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mariage, est infiniment moins funeste que celui qui causerait la destruction d'une famille. Le monopole d'une nouvelle branche d'industrie, donné temporairement à l'inventeur, avant que personne ait pris possession de cette industrie, n'a pas d'autre effet que d'arrêter pour quelque temps la formation de nouvelles richesses; il ne condamne aucune famille à la ruine et à la destruction. Tous les hommes industrieux se trouvent, après l'établissement du monopole, à peu près dans l'état où ils étaient avant l'invention. Si quelques-uns perdent la chance de faire eux-mêmes la découverte, tous sont appelés à jouir des avantages qu'elle doit produire pour la société.

de

Il existe donc une immense différence entre le monopole d'une industrie dont personne n'a pris possession, et le monopole d'une industrie déjà pratiquée. Celui-ci dépouille nécessairement un nombre de personnes plus ou moins grand, de leurs moyens d'existence, et les condamne à la misère. Celui-là n'a pas, en général, d'autre effet que surprendre momentanément l'essor d'un genre particulier d'industrie. Cette différence suffit pour expliquer la rigueur avec laquelle les cours de justice de la Grande-Bretagne font observer les conditions imposées aux inventeurs qui veulent réduire leurs découvertes en monopole, pendant le temps déterminé par la loi.

que cet ouvrage soit ou ne soit pas écrit en français, qu'il ait été publié en France ou en pays étranger. En Angleterre, on ne considère pas non plus comme inventeur celui qui se borne à mettre en pratique un procédé qu'on lui a verbalement enseigné, à moins qu'il ne l'ait appris en pays étranger (1).

Après avoir refusé le privilége de l'invention à celui qui emprunte à un ouvrage scientifique le moyen de faire une chose nouvelle, il semble peu raisonnable de l'accorder à celui qui ne fait qu'imiter un produit fabriqué chez une autre nation. Cependant, la jurisprudence anglaise, et le décret de l'Assemblée constituante du 31 décembre 1790, donnent, en pareil cas, à l'imitateur, les mêmes avantages que s'il était inventeur. La loi française (art. 9) se borne à restreindre les brevets d'importation aux industries étrangères dont les inventeurs ont encore le monopole (2).

Dans les deux pays, on s'est laissé diriger, quand on a adopté cette mesure, moins par l'intérêt bien

(1) James Godson, Practical treatise on the law of patents for inventions, p. 53.

(2) Ibid, p. 98-99. — Une industrie pratiquée en pays étranger, qui serait décrite dans un ouvrage scientifique, ne pourrait pas faire l'objet d'un brevet d'importation. Cela parait résulter, du moins, de la loi et des arrêts cités dans la première note de ce chapitre.

entendu de l'industrie, que par cette jalousie commerciale qui, pendant long-temps, a divisé les nations, et qui n'est pas encore éteinte. Lorsqu'une industrie, utile pour celui qui s'y livre comme pour le public, est pratiquée chez une nation, elle ne tarde pas à se répandre chez les autres. Il n'est pas nécessaire, pour la propager, de recourir à l'appât des monopoles. Les communications entre les peuples policés sont aujourd'hui si faciles et si rapides, tous les hommes industrieux sont tellement à l'affût des procédés qui peuvent leur assurer quelques bénéfices, que l'importation d'une industrie nouvelle n'a nul besoin d'être stimulée. Le monopole dont on fait jouir l'auteur de l'importation, est, pour la société, un mal qui n'est compensé par aucun avantage.

Il est possible que deux personnes fassent la même découverte, et demandent un brevet d'invention à peu près en même temps. Lorsqu'un pareil cas se rencontre, la jurisprudence anglaise donne le privilége de l'exploitation à celle des deux qui, après avoir obtenu son brevet, publie la première sa découverte, et qui en assure ainsi une prompte jouissance au public.

Les termes dont se sert le statut de Jacques Ier pour désigner les choses qui peuvent être l'objet d'un monopole (new manufacture), indiquent, non des idées ou des vérités générales, comme le

décret de l'Assemblée constituante, mais des choses matérielles produites par la main de l'homme. Ces termes sont moins généraux, et surtout moins vagues que ceux qui sont employés par la loi française. Cependant, ils ont donné lieu à de nombreuses difficultés, et ils embrassent tant de choses qu'ils n'ont jamais été complétement définis. Le sens en a été, au reste, assez bien déterminé par un long usage et par les controverses auxquelles ils ont donné lieu devant les cours de justice.

Une chose ne peut être l'objet d'un privilége que lorsqu'elle est faite par la main de l'homme, qu'elle est nouvelle, qu'elle n'a pas encore été mise en usage, qu'elle peut être l'objet d'une vente ou d'un échange, qu'elle est utile à la société, ou que du moins la vente n'en est pas illicite.

L'industrie agricole exerce une influence immense sur la plupart des productions de la nature; cependant on ne considère pas ces productions. comme ayant été formées par la main de l'homme. Aussi, quoique beaucoup de découvertes aient été faites dans l'agriculture, il ne paraît pas que ceux qui en ont été les auteurs, les aient considérées comme leur propriété exclusive, et qu'ils aient réclamé le privilége de les exploiter. Un chimiste qui, par le mélange de plusieurs choses déjà connues, parvient à former un tout jusqu'alors inconnu peut obtenir le privilége de le fabriquer. Un agri

culteur qui, par des combinaisons analogues, obtiendrait de ses terres ou de ses troupeaux des produits précieux que personne n'aurait obtenus avant lui, ne serait pas admis à réclamer le privilége de les produire seul. Les termes mêmes de la loi anglaise condamneraient une telle prétention; ceux de la loi française paraîtraient, au contraire, la justifier. Cependant, si la question se présentait parmi nous, il est probable que le bon sens l'emporterait sur la lettre de la loi. Il faut donc qu'un produit soit fabriqué par la main de l'homme, pour faire l'objet d'un monopole au profit de l'inventeur (1).

Il faut, de plus, qu'il soit nouveau, c'est-à-dire qu'il n'en ait pas existé de semblable. Un ouvrage dans lequel on en trouverait la description, et où l'on aurait exposé les moyens de l'obtenir, suffirait, ainsi qu'on l'a déjà vu, pour lui enlever tout caractère de nouveauté. La circonstance que l'inventeur n'aurait pas connu cet ouvrage, servirait sans doute à prouver son mérite, mais ne prouverait rien en faveur de la nouveauté de l'invention. Il ne suffit pas, en effet, pour obtenir le privilége de fabriquer une marchandise quelconque, de l'avoir inventée; il faut, de plus, que d'autres n'en aient

(1) Joseph Chitty, Treatise on the laws of commerce and manufactures, vol. II, chap. XII, p. 192. — Richard Godson, Practical treatise, p. 58.

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