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Rien ne serait donc plus facile que de donner aux causes qui peuvent faire exécuter des travaux littéraires utiles au public, toute l'énergie dont elles sont susceptibles. Quant au danger de voir priver le public d'ouvrages qu'il lui serait utile d'obtenir à bas prix, il serait facile de le prévenir: pour cela, il ne faudrait que vouloir.

Dans ce chapitre et dans les quatre qui le précèdent, je n'ai parlé que des compositions littéraires; il est clair cependant que les vérités que j'ai exposées, s'appliquent à d'autres productions. On peut dire des compositions musicales, des dessins ou gravures, et de quelques autres objets d'art, ce que j'ai dit de quelques ouvrages de l'esprit. Si

je n'ai parlé que d'un genre de production, ce n'a

été que pour éviter des répétitions qui auraient rendu mes observations plus longues sans les rendre plus claires, Chacun peut, au reste, appliquer ce que j'ai dit, et ce qui me reste à dire sur le même sujet, à des compositions musicales ou à d'autres objets d'art.

CHAPITRE XXXVI.

Application des principes établis dans les chapitres précédens, à quelques questions de propriété littéraire.

Il existe entre les productions de l'esprit et les autres produits de l'industrie humaine quelques différences qu'il importe d'observer; car elles serviront à résoudre quelques-unes des principales questions auxquelles donne naissance la propriété littéraire.

Du moment qu'un ouvrage est livré à l'impression et mis en vente, toute personne qui en achète un exemplaire acquiert, par cela même, la faculté de s'approprier toutes les idées, tous les sentimens qui s'y trouvent exprimés ; elle a, sous le rapport de l'amusement et de l'instruction que la lecture peut donner, tous les droits qu'elle aurait, si elle avait acquis la propriété entière de l'ou

vrage.

Cette faculté de s'approprier par l'étude les sentimens et les pensées exposés dans un ouvrage rendu public par l'impression, n'appartient pas

seulement à toute personne qui en achète un exemplaire; elle appartient à tous ceux qui veulent se donner la peine d'aller en prendre lecture dans les bibliothèques où le dépôt en a été fait.

Les plaisirs ou les profits qu'on peut tirer de tout autre genre de propriété, ne peuvent pas ainsi se diviser ou se multiplier; tout avantage qu'une personne retire d'un meuble, d'une maison, d'un champ, prive généralement le propriétaire de ce meuble, de cette maison ou de ce champ d'un avantage égal; tout ce qui profite à l'un, est presque toujours perdu pour l'autre (1).

Ainsi, quoique le principal objet d'un ouvrage littéraire soit l'instruction ou le plaisir que donne la lecture, la personne qui en a la propriété, n'a, sous ce rapport, aucun avantage sur les personnes qui en ont acquis des exemplaires; il peut même arriver que, sans se dépouiller de ses droits de propriété, elle ne se soit pas réservé la disposition d'une seule copie.

Le propriétaire d'un objet matériel, d'un meuble ou d'une maison, peut faire éprouver à sa propriété tous les changemens qu'il juge convenables; il peut, sans porter atteinte aux droits de per

(1) Ces propositions reçoivent quelques exceptions. Les maisons qui environnent un beau jardin profitent des avantages de la vue et de la salubrité de l'air, sans rien faire perdre à celui qui en est propriétaire.

sonne, l'altérer ou même le détruire; il peut, selon l'expression des jurisconsultes, en user et en abuser, sans avoir à craindre aucune poursuite judiciaire.

L'auteur d'une composition littéraire, peut aussi en disposer comme bon lui semble, tant qu'il ne l'a pas publiée ; il est en son pouvoir de la modifier pour la rendre meilleure ou pire, ou même de l'anéantir complétement; quelle que soit la manière dont il en dispose, personne ne sera reçu à intenter une action contre lui.

Mais à l'instant où un ouvrage a été rendu public, et où des exemplaires en ont été vendus, il n'est plus au pouvoir de l'auteur de le détruire; il peut, dans des éditions nouvelles, corriger ses erreurs, modifier son style; mais là se borne sa puissance; du moment qu'il a lui-même cessé d'exister, son ouvrage devient invariable; la personne à laquelle il en a transmis la propriété, ne saurait ni le détruire, ni l'altérer.

Si le propriétaire d'un ouvrage rendu public, n'a la puissance, ni de l'anéantir, ni même de le modifier, et si, sous le rapport de l'instruction ou de l'amusement qu'on peut en retirer par la lecture, il n'a pas plus d'avantage que la personne qui en possède un seul exemplaire, en quoi consiste donc sa propriété? Elle consiste uniquement dans la faculté d'en multiplier les copies, et de les vendre à son profit, et dans le pouvoir d'empêcher que d'autres

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ne s'enrichissent par le même moyen. Ses droits de propriété ne sont pas, au reste, tellement inhérens à lui-même, qu'ils ne puissent en être séparés; ils sont susceptibles d'être aliénés ou transmis héréditairement, comme tout autre genre de

biens.

Il suit de ces faits que la personne à laquelle l'autorité publique garantit, pendant un certain nombre d'années, la jouissance exclusive d'un ouvrage, a pendant ce temps exactement les mêmes droits qu'elle aurait si sa propriété lui était entièrement et à jamais garantie. S'il arrivait que les propriétés littéraires fussent mises sur le rang de toutes les autres, si elles étaient transmissibles de génération en génération, comme tout autre genre de biens, les questions auxquelles elles donneraient naissance, ne seraient pas différentes de celles qu'elles ont fait naître sous les lois actuelles : pour arriver à une bonne solution, on n'aurait pas besoin de recourir à d'autres principes que ceux à l'aide desquels elles ont été déjà résolues.

La circonstance que les lois qui déterminent la durée de la garantie accordée à la propriété littéraire, sont sans influence, soit sur la nature des questions auxquelles cette propriété donne naissoit sur la manière dont elles doivent être résolues, me permet d'examiner ici les principales de ces questions et les solutions qui en ont été don

sance,

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