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priviléges, des argumens contre les brevets d'invention; je ne me suis proposé que de faire connaître les principes généraux qu'on a suivis à cet égard, soit en Angleterre, soit en France.

CHAPITRE XXXI.

Des fondemens et de la nature de la propriété littéraire.

AYANT admis en principe qu'une personne ne peut jamais être la propriété légitime d'une autre, nous en avons tiré la conséquence que toute utilité, toute valeur appartient à celui qui la crée; nous avons reconnu que, tant qu'il ne l'a pas aliénée, on ne peut la lui ravir sans le dépouiller de sa propriété.

Ces propositions sont peu contestées, tant qu'on ne les applique qu'à des produits purement matériels; ainsi, l'on admet facilement qu'un habile ouvrier qui transforme un morceau d'acier en un instrument d'un grand prix, est le propriétaire de cet instrument, ou de la valeur à laquelle il a donné l'existence; on admet aussi que l'homme qui construit ou fait construire un navire avec des matériaux dont il a payé le prix, est propriétaire de ce navire, surtout quand il a payé la main-d'œuvre des ouvriers qu'il a employés.

On admettra de même, sans contestation, que si, sur un papier qui m'appartient, j'écris un poème que j'ai composé, j'aurai la propriété de toute la chose, des vers et du papier; mais si je livre une copie de mon ouvrage à une personne, soit à titre de dépôt, de prêt ou de vente, celui à qui je l'aurai livré, ne pourra-t-il pas s'en servir pour en faire une copie nouvelle, sans porter atteinte à ma propriété? S'il me restitue, sans lui avoir fait subir aucune altération, le manuscrit que je lui ai confié, ne me rend-il pas ma propriété tout entière? S'il m'a payé la valeur d'une copie, n'a-t-il pas acquis par cela même le droit d'en faire des copies nouvelles et de les vendre? C'est sur ces questions que des doutes s'élèvent.

Ceux qui pensent qu'on ne porte pas atteinte à Ja propriété d'un auteur, en multipliant, sans son aveu, les copies de ses écrits, se fondent sur ce qu'une idée n'est la propriété d'une personne qu'aussi long-temps qu'elle demeure renfermée dans son cerveau; aussitôt, disent-ils, qu'elle est divulguée et qu'elle a pénétré dans l'esprit d'autres personnes, elle devient à leur tour leur propriété; celui qui le premier l'a conçue, n'y a plus aucun droit exclusif.

Considérer ainsi les productions littéraires, lorsqu'il est question de propriété, c'est les envisager sous un point de vue faux. On doit remarquer

d'abord que des pensées qui n'ont jamais été divulguées, ne peuvent donner lieu à aucune discussion. Il importe donc assez peu de savoir si elles sont ou ne sont pas la propriété de tel ou tel individu. On doit observer, en second lieu, que personne n'a jamais prétendu sérieusement qu'une pensée publiée fût irrévocablement acquise au premier qui l'a conçue. Les hommes qui publient leurs ouvrages, sont si éloignés d'avoir de telles prétentions, qu'ils ne se proposent, au contraire,

que de faire passer, dans l'esprit de leurs lecteurs,

les idées qu'ils ont exprimées. Aucun n'a jamais été assez fou pour revendiquer, à titre de propriétaire, les idées que d'autres avaient puisées dans ses écrits, et dont ils avaient fait usage, soit en les mettant en pratique, soit en composant des ouvrages nou

ve aux.

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Un écrivain qui s'approprierait par l'étude, toutes les pensées que renferme l'Esprit des lois, et qui s'en servirait pour composer un ouvrage qu'il donnerait comme sien, ne serait pas accusé d'avoir porté atteinte à la propriété d'autrui, quand même les œuvres de Montesquieu appartiendraient encore à ses héritiers. Dans un cas pareil, le nouvel ouvrage produit serait une chose dont la création appartiendrait à celui qui en serait l'auteur, et qu'il ne donnerait pas comme l'œuvre d'un autre. Les pensées qu'il aurait puisées dans les écrits de

Montesquieu seraient devenues sa propriété, comme celles que puisa ce grand écrivain dans les auteurs qui l'avaient précédé, devinrent les siennes.

Mais ce n'est pas dans des cas semblables que s'élèvent les questions de propriété littéraire. Le libraire qui publie et met en vente les tragédies de Racine, les donne sous le nom de cet auteur, et ne les donne pas sous le sien. Les eût-il apprises par cœur, il n'aurait garde de publier, comme siens, les vers de Phèdre ou d'Athalie; s'il faisait une pareille folie, il pourrait bien se couvrir de ridicule, mais il ne persuaderait à personne que ces vers sont une œuvre qui lui appartient. Si ce système d'appropriation par communication était fondé, il s'ensuivrait que toute comédie serait l'œuvre des comédiens qui l'auraient apprise; s'étant approprié les pensées et les expressions du poète, il ne leur resterait qu'à s'en approprier la gloire et le profit.

Un ouvrage littéraire ne se compose pas seulement des idées et des sentimens qu'il exprime; il se compose aussi de l'ordre dans lequel ces sentimens et ces idées sont rendus ; des termes ou des expressions que l'auteur a employés pour les communiquer; de l'arrangement de ces termes ou du style de l'écrivain; le nom et la réputation de l'auteur sont, presque toujours, un des élémens qui forment la valeur de l'ouvrage.

La même pensée peut se présenter à l'esprit de

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