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populations s'accroissent à mesure que la masse des propriétés augmente: les hommes créent d'abord des propriétés, et les propriétés font naître ensuite de nouveaux hommes. Nous n'existons donc qu'au moyen de nos biens, et le même principe qui nous pousse à défendre notre existence, nous porte à défendre les choses qui la soutiennent. Telle est la vraie et je puis même dire l'unique source de la garantie que nous avons à observer.

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Il n'y a qu'un moyen de savoir si toutes les priétés qui existent chez une nation, sont garanties; c'est de rechercher quelles sont les diverses atteintes auxquelles elles sont exposées, et d'examiner s'il existe une puissance qui les mette à l'abri de chacun des dangers qu'elles ont à courir.

En considérant les propriétés dans les rapports qu'elles ont avec ceux dont elles doivent satisfaire les besoins, on peut les diviser en trois grandes classes: il en est qui sont destinées à satisfaire certains besoins nationaux, à assurer la défense du pays, à faciliter des communications, par exemple; il en est d'autres qui sont destinées à satisfaire les besoins d'associations moins considérables, telles que des communes, des départemens, des provinces; il en est d'autres enfin qui ne sont destinées qu'à satisfaire des besoins individuels ou des besoins de famille.

Quand on considère les nations les unes à l'é

gard des autres, on observe que chacune d'elles a un territoire qui lui est propre, et que ce territoire renferme toutes les propriétés qui appartiennent à des individus, à des communes ou à d'autres agrégations plus ou moins nombreuses. Si l'on considère ensuite chaque nation relativement aux diverses fractions entre lesquelles elle se divise, on voit qu'elle a, dans le territoire national, des propriétés particulières dont l'objet est de satisfaire un certain genre de besoins généraux, tels que les besoins de sûreté, de justice, de communications. Les nations, considérées comme des corps organisés, ne sont pas propriétaires seulement des fleuves, des canaux, des routes qui traversent leur territoire ; elles ont toujours des biens qui sont de la même nature que ceux des particuliers. Plusieurs possèdent des forêts, des fermes, des établissemens industriels; toutes ont un trésor qu'alimentent les contributions publiques, et sans lequel elles ne sauraient subsister.

Si nous reconnaissons que, pour une nation comme pour un particulier, la faculté de jouir et de disposer est un des élémens essentiels de la propriété, nous admettrons qu'il y a atteinte à une propriété nationale, toutes les fois qu'une chose appartenant à un peuple, est détournée, sans l'aveu des propriétaires, de sa destination naturelle et appliquée à satisfaire des besoins autres que ceux

du peuple à qui elle appartient; peu importe d'ailleurs qu'elle ait été détournée ou ravie par une armée ou par un seul homme, par un étranger on par un membre de l'État, par un agent de l'autorité publique ou par un simple particulier; le nombre ni la qualité des personnes ne changent rien à la nature de l'action.

Nous n'avons pas à nous occuper ici des dommages causés à la propriété par des accidens indépendans de la volonté des hommes. Une propriété peut périr ou être endommagée par un naufrage, par une inondation, ou par le feu du ciel, comme par l'invasion d'une armée, ou par l'irruption d'une troupe de brigands. On peut établir des garanties contre les calamités qui viennent de la nature, comme on en établit contre celles qui viennent de la perversité des hommes. Les dernières sont les seules dont il soit ici question.

Les propriétés d'une nation peuvent être attaquées par trois classes de personnes, par des ennemis extérieurs, par les membres même du gouvernement, auxquels la garde et l'administration en sont confiées, et par de simples particuliers; il faut donc qu'il existe des garanties contre ces trois classes de personnes, c'est-à-dire des forces capables de prévenir ou de réprimer leurs attentats.

Il est des nations dont le territoire est en partie garanti contre l'invasion, par les circonstances

physiques au milieu desquelles il est placé, par de hautes montagnes, par des mers, et quelquefois par de vastes déserts. Nous n'avons pas à nous occuper des garanties de ce genre; les peuples qui en sont privés, n'ont qu'un moyen de les obtenir ; c'est de s'unir à ceux de leurs voisins qui les possèdent, pour ne faire qu'une nation. Nous n'avons à traiter que des garanties que les peuples trouvent en euxmêmes, contre les agressions dont ils peuvent être l'objet.

Les forces qui peuvent porter atteinte à nos propriétés, et contre lesquelles nous cherchons des garanties, se trouvent dans des hommes, et pour les contenir ou les réprimer, il faut d'autres forces qui ne peuvent également se trouver que dans des hommes. S'il s'agit, par exemple, de garantir le territoire d'une nation contre l'invasion d'une armée étrangère, il est clair qu'on ne peut trouver une garantie que dans l'existence d'une autre armée. S'il s'agit de les mettre à l'abri des entreprises des malfaiteurs de l'intérieur, il faut charger d'autres hommes de les arrêter ou de les punir.

La plus grande difficulté qui se présente, toutes les fois qu'il est question de garanties sociales, n'est pas de trouver une force qui soit un obstacle à l'invasion, ou qui réprime les atteintes portées aux propriétés par de simples particuliers; c'est de trouver une garantie contre l'abus des forces qu'on

a organisées, soit pour défendre l'indépendance nationale, soit pour réprimer les malfaiteurs de l'intérieur? Quelle sera la puissance qui nous garantira des fraudes, des extorsions, des concussions, des violences de nos garans ? La solution de ce problème est fort difficile; je ne craindrai même pas de dire qu'elle est impossible, chez tout peuple dont les mœurs, l'intelligence et l'industrie n'ont pas fait de grands progrès.

Une nation chez laquelle il existe encore beaucoup de restes de barbarie, ne peut faire que de vains efforts pour établir des garanties ; quand elle a organisé une force ou créé une magistrature, pour prévenir ou réprimer certaines spoliations, il faut qu'elle songe à se mettre à l'abri des attentats de cette force ou de cette magistrature; aussitôt qu'elle a organisé et armé des défenseurs, il faut qu'elle cherche à se garantir de leurs entreprises.

Il n'est pas de constitution, quelque parfaite qu'on la suppose, qui puisse faire sortir de ce cercle un peuple lâche, ignorant ou corrompu. Quelques publicistes ont paru croire que la monarchie constitutionnelle avait donné la solution du problème ; c'est une erreur. Qu'on soumette à telle constitution qu'on voudra, un peuple dont une partie considérable aspire à vivre sur le produit du travail d'autrui, et dont l'autre est façon

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