Page images
PDF
EPUB

pas avoir la faculté d'appliquer à la satisfaction de ses besoins individuels, les choses qui sont la propriété de tous. Il faut que chacun de ces corps soit organisé de manière que quelques-uns de ses membres aient l'administration des biens communs et les appliquent à des besoins généraux, ou distribuent à chacun de ses membres la part qui lui revient dans les produits, toutes les fois qu'une part peut, en effet, être distribuée.

La faculté de disposer, comme la faculté de jouir, est limitée par l'incapacité du propriétaire ou par les circonstances au milieu desquelles il est placé. Cette faculté est suspendue chez les enfans et chez les individus qui sont privés de l'usage de la raison. Les peuples qui ont le mieux garanti les propriétés, ont interdit la disposition de leurs biens aux personnes qui n'auraient pas atteint un certain âge. Tous ont admis qu'il ne peut pas y avoir d'aliénation sans consentement, et que le consentement n'est valable que lorsqu'il est donné avec connaissance de cause. Dans plusieurs pays, en France, par exemple, les femmes placées sous la protection maritale n'ont pas, dans certaines circonstances, la libre disposition de leurs biens. La qualité de propriétaire ne suppose donc pas toujours et nécessairement la puissance ou la faculté actuelle de disposer des choses dont on a la priété.

༥ ༤

pro

[ocr errors]

Un corps politique, tel qu'une commune ou une nation, ne dispose pas de ses propriétés avec la même facilité qu'un particulier dispose des siennes. Il y a toujours, dans un corps, un nombre plus ou moins grand de personnes, dont les droits sont égaux à ceux des autres, mais qui n'ont pas la même capacité pour défendre leurs intérêts. On est donc obligé de soumettre la jouissance et la disposition de biens communs à des règles qui garantissent à chacun ses intérêts et ses droits particuliers.

Nous n'avons à nous occuper ici que des choses considérées dans les rapports qu'elles ont avec les personnes; nous ne devons donc nous occcuper des limites mises à la faculté d'en jouir et d'en disposer, qu'autant que ces limites tiennent à la nature des choses. Quant à celles qui tiennent à la nature de l'homme, il sera temps de nous en occuper, lorsque nous aurons à traiter des personnes considérées d'une manière individuelle ou collective.

Il est, ainsi qu'on l'a déjà vu, des choses qui peuvent être considérées comme la propriété commune du genre humain, parce qu'elles sont nécessaires à l'existence de tous les hommes et qu'elles nous sont données sans mesure: telles sont la lumière des astres, l'air atmosphérique, la chaleur du soleil, l'eau de la mer; il en est d'autres qui

sont la propriété commune de tous les membres dont une nation se compose, telles que des grandes routes, des fleuves, des ports de mer, des arsenaux et d'autres établissemens publics; il en est qui appartiennent à des fractions plus ou moins considérables d'un peuple, comme à des communes, à des cantons, à des départemens; il en est enfin qui appartiennent à des familles ou à des individus, et celles-ci sont toujours les plus considérables chez un peuple civilisé.

Ainsi, toute personne, outre la faculté qu'elle a de jouir et de disposer de ses biens particuliers, a, de plus, comme membre d'une commune, la faculté de jouir des biens communs dans la même mesure que les autres habitans; comme membre d'un département ou d'une province, elle doit jouir des propriétés départementales ou provinciales; comme membre de l'État, elle a droit à la jouissance des propriétés nationales; enfin, en sa qualité d'être humain, elle a droit à la jouissance des biens que la nature a donnés à tous les hommes.

Si maintenant nous voulons indiquer d'une manière générale les limites mises, par la nature même des choses, à la jouissance et à la disposition de toute propriété individuelle, il nous suffira de dire que le propriétaire peut en faire tout ce qu'il juge convenable, pourvu qu'il ne s'en serve pas pour porter atteinte à la sûreté des personnes, ou à

la faculté qui appartient à chacun, soit de jouir et de disposer de ses biens particuliers, soit de faire usage, dans la mesure de ses droits, des biens qui appartiennent à sa commune, à son département, à sa nation ou à l'humanité tout entière.

Toute propriété, quelle qu'en soit la nature, est limitée par d'autres propriétés. Il n'est pas un champ, pas une vigne, pas une forêt, pas une maison, qui ne touchent à d'autres champs, à d'autres vignes, à d'autres forêts, à d'autres maisons. Si une propriété individuelle n'est pas bornée de tous côtés par d'autres propriétés individuelles, elle l'est par des propriétés qui appartiennent à des corps collectifs. Elle a, par exemple, pour limites, une route, une rivière, un fleuve, qui sont aussi des propriétés pour les nations qui les possèdent. Enfin, tous les biens, qu'ils soient meubles ou immeubles, sont plongés dans l'atmosphère que nous respirons, et que nous avons considérée comme la propriété commune du genre humain.

Les droits que tous les propriétaires ont sur leurs propriétés, étant égaux entre eux, sont limités les uns par les autres. Je puis donc faire sur une terre qui m'appartient les plantations, les constructions, les fouilles que je juge convenables; mais je ne puis rien y faire qui nuise au droit que d'autres ont de jouir et de disposer de leurs pro

priétés. Je ne pourrais pas, par exemple, m'y livrer à un genre de culture, y établir des fabrications, ou y déposer des matières qui vicieraient l'air du voisinage. Il n'est pas plus licite, en effet, à une personne d'infecter l'air que d'autres ont le droit de respirer, ou de le vicier par des matières qui blesseraient l'organe de la vue, que de jeter du poison dans leurs alimens. Le besoin qu'ont les hommes de respirer et de voir est aussi impérieux que le besoin de se nourrir (1).

S'il n'est pas permis à une personne de faire usage de sa propriété pour porter atteinte au droit qu'ont tous les hommes de jouir des choses qui sont la propriété commune du genre humain, il ne lui est pas permis non plus de s'en servir pour porter atteinte aux propriétés qui appartiennent à une nation, à une province, à une commune. Ainsi, nul ne peut faire usage d'une chose qui est à lui, pour dégrader une route, une rivière, un fleuve, ou pour en gêner l'usage. Les choses qui appartiennent à des agrégations de personnes, ne sont ni moins précieuses, ni moins dignes d'être respectées que

(1) Un décret du 15 octobre 1810 détermine quels sont les ateliers et manufactures qui répandent une odeur insalubre ou incommode, et fixe les conditions sous lesquelles il est permis de les établir.

Ce décret est vicieux en ce qu'il donne à des fonctionnaires amovibles le jugement de questions de propriété.

« PreviousContinue »