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traires à leurs déclarations de droits, ils auraient cru se mettre en opposition avec leurs propres principes, s'ils avaient établi des monopoles dans les arts ou dans le commerce. Mais après que l'Assemblée constituante, qui, à l'exemple des ÉtatsUnis, avait fait une déclaration des droits de l'homme, eut proclamé qu'on ne pouvait pas, sans attaquer ces droits dans leur essence, ne pas regarder une découverte industrielle comme la priété de son inventeur, le congrès américain suivit l'exemple de l'Angleterre et de la France (1).

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Le 21 février 1793, il rendit une loi par laquelle il garantit à l'auteur de toute invention industrielle, qui en aurait fait régulièrement la demande, le privilége de l'exploiter exclusivement pendant quatorze années, à la charge de se soumettre à certaines conditions déterminées par le même acte. Cette garantie ne fut pas donnée seulement aux citoyens des États-Unis, et aux personnes qui résideraient sur le territoire national; elle fut accordée indistinctement à toutes les personnes qui en feraient la demande, soit qu'elles résidassent sur le territoire de la confédération, soit qu'elles habitassent en pays étranger. On crut ne pas devoir

(1) Les monopoles sont prohibés par les constitutions de plusieurs états, notamment par celles de New-Hampshire, de Massachusetts, de Vermont, de la Caroline du Nord, de l'Ohio et de l'Illinois.

adopter, pour les découvertes industrielles, la distinction qu'on avait faite relativement aux compositions littéraires.

Il y a dans la déclaration de l'Assemblée constituante une confusion d'idées qu'il faut faire cesser, si l'on veut démêler l'erreur de la vérité, et ne pas admettre en principe des propositions qui conduiraient à des conséquences que le bon sens forcerait à désavouer.

Toute personne qui fait une découverte dans les arts a certainement le droit de l'exploiter à son profit, Pour reconnaître l'existence de ce droit, et en garantir l'exécution, il n'est pas nécessaire d'un acte spécial de la part de l'autorité publique. Il suffit, pour que l'inventeur puisse en jouir sans trouble, que la liberté d'industrie soit proclamée, et que toutes les propriétés soient garanties. Les principes généraux du droit sont suffisans pour le protéger dans l'emploi qu'il fait de ses biens et de ses talens.

Mais entre le droit d'exercer une industrie qu'on a découverte, et le droit d'empêcher que d'autres ne l'exercent, la différence est grande; l'existence du premier est loin de supposer l'existence du second. Celui-là ne peut être mis en question que dans des pays où l'on trouve encore des restes d'esclavage; celui-ci peut être mis en doute dans les pays les plus libres et les mieux policés. Si la

faculté d'exploiter exclusivement un art qu'on a inventé, n'était pas garantie par un acte spécial du gouvernement, pourrait-on la réclamer en vertu des principes qui garantissent à chacun la disposition de ce qui lui appartient? L'Assemblée constituante paraît l'avoir cru, puisqu'elle a proclamé hautement que toute idée nouvelle, dont la manifestation peut être utile à la société, appartient primitivement à celui qui l'a conçue, et qu'on ne peut contester à un inventeur la propriété de son invention, sans attaquer les droits de l'homme dans son essence. Cependant, si l'on n'avait fait à cet égard aucune loi spéciale, il est douteux qu'il se fût trouvé un tribunal pour faire respecter ce prétendu droit naturel.

L'Assemblée constituante a évidemment appliqué aux inventions industrielles le principe suivi par toutes les nations pour l'occupation des choses qui n'ont pas encore été appropriées. Elle n'exige pas, en effet, pour accorder à un individu l'exploitation exclusive d'un art ou d'une branche d'industrie, que cet individu se soit livré à de longs travaux, ou qu'elle ait fait certaines dépenses : elle ne lui demande que de prouver qu'il en est le premier occupant, et qu'il a fait constater son occupation. Quand même un autre individu prouverait qu'il a fait la même découverte par ses propres efforts, et qu'il n'a pas eu connaissance des

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travaux du premier inventeur, il n'en serait pas moins privé de la faculté de mettre son invention en pratique. Les dispositions de la loi française, de la loi anglaise et de la loi anglo-américaine sont uniformes à cet égard: ce qui prouve que, dans les trois pays, on s'est également laissé diriger par le principe de l'occupation.

Mais ce principe est-il, en effet, applicable aux découvertes faites dans les arts? Existe-t-il quelqu'analogie entre un objet matériel, tel qu'un espace de terre ou un objet mobilier, et un procédé à l'aide duquel on forme un nouveau produit? De ce qu'on admet qu'une terre inoccupée, une pierre précieuse trouvée sur le bord de la mer, ou un animal sauvage, appartiennent aux premiers individus qui s'en emparent, emparent, s'ensuit-il que le premier qui découvre l'art de créer un produit nouveau, a seul le droit de mettre cet art en pratique? je ne le pense pas; les gouvernemens qui ont accordé des priviléges aux inventeurs, ne l'ont pas eux-mêmes cru, et ils ne pouvaient pas le croire.

L'Assembléc constituante a déclaré que toute découverte nouvelle est la propriété de son auteur; mais elle n'a pas agi conformément à cette déclaration. Dans la loi même où elle a proclamé l'existence de cette propriété, elle l'a deniée, puisqu'elle a limité à un petit nombre d'années la jouissance exclusive de l'inventeur. Pour agir conséquemment,

à sa déclaration, elle aurait dû garantir cette jouissance à perpétuité; mais alors elle serait arrivée à l'absurde; les arts et le commerce auraient été réduits à jamais en monopole, au profit d'un petit nombre de familles : on eût condamné l'espèce humaine, au nom du droit naturel, à rester stationnaire.

Les peuples admettent les uns à l'égard des autres le principe de l'occupation pour les choses purement matérielles; mais ils sont loin de l'admettre pour les découvertes faites dans les arts. Une découverte faite en France ne donne, en Angleterre,aucun privilége à l'inventeur. La loi française est si loin de reconnaître la propriété des découvertes faites et exploitées dans les autres pays, qu'elle encourage les nationaux à les introduire en France. Celui qui importe parmi nous une branche nouvelle d'industrie, peut en obtenir l'exploitation exclusive, même contre l'inventeur. On ne peut pas dire cependant que l'Assemblée constituante se proposait d'encourager le vol.

S'il était vrai que toute idée nouvelle, dont la manifestation peut devenir utile à la société appartient primitivement à celui qui l'a conçue, et que ce serait atttaquer les droits de l'homme dans leur essence, que de ne pas regarder une decouverte industrielle comme la propriété de son inventeur, il s'ensuivrait qu'à l'instant où un pro

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