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en rapport avec les bénéfices que les contrefacteurs ou les débitans d'éditions contrefaites, ont cru retirer de l'exécution du délit. Les dispositions de la loi française ont moins de prévoyance et de sagesse : les contrefacteurs ou les débitans peuvent, en aggravant le délit, gagner une somme suffisante pour payer l'amende et leur assurer un bénéfice. Cela n'est pas possible, quand l'amende s'élève à mesure qu'on multiplie les exemplaires de l'ouvrage contrefait.

La disposition qui laisse au jury le soin de fixer l'indemnité due à l'auteur ou au propriétaire de l'ouvrage contrefait, est aussi plus sage que celle qui détermine cette indemnité d'une manière invariable. Une personne qui a été lésée dans sa propriété, a droit à une réparation complète du tort qui lui a été causé; mais, si l'on ne peut justement lui donner moins, elle n'a droit à rien de plus. Le contrefacteur qui aurait vendu dix mille exemplaires de l'édition contrefaite, devrait au propriétaire la valeur de tous les bénéfices résultant de la vente. Celui qui n'en aurait vendu que cinq cents, ne devrait pas être condamné à lui en payer la valeur de trois mille, lors même que l'on considérerait ce paiement comme une sorte d'amende.

La loi du 19 juillet 1793 avait imposé à toute personne qui mettrait au jour un ouvrage de

littérature ou de gravure, dans quelque genre que ce fût, l'obligation d'en déposer deux exemplaires à la bibliothèque nationale ou au cabinet des estampes de la république; celui qui n'avait pas fait ce dépôt n'était pas admis, en justice, à poursuivre les contrefacteurs ou débitans d'éditions contrefaites. Cependant, le non-accomplissement de cette obligation ne privait pas le propriétaire d'un ouvrage, de ses droits de propriété; comme la loi n'avait pas fixé de délai pour faire le dépôt, on était admis à le faire en tout temps, et du moment qu'il était effectué, on était admis à faire saisir les contrefaçons même antérieures (1).

La loi du 21 octobre 1814 a imposé à tout imprimeur l'obligation de déclarer à l'autorité publique le titre de l'ouvrage qu'il se propose d'imprimer, et le nombre d'exemplaires qu'il doit en tirer. L'omission de cette déclaration est punie de la saisie et du séquestre de l'ouvrage, et d'une amende de mille francs pour la première fois, et de deux mille francs en cas de récidive. Les exemplaires saisis sont rendus après le paiement de l'amende.

La même loi impose à l'imprimeur l'obligation d'en déposer, avant la publication, cinq exemplaires dans un des bureaux du ministère de l'intérieur,

(1) J.-B. Sirey, t. IV, 2o part. p. 15.

ou au secrétariat de la préfecture, dans les départemens. Elle punit l'omission du dépôt d'une amende de mille francs pour le premier délit, et de deux mille pour les cas de récidive; mais cette omission n'affecte en aucune manière les droits de l'auteur sur son ouvrage.

La loi anglaise, qui prescrit l'inscription du titre d'un ouvrage dans un bureau de la corporation des marchands de livres ou de papier (stationers), n'a pour objet que de donner à chacun le moyen de connaître l'époque de la publication de chaque ouvrage. La loi française, qui prescrit une obligation analogue, n'a été faite que dans un intérêt de police; la déclaration, avant l'impression, avait pour but d'attirer l'attention des agens de la police sur les ateliers de l'imprimeur. Le dépôt avant la publication avait pour objet de faciliter l'exercice d'une sorte de censure préalable (1).

(1) Le gouvernement de la restauration avait trouvé le moyen de cumuler les moyens préventifs avec les moyens répressifs. Il soumettait tous les ouvrages à la censure après l'impression, mais avant la publication, et les faisait saisir avant qu'aucun exemplaire en eût été mis en vente. Ensuite il poursuivait les auteurs, et les faisait condamner comme s'ils avaient librement publié leurs écrits. Ayant démontré l'injustice d'un tel procédé, en 1817, dans les débats d'un procès qui eut alors quelque célébrité ( Censeur européen, t. IV, p. 232 et suiv., et t. V, p. 139 et suiv. ), le gouvernement voulut, dans la même année, le faire consacrer par une loi; mais son projet fut rejeté. Du nouveau Projet sur la presse, pag. 4-12.

CHAPITRE XXXIV.

De la tendance des lois relatives à la propriété littéraire.

On a vu, dans le chapitre précédent, que les lois d'Angleterre, des États-Unis et de France, n'assurent aux auteurs qu'une jouissance temporaire de leurs ouvrages, et qu'ainsi la propriété littéraire proprement dite n'est garantie dans aucun de ces pays. Il serait superflu, par conséquent, de rechercher si elle n'aurait pas été véritablement reconnue et garantie, chez des nations moins avancées. Dans la plupart des autres États, les gouvernemens ne se bornent pas à la réduire à une simple jouissance temporaire : ils en préviennent la for

mation.

Rien ne prouve mieux que la propriété littéraire n'a été ni comprise ni garantie, même dans les pays les plus civilisés, que les différens systèmes qu'on suit à cet égard, et les variations que les lois ont éprouvées, à mesure que les lumières ont fait des progrès. Dans tous les pays, les droits d'un propriétaire, sur ses biens mobiliers ou immobiliers, sont les mêmes; il n'y a de différence que

dans les formes au moyen desquelles on en constate la transmission. Un Anglais est propriétaire d'un champ, d'une maison, d'une somme d'argent ou d'un riche mobilier, de la même manière qu'un Américain ou qu'un Français. Les droits des uns sont égaux aux droits des autres, sur les terres et sur les autres objets qui leur appartiennent, parce qu'il n'y a qu'une nature de propriété, comme il n'y a qu'une nature humaine. Pourquoi n'en est-il pas de même des droits des auteurs sur leurs ouvrages? Par la raison que ces droits ont été considérés comme une création de l'autorité publique, comme l'exercice d'un privilége, d'un monopole; tandis que les premiers sont considérés comme ayant une existence indépendante de la volonté des gouvernemens.

Les trois systèmes que j'ai exposés reposent sur la même erreur, mais ils ne sont pas cependant également mauvais; le pire des trois est celui qu'ont adopté les États-Unis d'Amérique ; celui qui existe maintenant en Angleterre, vient en seconde ligne; le moins vicieux est celui que nos lois et notre jurisprudence ont consacré.

Pour apprécier ces trois systèmes, il faut les considérer sous deux rapports: relativement aux auteurs et à leurs familles, et relativement aux autres membres de la société; il faut ensuite examiner comment ils affectent les intérêts des uns et des autres.

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