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Un capitaliste peut, comme le possesseur d'une terre, transmettre sa propriété à une autre personne qui se charge de lui en payer un revenu. Si le propriétaire d'un capital de cent mille francs, par exemple, le prête à un homme industrieux, moyennant un intérêt annuel de six mille francs, celuici en aura la disposition pour le service de son industrie; mais, en réalité, le premier en conservera la jouissance. Dans ce cas, comme dans le précédent, il n'y aura pas deux revenus distincts: celui que donnera l'établissement créé avec le capital, et celui du capitaliste. Si l'on considère les choses d'un point de vue élevé, l'on verra qu'après comme avant le prêt, le capitaliste possède dans les richesses sociales une valeur de cent mille francs, et que cette valeur est incontestablement sa propriété. Il peut, sans doute, la perdre, si l'emprunteur fait de mauvaises affaires ou s'il est un malhonnête homme; mais il pourrait la perdre aussi s'il la gardait dans sa maison, ou s'il la plaçait en dépôt.

Il arrive souvent qu'un capitaliste, au lieu de placer son capital entre les mains d'un homme industrieux qui le fait valoir, et qui lui en paie un intérêt, le prête à un gouvernement qui le consomme, et qui établit un impôt pour en payer les intérêts toutes les années. Si l'on suppose que l'emprunt est fait et employé au profit des con

tribuables, ceux-ci deviennent réellement débiteurs de toutes les sommes empruntées en leur nom : leurs biens ont diminué d'une valeur exactement égale à celle que le gouvernement a consommée; et cette valeur a été transférée aux capitalistes, en échange de celle qu'ils ont prêtée. Les terres ou les autres propriétés immobilières et les établissemens industriels n'ont, en effet, de valeur que par les revenus qu'ils produisent, et les revenus diminuent pour les propriétaires et pour les hommes industrieux, à mesure que les impôts augmentent. Un fermier qui paie dix mille francs toutes les années au propriétaire dont il fait valoir la terre, net voudra plus en payer que neuf mille, si sa ferme est soumise à un nouvel impôt de mille francs. La même cause qui diminue le fermage d'un dixième, diminue la valeur de la terre dans la même proportion.

Telle ferme, par exemple, qui pouvait se vendre deux cent mille francs, ne se vendra plus que cent quatre-vingt mille francs, si un impôt perpétuel enlève au propriétaire un dixième de son revenu; elle ne se vendrait que la moitié de la première somme, si le fisc s'emparait de la moitié de la rente que le propriétaire pouvait exiger du fermier; enfin, elle n'aurait pius de valeur si l'impôt devenait assez considérable pour absorber le fermage tout entier.

Il résulte de ceci que toutes les fois qu'une nation fait un emprunt, et qu'elle consomme improductivement, comme cela se pratique, les capitaux empruntés, il se fait dans la société un immense déplacement de richesses. Les propriétaires de terres, de maisons, d'entreprises industrielles, enfin tous les hommes sur lesquels tombent les charges publiques, sont dépouillés de valeurs égales à celles que le gouvernement a empruntées. Ces valeurs passent aux capitalistes qui en perçoivent les revenus par les mains des agens du fisc, et qui sont ainsi substitués aux propriétaires et aux hommes industrieux, dont les revenus diminuent de tout ce qu'on est obligé de payer aux premiers. Un seul exemple va faire comprendre comment s'opère cette substitution.

Un propriétaire qui constituerait, sur une ferme d'un revenu de douze mille francs, une rente perpétuelle de six mille francs, pour un capital qu'il aurait emprunté et dissipé, ne serait riche que de six mille francs de revenu. S'il constituait, sur sa terre, une rente égale au fermage, pour un capital qu'il aurait également consommé d'une manière improductive, il ne lui resterait plus rien. Il pourrait conserver le titre de propriétaire et quelques-uns des honneurs qui y sont attachés; mais, en réalité, ce serait aux capitalistes ou aux rentiers que les produits de la propriété seraient

dévolus. Pour simplifier les opérations et pour rendre plus claire la position du propriétaire foncier, il ne faudrait que faire verser directement le prix du fermage entre les mains du propriétaire de la rente. Or, une nation peut aliéner ses revenus de la même manière qu'un particulier, et se dépouiller ainsi de ses propriétés au profit de ceux dont elle emprunte et consomme les capitaux. Il y a cependant une différence: quand c'est un particulier qui constitue une rente pour un capital qu'il dissipe, il n'aliène que ses biens et les produits de son industrie; quand c'est une nation, elle aliène, outre ses biens et son industrie, les propriétés et l'industrie des générations à venir.

Un capitaliste qui, moyennant un capital de cent mille francs, achète une rente per pétuelle de cinq mille, de la personne qui peut légitimement en disposer, devient propriétaire de cette rente au même titre qu'il le serait d'une terre ou d'une manufacture. La jouissance de cette propriété pour lui la plupart des effets qu'aurait la jouis sance d'un autre genre de propriété qui lui donnerait un revenu semblable: elle assure son existence et celle de sa famille, comme l'assurerait un immeuble ou un établissement d'industrie ou de commerce. Si elle lui était ravie, elle aurait pour lui tous les effets qui sont la suite ordinaire de

toutes les confiscations, et de tous les déplacemens violens de propriété.

Quand une nation établit plusieurs millions de rentes, elle n'augmente pas la somme des richesses; elle transfère seulement aux capitalistes dont elle consomme improductivement les capitaux, ainsi qu'on vient de le voir, une part des revenus des autres classes de la société; de même, quand elle abolit des rentes, sans en rembourser la valeur, c'est-à-dire quand elle fait banqueroute, elle déplace les richesses, mais elle ne les augmente pas: elle attribue aux uns les propriétés dont elle dépouille les autres.

En parlant des propriétés qui consistent en rentes, j'ai supposé que les emprunts étaient faits par les propriétaires ou par leurs délégués, et que les capitaux empruntés étaient employés dans leur intérêt. Des emprunts faits par une autorité illégitime, et mis à la charge d'un peuple qui n'en retire aucun profit, sont le plus puissant moyen de spoliation qui ait jamais été imaginé par un gouvernement. A l'aide de ce moyen, les revenus d'une nation et par conséquent ses terres, ses capison commerce, peuvent être aliénés au profit, non-seulement des capitalistes nationaux, mais encore des capitalistes étrangers. Si, par exemple, lorsque le gouvernement de la restauration a emprunté un milliard pour le livrer aux

taux,

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