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Ce n'est qu'en prenant ainsi en considération les besoins, les habitudes et même les préjugés de chacune des classes de la société qu'on peut dire, comme Montesquieu, que partout où une famille peut vivre à l'aise, il se forme un mariage.

de

Il n'est presque aucun genre d'industrie qui puisse produire des revenus un peu considérables, sans le secours d'un nombre plus ou moins grand personnes. Il faut, Il faut, pour rendre une terre fertile, le concours de plusieurs ouvriers qui se livrent directement aux travaux de l'agriculture; il faut, de plus, que d'autres ouvriers se livrent à la fabrication des instrumens dont les premiers ont besoin. Le propriétaire de la terre la plus fertile qui serait réduit à la cultiver de ses propres mains, et qui n'aurait pas d'autres instrumens que ceux qu'il aurait lui-même fabriqués, n'en tirerait presqu'aucun revenu.

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Un fabricant ne saurait non plus tirer presque aucun avantage de ses machines ou de ses capitaux, s'il n'avait, pour les mettre en œuvre, que ses forces individuelles ; il ne peut tirer de ses propriétés et de son industrie, un revenu suffisant pour faire exister sa famille, qu'en employant un certain nombre d'ouvriers.

Un commerçant ne peut également faire son commerce qu'au moyen d'un certain nombre de personnes qui sont employées, soit au transport

de ses marchandises, soit à faire l'office de commis. Il résulte de là qu'on ne peut former, dans les classes élevées de la société, des moyens d'existence pour une famille nouvelle, sans créer en même temps des moyens d'existence pour un nombre plus ou moins considérable d'autres familles dont les besoins sont moins étendus.

Si, pour établir un de ses enfans, un riche cultivateur, par exemple, convertit en une ferme un vaste marais; il est évident qu'il crée des moyens d'existence pour une famille de fermiers, et pour un certain nombre d'ouvriers et de domestiques.

Il est également évident que le manufacturier qui fonde une nouvelle fabrique, le commerçant qui fonde une nouvelle maison de commerce, créent des moyens d'exister pour les ouvriers ou les commis qui seront nécessaires à ces nouveaux établissemens.

Toutes les fois donc que de nouveaux moyens d'existence se forment chez une nation, les classes de la population qui vivent du travail de leurs mains, s'accroissent d'une manière beaucoup plus rapide que celles qui vivent des revenus de leurs terres ou de leurs capitaux; l'établissement d'une manufacture nouvelle, qui n'augmentera que d'une famille la classe des fabricans, augmentera peutêtre de vingt ou trente familles la classe qui lui fournit des ouvriers ou des domestiques.

Plus les familles qui vivent des revenus de leurs terres, de leurs capitaux ou de l'exercice d'une grande industrie, prennent des habitudes d'aisance et de luxe, moins elles peuvent se multiplier; moins, par conséquent, elles sont nombreuses, comparativement aux familles qui appartiennent à la classe ouvrière. L'Angleterre, par exemple, est le pays dans lequel on trouve le plus de grandes fortunes, mais aussi il n'y en a aucun dans lequel la classe des ouvriers ou des domestiques soit aussi nombreuse, comparativement à celle des maîtres. Celle-ci ne peut pas s'accroître d'une seule, à moins que celle-là ne s'augmente de vingt ou de trente, plus ou moins.

Lorsqu'un établissement industriel est formé, la part de revenu qu'il donne à tous les hommes auxquels il procure du travail, est, en général, plus considérable que la part qui revient au capitaliste ou à l'entrepreneur d'industrie. Le propriétaire de la terre la mieux cultivée, retire à peine le quart des produits bruts qu'elle donne; les autres trois quarts sont consommés par les personnes employées directement ou indirectement à la culture. De même, les sommes payées par un fabricant à ses ouvriers ou à ses commis, excèdent généralement de beaucoup les bénéfices qu'il retire de ses manufactures, et qu'il peut consacrer à ses propres consommations.

L'accroissement des propriétés, quelle qu'en soit la nature, exerce donc sur les classes qui vivent du travail de leurs mains, une influence plus étendue que celle qu'il exerce sur les classes qui vivent des revenus de leurs terres ou de leurs capitaux; il leur fournit une plus grande somme des moyens d'existence, et agit, par conséquent, avec plus de force sur leur multiplication.

Les jouissances d'une personne ne peuvent pas s'accroître dans les mêmes proportions que sa fortune; les plus simples et les plus naturelles, celles qui tiennent aux affections morales sont aussi vives et aussi durables chez un homme sans ambition, qui jouit d'une fortune médiocre, que chez celui qui jouit d'immenses richesses; il en est de même de celles qui résultent d'une bonne constitution, d'une bonne santé, de la possession de certains talens, de l'exercice de certaines facultés; la somme de bien-être que produit chez une nation qui prospère, l'accroissement des propriétés pour les classes laborieuses, excède donc la somme qui en résulte pour les autres classes de la société.

Si les classes de la population, qui vivent du travail de leurs mains, se multiplient plus rapidement que les autres, par suite de l'accroissement des propriétés, et si elles en retirent des avantages plus considérables, elles souffrent de maux plus grands, et disparaissent plus rapidement, quand

les atteintes portées aux propriétés poussent un pays vers sa décadence.

Toutes les fois que des impôts excessifs enlèvent aux habitans d'un pays la part la plus considérable de leurs revenus, ou que les propriétés sont menacées, soit par des troubles intérieurs, soit par l'invasion d'une armée ennemie, il se manifeste une grande détresse dans toutes les classes de la population, qui n'ont pour vivre que les produits de leur travail de chaque jour; ce fait a été constaté des expériences si nombreuses qu'on ne saurait le mettre en doute avec quelque apparence de

par

raison.

Les causes de ce phénomène sont faciles à apercevoir. Les classes aisées de la société peuvent opérer certains retranchemens sur leurs consommations, ou s'imposer certaines privations, sans manquer d'aucune des choses indispensables à la vie. Il n'en est pas de même des classes qui sont habituellement réduites à l'absolu nécessaire; l'événement qui n'impose aux premières qu'une simple privation de jouissance, condamne les secondes à une excessive misère, et les voue à la destruction.

Il est, pour les classes qui ne vivent que des produits de leur travail, une cause de misère qui n'existe pas pour les classes qui vivent des revenus de leurs terres ou de leurs capitaux. La prudence individuelle exerce sur le sort des familles qui tirent

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