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coupable de contrefaçon. Si l'on jugeait qu'en pareil cas, la propriété n'est pas violée, un libraire pourrait englober dans un vaste dictionnaire des sciences et des arts, tous les traités particuliers qui appartiennent aux meilleurs écrivains (1).

L'insertion, dans une revue ou dans tout autre recueil périodique ou non périodique, de partie d'un ouvrage, est aussi une contrefaçon, si la partie qu'on a prise est assez considérable pour dispenser de la lecture de l'original. Les journaux sont autorisés, sans doute, à rendre compte des écrits nouveaux qui se publient chaque jour; mais il ne leur est pas permis de se les approprier, en paraissant n'en donner qu'une analyse (2).

Il n'est pas plus permis de contrefaire un ouvrage de peu d'étendue que d'en contrefaire un très-considérable; l'auteur d'une romance, d'une fable, peut faire respecter sa propriété, comme l'auteur d'un poème épique peut faire respecter la

(1) L'éditeur d'une encyclopédie anglaise y avait inséré une partie considérable d'un Traité de l'art de l'escrime (75 pages sur 118). Traduit en justice comme coupable de contrefaçon, il fut condamné. R. Godson's Practical treatise, b. III,

ch. III, p. 233.

Juge

(2) Cette question s'est plusieurs fois présentée en Angleterre, et elle a toujours été résolue dans le même sens. R. Godson's Practical treatise, b. III, ch. IV, p. 246-247. ment du 8 juin 1830, tribunal de la Seine; J.-B. Sirey, t. XXX, 2o part., p. 162.

sienne (1). Un article de journal appartient à celui qui en est l'auteur ou qui l'achète, au même titre qu'une encyclopédie appartient aux savans qui l'ont composée. Le journaliste qui ferait son journal avec des articles pris dans d'autres journaux, porterait donc atteinte à leur propriété, et pourrait être poursuivi comme coupable de contrefaçon (2).

L'écrivain qui fait des notes sur ouvrage tombé dans le domaine public, a-t-il la propriété de ces notes, de telle manière que nul ne puisse les joindre, sans son aveu, à une autre édition du même ouvrage? Cette question s'est présentée plusieurs fois devant les cours de justice d'Angleterre, et elle a été résolue en faveur des auteurs des notes (3). Il serait difficile de voir sur quoi l'on fonderait une décision contraire, à moins qu'on ne voulût interdire de faire des annotations sur les ouvrages qui ont cessé d'être dans le domaine privé (4).

(1) R. Godson's Practical treatise, b. III, ch. V, p. 280281. -Joseph Chitty, Treatise on the laws of commerce and manufactures, vol. II, ch. XII, p. 241.

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(2) Arrêt du 28 octobre 1830, Cour de cassation, section criminelle; J.-B. Sirey, t. XXXI, 1гe part., p. 568.

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(3) Joseph Chitty, Treatise on the laws of commerce and manufactures, vol. II, ch. XII, p. 242.-R. Godson's Practical treatise, b. III, ch. III, p, 242-245.

(4) La con trefaçon d'un ouvrage annoté ne donnerait lieu à

Mais si l'on ne peut, sans porter atteinte à la propriété, s'emparer de l'ouvrage d'autrui pour le vendre, rien n'est plus licite que de s'en servir pour répandre des lumières ou combattre des erreurs. Un écrivain qui ferait, par exemple, un abrégé d'une histoire, d'un voyage ou d'un traité publié par un autre, ne se rendrait pas coupable de contrefaçon, s'il se livrait à un véritable travail intellectuel ; s'il résumait, dans un langage qui lui serait propre, les faits et les pensées de l'ouvrage principal. Un abrégé fait en conscience serait une propriété aussi inviolable que l'ouvrage sur lequel il aurait été fait. Mais on ne saurait considérer comme un abrégé la réduction d'un ouvrage à de moindres dimensions, si cette réduction était faite par la suppression d'un certain nombre de passages (1).

La traduction d'un écrit dans une autre langue n'a pas été considérée non plus comme une contrefaçon, quoiqu'elle puisse cependant diminuer la vente de l'ouvrage original. Le traducteur s'empare des faits, des observations, de la méthode

des dommages que pour la valeur des notes, si l'ouvrage était tombé dans le domaine public. —Arrêt du 4 septembre 1812, Cour de cassation. -J.-B. Sirey, t. XXI, 1re part., p. 266.

(1) R. Godson's Practical treatise, part. III, ch. III, p. 238240. -J. Chitty, Treatise on the laws of commerce and manufactures, vol. II, ch. XII, p. 242.

de l'auteur; mais il les rend dans un langage et dans un style qui lui sont propres. Sa traduction est donc sa propriété; mais cette propriété n'est pas un obstacle à ce que d'autres s'exercent sur le même sujet, et fassent des traductions nouvelles du même ouvrage (1).

L'écrivain qui traite un sujet ne ravit donc à personne la faculté de le traiter de son côté; cent écrivains peuvent écrire simultanément ou successivement sur l'histoire de France, sur la morale ou sur la physique; et quoique tous travaillent sur les mêmes documens, racontent les mêmes faits ou décrivent les mêmes phénomènes, aucun ne pourra se plaindre que les autres portent atteinte à sa propriété, si aucun ne copie l'ouvrage d'un

autre.

Il est cependant des sujets qu'il est impossible d'exposer de deux manières : tels sont des livres de calcul, des tables d'intérêts, des tables de logarithmes, des tables chronologiques, des almanachs, des dictionnaires, et certaines compilations. Celui qui le premier compose un ouvrage de ce genre, qui publie, par exemple, une table de logarithmes, enlève-t-il à toute autre personne le droit de faire un ouvrage pareil? Si chacun peut faire un ouvrage exactement semblable, n'en résultera-t-il

(1) Ibid, p. 241-243.

pas que la propriété d'aucun ne sera garantie, ou que du moins il ne sera presque jamais possible de constater les atteintes qui y seront portées?

Lorsqu'un ouvrage de cette nature à été composé et publié, et qu'il est impossible de faire, sur le même sujet, un ouvrage qui soit différent sans être inexact, il semble que la propriété de l'ouvrage doit emporter la propriété du sujet. La reconnaissance de cette espèce de propriété constituerait, il est vrai, une sorte de monopole; mais elle ne ferait point obstacle aux progrès de l'esprit humain. L'appropriation, par le travail, d'un sujet qui ne peut pas être traité de deux manières, serait analogue à l'appropriation d'un fonds de terre qui, n'étant occupé par personne, serait devenu la propriété du premier qui l'aurait exploité. On ne pourrait pas dire qu'il y a monopole dans le premier cas, sans reconnaître que le monopole existe aussi dans le second; car l'occupation est aussi exclusive dans celui-ci qu'elle pourrait l'être dans celui-là.

Cependant les jurisconsultes qui admettent le principe de l'occupation quand il s'agit de choses matérielles, ne l'admettent pas pour les sujets qui sont du domaine de l'intelligence; ils ont pensé, sans doute, que si la propriété du sujet était inhérente à la propriété de l'ouvrage, l'auteur pourrait mettre à ses écrits un prix qui serait hors de pro

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