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articuler d'une manière positive les faits qui donnent lieu à la poursuite, et caractériser les délits dont elle se plaint. Ce n'est qu'autant qu'elle se soumet à ces obligations, que la partie accusée a le moyen de se défendre.

Les questions de propriété littéraire sont jugées, au contraire, par des magistrats permanens, élus par le gouvernement, et sans jurés. La question qui se débat entre l'auteur ou son représentant et le contrefacteur, ne porte pas sur la tendance morale de l'ouvrage; elle porte sur l'identité entre l'édition originale et l'édition qu'on prétend en être une copie. Les juges qui s'écarteraient du point qui leur est soumis, pour prononcer sur la tendance de l'écrit qui donne lieu au débat, excéderaient les bornes de leur compétence. Ils condamneraient un auteur ou un éditeur sur une accusation qui n'aurait pas été articulée, et sans les avoir mis à même de se défendre.

En Angleterrre, où les jurés sont appelés à prononcer sur les questions de propriété comme sur les questions de culpabilité, le danger est moins grave; cependant, il y a toujours quelques inconvéniens à confondre des matières qui n'ont entre elles aucun rapport. Les garanties qui existent quand il s'agit de la punition d'un délit, et celles que les lois donnent dans les procès civils, ne sont pas exactement les mêmes; les jurés, d'ailleurs, se

décident bien plus facilement à refuser la protection des lois à une propriété dont ils ne savent pas toujours apprécier la valeur, qu'à déclarer un homme coupable d'un délit. Les cours de justice ont, au reste, été peu frappées de cet inconvénient; car elles n'ont jamais hésité à refuser toute protection -aux ouvrages qui leur ont paru contraires à la morale (1).

Les juges, en refusant toute garantie à des ouvrages contraires aux mœurs, ne se sont pas dissimulé que la circulation en serait plus considérable, puisque les éditeurs seraient dispensés de rien payer aux auteurs; mais cette considération ne les a point arrêtés. «Il est très-vrai, disait lord Eldon, que le refus de la cour d'arrêter des publications malfaisantes, peut , peut avoir pour effet de les multiplier; mais je réponds à cela que, siégeant ici comme juge d'une simple question de propriété, je n'ai rien à voir à la nature de cette propriété, ni à la conduite des parties, si ce n'est quant à leurs intérêts civils (2) ».

Il est un cas dans lequel les magistrats accordent à l'auteur d'un ouvrage immoral une action, pour en empêcher la contrefaçon : c'est lorsqu'il se reproche de l'avoir publié, et qu'il désire de le supprimer.

(1) R. Godson's Prac. treat., b. III, ch. I, p. 212-213. (2) R. Godson's Practical treatise, b. III, ch. I, p. 213

Une loi qui prolonge le temps pendant lequel un auteur peut vendre exclusivement des exemplaires de ses ouvrages, ne s'applique pas seulement aux écrits qui ne sont pas publiés au moment de sa promulgation; elle s'applique à tous ceux qui ne sont pas encore tombés dans le domaine du public (4). Lorsque l'auteur a aliéné ses ou

vrages, l'augmentation de temps accordé par la loi, profite à l'acquéreur et à ses héritiers (2).

Si, d'un côté, l'on peut dire que les lois antérieures ne les ont garantis, pendant un temps déterminé, que sous la condition tacite qu'à l'expiration de ce temps, chacun pourrait librement les réimprimer, on peut dire, d'un autre côté, que les auteurs n'ont pas été libres de faire des conditions, et que la loi qui donne la garantie, reconnaît un droit et ne le crée pas. La jurisprudence anglaise et la jurisprudence française sont uniformes à cet égard (3).

(1) Ibid, p. 210.

J. Chitty, Treatise on the laws of commerce and manufactures, vol. II, ch. XII, p. 240.

(2) J. Chitty, Treatise on the laws of commerce and manufactures, ch. XII. R. Godson's, p. 211,

(3) La plupart des questions transitoires auxquelles ont donné lieu les lois sur la propriété littéraire, ont été traitées par M. Merlin, dans ses Questions de droit, et dans son Répertoire de jurisprudence, aux mots : CONTREFAÇON et PROPRIÉTÉ LITTÉRAIRE.

Il est une question qui tient plus au droit international qu'au droit particulier de chaque peuple: c'est celle de savoir s'il convient à l'intérêt de tous les hommes que la propriété d'un ouvrage ne soit protégée que dans le pays où la publication en a été d'abord effectuée. Un Anglais qui viendrait publier ses écrits sur notre territoire, avant de les avoir fait imprimer dans aucun autre pays, jouirait, parmi nous, pour la vente de son ouvrage, des mêmes droits que s'il était Français; mais nos lois ne lui en garantiraient pas la propriété, s'il en avait fait d'abord la publication en pays étranger. Un Français qui publierait d'abord ses écrits en Belgique ou en Angleterre, en perdrait la propriété en France, quand même il viendrait immédiatement y en faire une seconde édition.

Il est difficile de bien motiver de semblables dispositions: chaque gouvernement, en ne garantissant aux auteurs que les ouvrages publiés sous son empire, a prétendu sans doute donner des encouragemens à l'art typographique et au commerce de la librairie; mais l'encouragement n'aurait-il pas été le même si l'on avait mis des droits. plus ou moins élevés sur les ouvrages imprimés à l'étranger? Si un ouvrage doit être imprimé à Bruxelles, qu'importe aux imprimeurs et aux libraires français qu'il le soit au profit d'un contrefacteur étranger plutôt qu'au profit de l'auteur,

vrage,

leur compatriote? La priorité qu'un peuple obtient sur les autres pour la publication d'un oului assure des avantages si petits et même si incertains, qu'il n'est pas facile de voir pourquoi les gouvernemens y ont attaché tant d'importance (1).

Le refus que font les gouvernemens de garantir la propriété des ouvrages qui ne sont pas d'abord publiés sur leur territoire, ne porte pas un grand préjudice aux grandes nations; mais elle nuit beaucoup aux petites. Un écrivain qui publie ses ouvrages en France, en Angleterre ou aux ÉtatsUnis, peut en vendre un nombre d'exemplaires assez considérable pour être indemnisé des sacrifices qu'il a faits. Celui qui publierait les siens à Genève, dans un des petits États d'Italie ou d'Allemagne, ne serait pas sûr de vendre, dans le seul pays où sa propriété serait protégée, un nombre d'exemplaires suffisant pour payer les frais d'impression. Les divers Etats, de la Confédération américaine garantissent à tous les membres de

(1) L'auteur qui a publié un ouvrage en pays étranger, et vient ensuite le faire réimprimer en France, n'est pas admis à poursuivre les contrefacteurs, même lorsque cet ouvrage a été intercalé dans un ouvrage nouveau qui n'a pas été publié hors de France. Arrêt du 26 novembre 1828, Cour royale de Paris, chambre de police correctionnelle. J.-B. Sirey, t. XXIX, 2o part., p. 6.

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