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et qu'elle lui donne ainsi le moyen de faire capituler son adversaire; mais on ne saurait voir dans tout cela ni raison ni justice.

Les diverses questions de propriété auxquelles peuvent donner naissance les modifications que font subir les fleuves et les rivières aux héritages qui les bordent, sont résolues par le droit d'accession. En traitant ces questions, dans un des chapitres qui précèdent, j'ai fait connaître les véritables motifs des solutions qui en ont été données.

C'est aussi par le droit d'accession que le Code civil résout la question de savoir à qui appartiennent les pigeons, lapins et poissons qui passent dans un autre colombier, garenne ou étang; il décide qu'ils appartiennent au propriétaire de ces objets, pourvu qu'ils n'y aient point été attirés par fraude et artifice.

DU MÉLANGE DE PROPRIÉTÉS MOBILIÈRES, ETC. 395

CHAPITRE L.

Du mélange de propriétés mobilières appartenant à différens maîtres.

Si le droit d'accession a jeté dans l'embarras les jurisconsultes qui l'ont imaginé ou adopté, quand ils en ont fait l'application à des propriétés immobilières, il a fait naître des difficultés bien plus graves quand ils ont voulu l'appliquer à des propriétés mobilières.

Quand il est question d'immeubles, il est facile de voir quelle est, entre deux choses, celle qui va s'ajouter à l'autre ; s'il s'agit, par exemple, de prononcer sur la propriété d'une maison construite sur le fonds d'autrui, on ne peut pas mettre en doute si ce sont les matériaux qu'on a placés sur le fonds, ou si c'est le fonds qu'on a placé sous les matériaux. Il y a là un fait évident que l'homme le moins intelligent est capable de reconnaître; ce fait, il est vrai, ne devrait avoir qu'une bien faible influence sur la solution de questions de propriété; mais on conçoit cependant que les jurisconsultes lui aient donné une certaine importance.

Mais, lorsque des choses mobilières se réunissent

pour ne former qu'un seul tout, ou qu'une personne fait une chose nouvelle avec une matière qui appartient à une autre personne, quel est celui des deux propriétaires au profit de qui le droit d'accession se prononcera? S'il s'agit, par exemple d'un couteau, est-ce la propriété du manche qui entraînera la propriété de la lame, ou la propriété de la lame qui entraînera la propriété du manche par droit d'accession? Si, d'un bloc de marbre qui ne lui appartient pas, un sculpteur fait une belle statue, à qui, du statuaire ou du propriétaire du marbre, appartiendra le nouvel objet produit? Si le blé de mon voisin se mêle au mien, auquel des deux appartiendra le mélange? Les questions de ce genre ont fort embarrassé les jurisconsultes romains; et lorsque les jurisconsultes modernes les ont abordées, ils ont eu bien de la peine à découvrir des principes propres à en donner la solu

tion.

Il semble qu'aucune question n'a paru plus difficile à résoudre aux jurisconsultes de Rome, que celle de savoir à qui l'on doit adjuger une chose qu'une personne a faite avec une matière dont une autre avait la propriété. Les uns pensaient qu'il fallait l'adjuger au propriétaire de la matière, attendu que, sans matière, il ne peut pas exister de forme; les autres estimaient qu'il fallait l'adjuger à celui qui avait donné à la matière une forme

nouvelle, attendu qu'il n'y a point de matière sans forme.

Justinien se plaçant entre les deux sectes, n'adopta l'opinion ni de l'un ni de l'autre. Si la matière, dit-il , peut être réduite à sa première forme, la chose doit être adjugée au propriétaire de la matière ; si elle ne peut pas y être réduite, la chose appartient à l'auteur de la nouvelle forme. Quant à la question de savoir quel est l'intérêt des parties, ou quelle est celle des deux qui a la plus grande part dans la valeur de la chose produite, Justinien ne s'en occupe pas plus que les jurisconsultes entre lesquels il vient interposer son autorité, et sa décision n'est ni moins arbitraire, ni moins absurde que les leurs.

Le nouvel objet fabriqué se compose-t-il d'une matière fusible, d'or, d'argent, de bronze, de fer ou d'acier? Il appartient au propriétaire de la matière, quelque grande que soit d'ailleurs la valeur que l'artiste lui a donnée. Se compose-t-il de bois, de marbre, ou de toute autre matière qui ne peut pas être rendue à sa première forme, il faut l'adjuger à celui qui l'a fabriqué. Un artiste fait une statue équestre du plus grand prix avec du bronze dont il n'a pas la propriété; c'est le propriétaire de la matière auquel on adjugera l'ouvrage. Un autre transforme une pièce de bois en une paire de sabots, et il devient ainsi propriétaire de la

matière. Quel était le fondement de cette décision? Justinien lui-même n'aurait su le dire.

Les rédacteurs du Code civil ont rejeté les subtiles et puériles distinctions des jurisconsultes romains; mais comme ils n'avaient pas, sur l'origine et la nature de la propriété, des idées plus claires que celles de leurs prédécesseurs, il ne leur a pas été possible de découvrir des principes généraux applicables à toutes les questions qui pourraient se présenter. L'embarras dans lequel les a jetés le droit d'accession, relativement aux choses mobilières, se manifeste dès le premier article du chapitre.

« Le droit d'accession, disent-ils, quand il a pour objet deux choses mobilières appartenant à deux maîtres différens est entièrement subordonné aux principes de l'équité naturelle. Les règles suivantes serviront d'exemple.

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pour

Pourquoi le droit d'accession est-il subordonné aux principes de l'équité naturelle, quand il a objet des choses mobilières, plutôt que lorsqu'il a pour objet des choses immobilières ? Ces principes, bons pour résoudre les questions auxquelles certaines propriétés peuvent donner naissance, seraient-ils mauvais, quand il s'agit de résoudre les questions que font naître des propriétés d'un autre genre? Les propriétaires de fonds de terre seraientils au-dessus des principes de l'équité naturelle,

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