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prohibé par les lois ou par les réglemens. Les Egyptiens, écrasés sous le poids des monopoles, peuvent, comme nous, jouir et disposer de leurs biens de la manière la plus absolue, pourvu qu'ils n'en fassent pas un usage prohibé par les lois et par les réglemens de leur pacha (1).

Il ne faut pas être surpris si les hommes qui ont tenté de donner, en quelques lignes, une définition exacte et complète de la propriété, ont tous échoué; une telle définition ne me semble pas possible, moins d'y consacrer plusieurs volumes. Il faut ajouter que l'influence des lois romaines, des doctrines du moyen-âge, et des erreurs de quelques grands écrivains, suffisaient pour égarer les meilleurs esprits.

Les définitions données par la puissance législative peuvent être utiles, quand elles renferment un commandement ou une défense, ou qu'elles ont pour objet de déterminer des actes qu'on est tenu d'exécuter ou de s'interdire; mais quand elles n'ont pas d'autre objet que de faire connaître la nature des choses, elles sont inutiles et dangereuses;

(1) Une définition de la propriété, par Robespierre, publiée récemment par une société politique, a soulevé l'indignation d'un grand nombre de personnes. Cette définition n'est pas bonne; mais elle n'est pas plus mauvaise que d'autres qu'on adopte sans examen. Elle est fondée sur l'erreur fort répandue que c'est la loi civile qui donne l'existence à la propriété,

il faut les laisser à la science. En fait de doctrines, un législateur n'a pas plus d'autorité qu'un simple particulier, à moins qu'on ne commence par admettre en principe qu'il est infaillible.

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CHAPITRE XLIX.

Examen critique des dispositions du Code civil sur la
nature de la propriété.

Si les observations que j'ai déjà faites ne suffisaient pas pour pas pour démontrer que la nature et les fondemens de la propriété n'ont jamais été bien observés par les jurisconsultes ou par les législateurs qui s'en sont occupés, ce qui me reste à dire, sur ce sujet, rendrait la démonstration complète.

J'ai précédemment fait observer que partout où l'homme n'a pas la certitude de jouir et de disposer des biens qu'il a créés ou légitimement acquis, il ne se forme plus de propriétés nouvelles; que celles qui ont été anciennement créés dépérissent plus ou moins rapidement, et que la population s'éteint à mesure que ses moyens d'existence disparaissent.

De là, j'ai tiré la conséquence qu'une nation ne se conserve et ne prospère qu'en garantissant à chacun de ses membres la faculté de jouir et de disposer des valeurs qu'il a formées ou régulièrement

acquises, et de tous les produits qu'il peut en retirer, de quelque nature qu'ils soient.

Mais il arrive quelquefois qu'une chose qui appartient à une personne, reçoit un accroissement de valeur, soit par suite des travaux d'une autre personne, soit par des circonstances fortuites, indépendantes de toute volonté; il arrive aussi que diverses propriétés se mêlent ou se confondent de manière à ne pouvoir plus être séparées.

Les jurisconsultes anciens et les jurisconsultes modernes ont été fort embarrassés lorsque des cas pareils se sont présentés, et qu'ils ont été appelés à rendre à chacun le sien; ils n'ont même pas toujours su déduire les conséquences les plus simples des principes qu'ils avaient admis sur la propriété. Parmi les décisions qu'ils ont rendues, un grand nombre ont manqué de justesse, et celles dont la justesse ne peut être contestée, ont été rarement fondées sur de bonnes raisons.

Pour donner une bonne solution des questions qui les ont embarrassés, et surtout pour voir le vide des motifs sur lesquels leurs décisions ont été fondées, il suffira de bien observer la nature des choses, et de savoir en déduire les conséquences qui en découlent naturellement.

Toute propriété sé compose, ainsi qu'on l'a vú, de plusieurs élémens; en général, ce mot désigne une chose ayant les qualités qui la rendent

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propre à satisfaire médiatement ou immédiatement quelques-uns de nos besoins considérée relativement à une ou à plusieurs personnes qui ont la faculté d'en jouir et d'en disposer, et garantie à ces mêmes personnes par les dispositions des lois, et par la puissance publique.

Cela étant entendu, si l'on nous demandait à qui appartiennent les fruits de tels arbres, le blé de tel champ, le fourrage de tel pré, nous serions peu embarrassés pour répondre; il nous semblerait évident que le fruit produit par une chose appartient en général au propriétaire de la chose, s'il ne l'a pas aliénée.

Si l'on allait plus loin, et si l'on voulait savoir les motifs de cette décision, nous les trouverions dans les élémens même qui constituent la propriété; nous remarquerions que la faculté de jouir d'une chose est une des conditions essentielles de la propriété, et qu'il n'y a pas d'autres moyens de jouir d'une terre que d'en percevoir les fruits par soi-même ou par la main d'autrui.

Si la même question était adressée à un jurisconsulte qui, au lieu d'observer la nature des choses, n'aurait étudié que des livres de jurisprudence, sa décision, qui serait la même au fond, serait fondée sur un autre motif; il nous apprendrait que les fruits naturels ou industriels de la terre, les fruits civils, tels que les loyers des maisons et l'in

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