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Mais ne pourrait-on pas poursuivre, comme coupable de vol ou de contrefaçon, dans le pays où l'ouvrage aurait été imprimé et mis en vente, l'individu qui publierait ainsi à l'étranger, sans autorisation de l'auteur, un manuscrit dont il posséderait une copie? La solution de cette question dépend des dispositions des lois du peuple chez lequel elle serait agitée. Un Anglais qui volerait un manuscrit à un de ses compatriotes et qui irait le publier sur le territoire des Etats-Unis d'Amérique, ne pourrait pas être poursuivi devant les juges de ce dernier pays, puisque les lois américaines n'accordent à la propriété littéraire aucune protection, quand le propriétaire est étranger, et qu'il ne réside pas sur le territoire national. Si le même individu venait faire imprimer et vendre l'ouvrage en France, je ne doute pas qu'il ne fût condamné à des dommages envers l'auteur, si celuici avait le moyen de prouver sa propriété; puisque nos lois garantissent aux étrangers les mêmes. droits qu'aux nationaux, pour ceux de leurs ouvrages qui n'ont pas été publiés d'abord hors de notre territoire.

Les lettres qu'une personne adresse à une autre, sont-elles la propriété de celui qui les écrit ou de celui qui les reçoit? Il faut, pour bien résoudre cette question, distinguer diverses espèces de lettres. Les écrits qu'on met sous cette forme, pour leur

donner un genre particulier d'intérêt, comme les Provinciales, les Lettres persanes et une foule d'autres, ne doivent pas être distingués de toute autre espèce d'ouvrages. Les lettres qu'une personne adresse à une autre sur des sujets de littérature ou sur une science, telles, par exemple, que les Lettres d'Euler à une princesse d'Allemagne, semblent présenter d'abord un peu plus de difficulté. Cependant, si l'on considère et l'intention de la personne par laquelle des lettres semblables sont écrites, et l'intention de celle à qui elles sont adressées, il est impossible d'y voir autre chose que de simples leçons. Celui qui les écrit, ne se propose que d'instruire ou d'amuser la personne à laquelle il les adresse; et celle-ci n'entend recevoir que ce qui lui est véritablement donné. Il n'y a a donc pas de transmission de propriété littéraire proprement dite : il n'y a d'aliénation que pour une seule copie (1).

Les lettres auxquelles donnent lieu des relations d'affaires ou d'amitié, ne peuvent pas être considérées comme des ouvrages littéraires. Ceux qui les écrivent ne se proposent ni de les publier, ni de les vendre; ils entendent encore moins que les personnes auxquelles ils les adressent, en feront un

(1) Richard Godson, Practical treatise on the law of patents for inventions, b. III, ch. II, p. 224-225.

objet de spéculation. Il y a peu de gens qui voulussent entretenir par écrit des correspondances amicales, sous la condition que toutes leurs lettres seraient imprimées et livrées au public. Si donc il arrivait qu'un individu livrât à l'impression des lettres confidentielles qui lui auraient été adressées personnellement, ou qui seraient tombées dans ses mains, la personne qui les aurait écrites serait certainement fondée à en demander la suppression. Une telle publication serait considérée, non comme une atteinte à une propriété littéraire, mais comme un abus de confiance, comme une violation du contrat tacite que suppose toute correspondance amicale. C'est en considérant sous ce point de vue la publication de lettres privées et confidentielles, cours de justice d'Angleterre l'ont in

les

que terdite (1).

Une personne à laquelle on adresserait, pour son amusement ou son instruction, des lettres sur la littérature ou sur les sciences, ne serait propriétaire, avons-nous dit, que d'une copie de ces mêmes lettres, parce que celui qui donne des leçons sur un sujet quelconque, n'entend, en aucune manière, aliéner la propriété d'un ouvrage. Par la même raison, ceux qui reçoivent, même dans un

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(1) Ibid, 225-227. Il ne faut pas conclure de là qu'une personne n'a pas le droit de publier, comme preuves ou comme moyens de justification, des lettres qu'elle a reçues.

lieu public, des leçons orales d'un professeur, ne peuvent pas, après les avoir recueillies, les faire imprimer et les vendre sans son autorisation. Enseigner une science à des hommes qui ont le désir de l'apprendre, et vendre un ouvrage à un homme qui fait le commerce de livres, sont, en effet, deux choses tout-à-fait différentes. Celui qui reçoit une leçon qu'il a payée ou que d'autres ont payée pour lui, peut en tirer toute l'instruction qu'elle renferme, comme celui qui paie sa place dans un théâtre, peut tirer de la représentation à laquelle il assiste, tout le plaisir qu'elle peut donner. Mais le premier n'a pas plus le droit de faire imprimer et de vendre le discours du professeur, que le second n'a le droit de faire imprimer et de vendre la tragédie ou la partition de musique qu'il a entendue.

Un orateur a sur ses discours, un prédicateur a sur ses sermons, les mêmes droits qu'un professeur sur ses leçons; chacun est libre d'aller les entendre, et d'en faire son profit sous le rapport de l'instruction; mais nul ne pourra, sans le consentement de l'auteur, en faire un objet de commerce. Bossuet et Massillon étaient propriétaires de leurs oraisons funèbres et de leurs sermons au même titre que Corneille et Racine de leurs tragédies: en les prononçant, ils donnaient à chacun le droit de les écouter, et de profiter de leurs le

çons; mais ils ne donnaient à aucun libraire le droit de les faire imprimer et de les vendre.

Les droits qu'a un auteur, comme propriétaire, sur les ouvrages qu'il a publiés, consistant uniquement dans la faculté de les faire réimprimer en tout ou en partie, et d'en vendre des exemplaires, il s'en suit que le seul avantage qu'il soit interdit à chacun d'en retirer, est celui qui résulte de la réimpression et de la vente. Toute réimpression, même partielle, d'un ouvrage sans le consentement de l'auteur, est donc une atteinte à sa propriété; il suffit que le fragment réimprimé et livré au public soit assez considérable pour avoir une valeur. Si, d'un côté, les droits de l'auteur ne doivent pas faire obstacle aux progrès de l'esprit humain, d'un autre côté, nul ne doit s'emparer de son travail pour s'en faire un moyen de s'enrichir.

Un écrivain qui, pour donner de la valeur à un ouvrage de sa composition, y ferait entrer un fragment considérable d'un ouvrage appartenant à un autre, et qui, par ce moyen, diminuerait la valeur de celui-ci, se rendrait également coupable d'atteinte à la propriété, quelle que fût d'ailleurs l'importance relative de la partie qui lui serait propre. L'éditeur d'une encyclopédie, par exemple, qui s'emparerait d'un traité particulier appartenant à un autre écrivain, et qui, sans son aveu, y en ferait entrer la plus grande partie, se rendrait

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