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mées. Il n'est pas rare qu'une armée qui se disà envahir le territoire d'un peuple qu'elle pose considère comme ennemi, se fasse précéder par des proclamations dans lesquelles elle dit garantir les propriétés de tous les genres. Ces promesses sont un moyen de faire poser les armes à une partie de la population, et de détruire sans combat les résistances, c'est-à-dire de renverser les seules garanties efficaces. Elles ressemblent, sous quelques rapports, à ces déclarations que fait un prince qui veut affaiblir les obstacles qui s'opposent à son élévation, déclarations auxquelles on donne aussi le nom de garanties, et qui souvent ne sont, ni plus sincères, ni plus efficaces que les manifestes des armées d'invasion.

Quand ces promesses n'ont pas pour but et pour résultat de tromper les peuples auxquels elles sont faites, elles ne valent pas moins que rien; mais elles ne, valent pas beaucoup plus. Une promesse n'est une véritable garantie que lorsqu'il existe au-dessus de celui qui l'a faite, un pouvoir ayant la force et la volonté de la faire exécuter. Elle est presque toujours illusoire, quand celui qui en est l'auteur, n'a au-dessus de lui ni supérieurs ni juges, ou lorsque ces supérieurs sont eux-mêmes intéressés à ce qu'elle ne soit pas exécutée. Tous les hommes, même ceux qui sont investis d'un grand pouvoir, sont, il est vrai, placés sous l'em

pire de leur conscience, mais nous sommes encore loin du temps où les nations pourront, dans leurs rapports mutuels, considérer comme une force invincible la conscience des hommes qui les gou

vernent.

Un des élémens essentiels de toute propriété, avons-nous dit, est la faculté, dans le propriétaire, de jouir et de disposer de la chose qui lui appartient. Une nation n'a donc réellement les prérogatives attachées à la qualité de propriétaire, que lorsqu'elle a la puissance de disposer ou de jouir des choses qui sont à elle. Ses propriétés ne lui sont pleinement garanties qu'autant qu'elle se gouverne elle-même; qu'elle détermine, par conséquent, l'emploi de ses biens, et qu'elle peut s'en faire rendre compte.

CHAPITRE XLI.

De quelques lois destinées à garantir les propriétés contre les atteintes de l'extérieur.

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UNE nation, quelle que soit son organisation politique, ne saurait, sans se faire illusion, se flatter que jamais ses frontières ne seront franchies par une armée ennemie, et que, dans aucun temps, son territoire ne sera le théâtre de la guerre. Or, il n'arrive jamais qu'une armée campe en pays ennemi, et qu'elle s'abstienne de porter atteinte aux propriétés au milieu desquelles elle se trouve placée. Lors même qu'elle ne se permet aucune destruction inutile, et qu'elle est soumise à la discipline la plus sévère, elle exige que la population dont, elle a envahi le territoire lui fournisse des subsistances ou des moyens de transport. Si elle n'attaque pas en détail les propriétés privées, elle les attaque en masse, en soumettant les propriétaires à des contributions. Quelquefois aussi l'intérêt de sa sûreté la détermine à ravager le pays, et à en faire disparaître les ressources que

l'armée nationale y trouverait, si elle parvenait à s'en rendre maîtresse.

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Les charges de la guerre sont donc toujours infiniment plus pesantes pour les populations placées près des frontières, que pour celles qui sont placées au centre du territoire national. La sécurité de celles-ci est d'autant plus grande que celles-là montrent plus de courage, de désintéressement, de patriotisme, et qu'elles se résignent à plus de sacrifices. Si les habitans des frontières pour mettre leurs propriétés à l'abri du pillage, et échapper aux calamités d'une invasion, consentaient à ouvrir un passage aux armées ennemies, et à ne pas les inquiéter, c'est surtout sur les habitans du centre que tomberait le poids de la guerre. C'est, en effet, parmi eux que siége ordinairement le gouvernement qui est l'âme de toutes les opérations militaires, et que se trouvent les grandes masses de richesses.

Cependant, il n'y a de véritable association entre les membres dont un peuple se compose, qu'autant que toutes les propriétés sont également garanties, et que les charges et les avantages de la société se répartissent d'une manière égale. Il faut que les bienfaits de la paix et les malheurs inséparables de la guerre se répandent également sur tous, autant du moins que la nature des choses le comporte. Mais si, par leur position, quelques

parties de la population sont plus exposées que d'autres, et s'il n'est pas possible de prévenir les atteintes auxquelles leurs propriétés sont exposées, quel est le moyen d'établir l'égalité des charges autant que cela se peut? Il n'y en a qu'un : c'est de réparer le mal qu'on n'a pu empêcher; c'est d'indemniser, aux frais de l'Etat, les personnes dont les propriétés ont été ravies ou dévastées par l'ennemi.

En 1792, au moment où l'indépendance et la liberté de la nation française étaient menacées par la plupart des gouvernemens européens, l'Assemblée nationale, par un décret du 11 du mois. d'août, ordonna qu'il serait accordé des secours ou des indemnités aux citoyens français qui, pendant la durée de la guerre, auraient perdu, par le fait des ennemis extérieurs, tout ou partie de leurs propriétés (1).

(1) Les motifs de ce décret méritent d'être rapportés; les voici :

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L'Assemblée nationale considérant que si, dans une guerre dont l'objet est la conservation de la liberté, de l'indépendance et de la constitution française, tout citoyen doit à l'État le sacrifice de sa vie et de sa fortune, l'État doit à son tour protéger les citoyens qui se dévouent à sa défense, et venir au secours de ceux qui, dans le cas d'invasion ou de séjour passager de l'ennemi sur le territoire français, auraient perdu tout ou partie de leurs propriétés ;

>> Voulant donner aux nations étrangères le premier exemple

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