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sa terre ou de sa maison, qu'en le livrant à l'industrie.

Si les valeurs économisées étaient employées à mettre en culture une terre improductive, le propriétaire rendrait à l'humanité le genre de services que j'ai précédemment décrits, c'est-à-dire qu'il créerait des moyens d'existence pour un certain nombre de familles. S'il les employait à établir une manufacture, il rendrait des services analogues: il ouvrirait un débouché au travail d'un certain nombre d'ouvriers; il leur donnerait le moyen d'échanger leurs services contre des choses qui leur sont nécessaires pour vivre.

Ses bienfaits ne se bornent point là; ils se répandent sur tous ceux qui lui fournissent des matières premières, ou qui vendent des subsistances, soit à lui-même, soit à ses ouvriers. Les produits agricoles ne se vendent bien, et les terres n'ont une grande valeur, que dans les pays où l'industrie manufacturière et le commerce ont fait de grands progrès. Ce sont les fabricans et les commerçans de la Grande-Bretagne, qui ont donné aux terres de ce pays une valeur considérable, et augmenté la fortune de ceux à qui elles appartiennent. Si les premiers disparaissaient avec leurs capitaux, les seconds perdraient, par ce seul fait, une grande partie de leurs richesses: les terres n'auraient pas plus de valeur chez eux qu'elles n'en ont en Pologne.

Les propriétés mobilières donnent à ceux qui les possèdent, une grande partie des avantages qui résultent des propriétés immobilières. Les commerçans et les manufacturiers dont la fortune consiste généralement en objets mobiliers, sont aussi bien vêtus, aussi bien logés, aussi bien nourris que les cultivateurs. Il n'est même pas rare de voir les habitans des campagnes porter envie aux habitans des villes. La principale différence qui existe entre les propriétés des premiers et celles des seconds, consiste en ce que les dernières sont sujettes à plus d'accidens.

Pendant long-temps on a donné à un genre de propriété une grande prééminence sur l'autre : les propriétaires de fonds de terre se sont presque toujours prétendus supérieurs aux propriétaires d'objets mobiliers. Ces idées de supériorité sont nées de l'esclavage et du régime féodal; elles s'affaiblissent à mesure que les peuples s'éloignent des causes qui leur ont donné naissance. Elles disparaîtront presque entièrement, quand toutes les propriétés seront également bien garanties, et que la jouissance des droits politiques aura cessé d'être un privilége, dans les mains d'une classe particulière de propriétaires.

Les propriétés qui consistent en fonds de terre ne nous sont utiles que parce qu'elles sont la source d'où sortent toutes les propriétés mobilières; si

celles-ci ne nous étaient pas garanties, celles-là ne nous seraient bonnes à rien. Quel avantage un propriétaire tirerait-il de ses champs, si, du moment que la moisson est faite, le blé qu'il aurait récolté cessait d'être respecté? A quoi ses prés seraient-ils bons, si, quand ils sont fauchés, chacun pouvait s'emparer du fourrage, ou enlever les animaux qu'il y ferait paître?

On tombe dans une erreur qui n'est pas moins grave, quand on croit élever l'industrie qui s'exerce immédiatement sur des fonds de terre, en dépréciant tous les autres genres d'industrie. Un propriétaire de terres ne tirerait aucun avantage de la plupart de ses produits, s'il ne se trouvait personne pour les rendre propres à nos usages. Que ferait-il de ses mines, si les nombreuses industries qui s'exercent sur les métaux, venaient à disparaître? Que ferait-il de ses carrières, si personne ne travaillait la pierre? des arbres de ses forêts, si personne ne les transformait en meubles, ou ne les faisait entrer dans diverses constructions? de sa laine, si personne ne la convertissait en draps? Le propriétaire de terres fournit, il est vrai, des matières premières à toutes les industries; mais il serait aussi dénué de tout qu'un sauvage, si des hommes industrieux ne mettaient pas ces matières en œuvre. Il ne peut cultiver ses champs, exploiter ses mines ou ses carrières, faire usage des

arbres de ses forêts, qu'au moyen des instrumens que des gens industrieux lui ont fournis. Il ne peut consommer ses produits qu'en les échangeant contre ceux que l'industrie et le commerce lui pré

sentent.

Les indigènes de l'Amérique septentrionale et ceux de la Nouvelle-Hollande possédaient des terres d'une immense étendue avant l'arrivée des Européens; et cependant ils n'avaient que quelques peaux de bêtes pour se couvrir, ils n'avaient pour habitations que de mauvaises huttes faites de branches d'arbres, et souvent ils étaient réduits à se nourrir de terre, d'écorces d'arbres, de vers ou de poisson pourri.

CHAPITRE XXVIII.

De quelques espèces de propriétés commerciales.

Un homme crée, par son travail, une chose propre à satisfaire ses besoins, ou à obtenir par des échanges les objets dont il manque; nous disons que cette chose lui est propre, qu'elle est sa propriété. Nous reconnaissons en lui le pouvoir d'en jouir et d'en disposer comme bon lui semble, pourvu qu'il respecte dans les autres et dans leurs biens des droits qui sont pareils aux siens.

des

Nous mettons donc certaines choses au rang propriétés, non parce que telle est la volonté de l'autorité publique, mais parce qu'elles tiennent de l'industrie humaine les qualités qui les rendent précieuses à nos yeux; parce qu'il est impossible d'y porter atteinte, sans attaquer une partie plus ou moins considérable de la population dans ses moyens d'existence; enfin, parce qu'elles cesseraient d'être formées ou conservées, si la jouissance et la disposition n'en étaient pas garanties à ceux qui les ont créés ou à qui elles ont été régulièrement transmises.

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