'air et la lumière.

« PreviousContinue »