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ajoute à une propriété, il suffit d'examiner quelles sont les principales circonstances qui rendent une chose précieuse à nos yeux, et de voir comment ces circonstances sont affectées par l'absence de toute garantie.

Nous devons compter, parmi ces circonstances, l'étendue ou l'intensité des jouissances que la chose peut donner; la durée qu'elles doivent avoir; la certitude plus ou moins grande de conserver l'objet qui les produit, le nombre de personnes qui doivent en profiter.

La privation de toute garantie fait disparaître complètement la certitude de jouir d'une propriété, pendant un temps assez long pour être apprécié, et le défaut de certitude détruit tout le plaisir que la possession actuelle pourrait causer. La terre la plus belle, l'hôtel le plus magnifique, auraient peu de charmes et de valeur pour un homme qui pourrait à tout instant en être dépossédé par la force, et qui ne trouverait aucun appui dans la société. Ces biens, si estimables et si recherchés, quand la jouissance et la disposition en sont assurées, seraient si peu estimés s'ils n'étaient pas garantis, que nous ne voudrions faire aucun frais pour en prendre possession. Nous préférerions une simple cabane, dont nous aurions la certitude de jouir et de disposer toujours, à un château dont nous pourrions à tout moment être expulsés,

La privation de garantie qui suffit pour prévenir la formation de toute propriété nouvelle, suffit aussi pour faire disparaître en peu de temps les propriétés anciennement formées. Quelque grandes que fussent les richesses du clergé d'Angleterre, quand Edouard Ier les mit hors de la protection des lois, elles auraient été promptement détruites, si elles avaient continué d'être la proie du plus fort. Elles auraient subi le sort qu'ont éprouvé les richesses de toutes les nations qui ont eu le malheur de tomber sous des gouvernemens despotiques.

La mesure prise par Edouard Ier aurait été cependant moins efficace, si, au lieu de frapper des moines, des abbés, des évêques ou d'autres membres du clergé, elle avait été dirigée contre les cultivateurs, les fabricans, les commerçans. Comme une nation ne peut vivre qu'au moyen des produits de ses travaux, elle prendrait le parti de s'organiser et de protéger elle-même ses propriétés, si son gouvernement cessait de remplir ses fonctions. Il est moins difficile à une nation de trouver dans son sein des hommes qui la gouvernent, qu'à des princes déchus de trouver des peuples à gou

verner.

CHAPITRE XLVI.

Des rapports qui existent entre l'accroissement des propriétés, et l'accroissement des diverses classes de la population.

de

PLUSIEURS écrivains, ayant observé que, dans tous les pays, il y a toujours un certain nombre personnes qui sont emportées par la misère ou par les maux qu'elle produit, ont pensé que partout la population s'élève au niveau de ses moyens d'existence, et qu'elle tend même à aller au-delà.

D'autres ont contesté la vérité de cette observation; ils ont prétendu que l'accroissement des moyens d'existence, bien loin d'être en arrière de l'accroissement de la population, était, au contraire, plus rapide et tendait à le dépasser; ils se sont fondés sur ce que le nombre des familles aisées s'augmente sans cesse chez toutes les nations qui prospèrent.

Il est rare que les propositions générales qu'on fait sur une population nombreuse soient parfaitement exactes, parce qu'une nation civilisée se divise toujours en un certain nombre de classes, et que ce qui est vrai pour les unes, ne l'est presque

n'est

pas

jamais pour les autres. Le terme moyen de la vie, sur lequel tant de calculs ont été faits, par exemple, le même dans tous les rangs de la société; il est infiniment plus court pour les classes qui sont sans cesse assiégées par le besoin, que pour celles qui jouissent de toutes les aisances de la vie.

Les mêmes expressions ne désignent même pas toujours les mêmes choses: une famille, née dans l'opulence, entend par ses moyens d'existence, autre chose que ce qu'entend une famille d'ouvriers qui fait usage des mêmes termes. Si chacune des deux se croit parvenue aux limites de ses ressources, quand elle ne peut plus s'accroître sans déchoir dans la société, on conviendra que, pour conserver son rang il ne faut pas à chacune la même somme de richesses.

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Ainsi, l'on peut bien admettre qu'en tout pays la population s'élève au niveau de ses moyens d'existence, et que les classes les moins prévoyantes et les moins riches les dépassent même souvent; mais il faut qu'il soit bien entendu qu'il y a toujours chez une nation civilisée, un nombre plus ou moins considérable de familles qui peuvent arriver là, non seulement sans manquer d'aucun des objets nécessaires à la vie, mais en jouissant même de beaucoup de choses dont le besoin n'est pas même senti dans d'autres classes de la société.

Entre le mendiant auquel il ne faut pour exister

que du pain et des haillons, et le prince qui consomme chaque jour un capital suffisant pour faire vivre à l'aise et à perpétuité une modeste famille, il existe un grand nombre de classes intermédiaires; chacune de ces classes a des habitudes et des besoins particuliers, et considère comme nécessaires à sa conservation toutes les choses dont il lui serait imposssible de s'abstenir sans descendre dans un un rang inférieur.

Cette manière de juger ou de sentir n'est point particulière à une nation ou à une race; on l'observe chez tous les peuples qui ont fait quelques progrès; ce sentiment semble même se fortifier à mesure que la civilisation se développe de plus en plus. Il y a plus de honte à déchoir de son rang chez une nation qui prospère et qui jouit de toutes les garanties sociales, que chez une nation qui rétrograde vers la barbarie.

Il suit de là qu'en général, l'accroissement de la population, qui a lieu dans chacune des classes de la société, est en raison de l'augmentation des moyens d'existence exigés par ses habitudes et ses besoins particuliers. Si, par exemple, telles familles ne peuvent conserver leur rang ou leur position, qu'en dépensant annuellement une valeur de 6,000 francs, il faudra, pour que cette classe de la population s'accroisse d'une famille, qu'il se forme un revenu suffisant pour la faire vivre.

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