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de vue, si l'on ne veut pas courir le risque de s'égarer.

Il faut, par exemple, ne jamais oublier que toute personne est propriétaire de la valeur à laquelle elle donne naissance, ou qu'elle a régulièrement reçue de la part du propriétaire pour en jouir et en disposer; que, si des choses appartenant à différens maîtres ont été unies pour n'en former qu'une seule, sans le concours de leurs volontés, et si elles peuvent être séparées, sans qu'il en résulte aucune destruction de valeur pour personne, il faut rendre à chacun ce qui lui appartient; que si elles ne peuvent être séparées sans qu'il en résulte une destruction de valeur, il faut, en général, adjuger la chose à celui qui l'a formée, comme étant celui à qui elle convient le mieux, ou du moins à celui qui, pour avoir la chose, a le moins à payer à l'autre ; que, dans aucun cas, il ne faut ordonner

une destruction de valeur, qui ne serait pas suivie d'un avantage au moins équivalent; que celui qui a commis un délit doit en porter la peine, mais que nul ne doit s'enrichir aux dépens d'un autre, ou être appauvri par le fait d'autrui.

CHAPITRE LI.

Des diverses manières dont une propriété peut être partagée.

UNE propriété peut devenir commune à plusieurs personnes par suite d'une multitude de circonstances: il ne s'agit pas ici de savoir quels sont les événemens qui peuvent la rendre commune; il s'agit seulement d'observer comment elle peut être divisée ou démembrée, et de déterminer les suites naturelles que doit avoir la division.

Un des principaux élémens de toute propriété est la puissance qu'elle a de nous procurer certaines jouissances, de satisfaire quelques uns de nos besoins: c'est par là qu'elle est surtout appréciée. Or il n'est aucun genre d'utilité qui ne puisse être commun à plusieurs personnes, et qui ne soit susceptible d'être divisé entre elles.

Une chose qu'on ne saurait partager matériellement, sans en détruire presque entièrement la valeur, telle qu'un cheval, une montre, une statue ou un tableau, peut cependant être commune à plusieurs personnes, et, dans la pratique, rien n'est plus facile que de s'en partager les avantages.

Pour déterminer les diverses manières dont une

propriété peut être partagée, il faut distinguer si elle est susceptible de produire des fruits, comme un champ, un pré, une vigne, ou si naturellement elle n'en produit aucun, comme une statue ou une pierre précieuse.

Si elle est susceptible de produire des fruits, comme une terre, les diverses manières dont on peut s'en partager les avantages, sont pre sque infinis: on peut faire le partage de la terre, des fruits, du temps de la jouissance, du fermage. Si l'on partage la terre, on peut diviser la superficie et la profondeur, de manière que chacun ait une part du dessus et du dessous. On peut aussi la diviser de manière que l'un ait la superficie, jusqu'à une certaine profondeur, et que l'autre ait le dessous pour y faire des constructions ou des fouilles. On peut la partager encore de manière que l'un en ait tous les produits, et que l'autre n'en retire qu'un avantage spécial, comme un droit de vue, un passage, un aqueduc, un égout.

Si, de sa nature, une chose est indivisible, comme un cheval, un tableau, une statue, il y a plusieurs manières de s'en partager les avantages: on peut diviser le temps de la jouissance, c'est-à-dire que chacun des propriétaires peut en avoir la possession entière pendant un temps déterminé; on peut la louer, et se partager le prix du loyer; on peut la vendre, et en partager la valeur.

Il n'est pas possible de déterminer ici les diverses manières dont toutes les propriétés peuvent être partagées; car il faudrait, pour cela, faire l'énumération des diverses espèces d'utilité qui peuvent se rencontrer dans chaque chose, et rechercher comment chaque espèce d'utilité peut être divisée il me suffit de faire observer que la part qu'on a dans une propriété, est en raison de l'utilité qu'on est en droit d'en retirer.

Lorsqu'une chose appartient à plusieurs personnes, chacune d'elles, disons-nous, est propriétaire de la part d'utilité qui lui revient; cette part est pour elle une véritable propriété. Cependant, les parts qui reviennent à chacun des co-propriétaires prennent souvent différentes dénominations; il importe de les remarquer, parceque nous sommes naturellement portés à croire que les choses changent de nature, toutes les fois qu'elles changent de noms. Cette erreur est si commune, que les hommes qui rédigent des lois ne savent pas toujours l'éviter: on en verra bientôt la preuve.

Une propriété appartient, je suppose, à deux personnes. Voulant la partager, elles conviennent que l'une en aura la jouissance exclusive pendant vingt années, et qu'à l'expiration de ce terme, l'autre en aura, à perpétuité, la jouissance et la disposition. Du moment que cette convention est accomplie, chacune des deux parties a sa part

de la chose, et cette part est pour elle une propriété dont elle peut disposer comme bon lui semble. Elle peut la vendre, l'échanger, la donner comme toute autre espèce de propriété.

Il n'est pas impossible que celui des deux propriétaires qui, pour sa part, a pris la jouissance exclusive de la chose, pendant un nombre d'années déterminée, ne soit mieux partagé que celui qui doit avoir plus tard le fonds en même temps que la jouissance. S'il s'agit, par exemple, d'un objet déterminé qui périt nécessairement par l'usage, comme un cheval, un meuble ou même une maison, celui qui a la jouissance pendant un certain nombre d'années, a une part plus considérable que celui qui n'a que la nue-propriété. Il en serait de même s'il s'agissait d'une terre ou d'un capital: une jouissance de trente années consécutives, par exemple, serait de beaucoup préférable à la nuepropriété.

Lorsqu'une chose se trouve ainsi partagée entre deux personnes de manière que l'une en a la jouissance exclusive pendant un nombre d'années déterminé, et que l'autre doit en avoir la jouissance et la disposition également exclusives, quand le temps pendant lequel le premier doit jouir est expiré, on donne le nom d'usufruit à la part dévolue au premier, et le nom de nue-prepriété à la part dévolue au second.

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